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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. TRANSMISSION

a) Souvenirs possibles. - On le conçoit facilement : ni les sciences naturelles, ni l’histoire ne peuvent atteindre une réalité morale, métaphysique en son fond, qui n’a pu laisser aucune trace dans les entrailles de la terre, ni dans les archives des peuples.

On a fait valoir cependant, comme preuve d’histoire, les vieilles traditions d’un âge d’or perdu qu’on rencontre chez beaucoup de peuples. Les traditionalistes se sont trop pressés d’y voir des vestiges des traditions primitives sur la perfection originelle de l’homme et sa déchéance. Rien ne nous oblige à solliciter ces traditions ou encore les croyances religieuses du sauvage ou de l’homme préhistorique, pour y trouver des traces de la révélation de ces vérités.

La tendance des théologiens modernes et des ethnologues catholiques est dans le sens d’une prudente réserve : « S’ils se prononcent en faveur d’une révélation primitive, ce n’est pas que la science — ils le reconnaissent — soit d’ores et déjà en mesure d’en démontrer l’existence, mais en ce sens qu’elle la tolère ou même la suggère comme une hypothèse plausible. Comparée avec l’enseignement commun du xvie au xixe siècle, la distinction ainsi faite, entre la certitude dogmatique de la révélation originelle et sa probabilité scientifique, marque une réduction notable et, somme toute, un progrès critique évident. » H. Pinard de la Boullaye, op. cit., t. i, p. 474.

On peut faire la même distinction au point de vue du fait de la chute : si nous professons le dogme de la chute comme celui de l’élévation primitive, ce n’est pas que nous prétendions pouvoir remonter scientifiquement, par une série de témoignages datés, depuis l’époque où l’écrivain sacré la consignait dans un texte jusqu’au fait lui-même. Sans doute il n’y a en soi rien d’impossible à la transmission de souvenirs relatifs à une déchéance primordiale. Cf. Lagrange, La méthode historique, p. 218. Que si, dogmatiquement certain, le fait de la chute fut encore susceptible de se conserver et de se transmettre, l’historien pourra trouver dans les récits profanes comme une confirmation de la tradition biblique, l’indication d’une source commune, respectée ici, altérée là. En ces récits, le philosophe catholique pourra découvrir comme une indication des réactions profondes de l’humanité en face du mystère de sa nature ; le théologien, en définitive, reconnaîtra que les éléments font défaut qui permettraient une solution certaine de l’interprétation de ces vieux souvenirs.

b) On a fait valoir aussi les données de l’expérience humaine touchant les contradictions de notre nature

— grandeur et misère — pour en déduire, à la suite de saint Augustin, avec Pascal et Bossuet, la preuve d’une chute aux origines de l’humanité.

On a prétendu qu’en face de l’expérience, la raison avait à opter entre innocenter Dieu en accusant, la liberté humaine, ou accuser cette liberté en innocentant Dieu ; la nature, telle que nous l’avons sous nos yeux, serait tellement mauvaise qu’elle serait un scandale insupportable aux yeux d’une raison qui admet un Dieu juste, sage et bon. Pour croire en Dieu, il faudrait admettre l’explication du mal par la chute. L’Église, en déclarant que Dieu aurait pu créer l’homme tel qu’il naît aujourd’hui, saint Thomas en constatant que les infirmités physiques de l’homme (souffrances, mortalité) n’ont pas nécessairement un caractère pénal et s’expliquent par sa constitution, que sa faiblesse morale et ses luttes intérieures dérivent en somme de la structure de sa nature, chair et esprit, empêchent la théologie contemporaine de voir une preuve apodictique de la chute dans les constatations de l’expérience humaine.

Ce n’est pas qu’elle dénie toute valeur à ces constatations. Elle est frappée du contraste qui existe entre

notre pouvoir indéfini d’aspiration et notre capacité infime de réalisation morale. Klle s’étonne de la faillite du grand nombre au regard des fins spirituelles. Toutes ces constatations amènent la raison à soupçonner qu’il y a là-dessous quelque mystère ; elle sent l’insuffisance des solutions anciennes : celle du gnosticisme et du manichéisme, qui reportaient sur un démiurge inférieur la responsabilité d’une création mauvaise ; celle de Platon, qui mettait le principe du mal dans la matière ; celle d’Origène, qui le cherchait dans une chute des âmes préexistantes ; l’hypothèse la plus naturelle, pour expliquer le mystère, lui apparaît être celle d’une défaillance de la liberté à l’origine.

Des philosophes indépendants, comme Renouvier. ne voient d’autre explication aux misères de la naturehumaine que celle d’une déchéance collective de la liberté. De plus en plus, elle s’impose à l’enseignement commun de la théologie l’affirmation que nous avons trouvée sous la plume de saint Thomas. Col. 473.

c) C’est donc la révélation seule, interprétée par l’Église, qui apporte aux problèmes que pose l’expérience humaine la réponse précise, certaine, divinement autorisée, que pouvait à peine conjecturer et soupçonner la raison.

3. Cohérence de cette doctrine avec la raison.

A défaut de preuve proprement dite, cette doctrine est susceptible d’une défense rationnelle contre les objections du rationalisme.

Une de ces objections les plus spécieuses consiste à présenter comme un mythe le récit de la chute dans la Genèse, et à prouver par là que ce récit n’est, comme les mythes babyloniens, qu’une fable puérile, sans valeur objective, donc un fondement ruineux pour le dogme.

Il n’y a pas de doute : la Commission biblique écarte le mot et l’idée de mythe, d’allégorie pure, de légende, pour ce qui concerne les trois premiers chapitres de la Genèse ; elle affirme l’objectivité substantielle des récits de l’innocence primitive et du péché.

Le théologien et l’exégète catholique se soumettent à ces directives et estiment avoir de bonnes raisons critiques pour le faire : de ce récit ils mettent en relief le caractère sobre, sérieux, supérieur à ce qu’on trouve partout ailleurs, et conforme à ce qu’exige la dignité de l’Écriture inspirée. Ils pensent avec raison qu’entre le mythe et l’histoire stricte basée sur des documents datés il y a de nombreux genres littéraire-, intermédiaires ; ils travaillent, par la méthode comparative, à établir le caractère propre du récit discuté ; ils croient ainsi en avoir, par la distinction du fond et de la forme, une intelligence plus profonde, plus conforme au sens religieux et à la méthode critique que les rationalistes. Sous un langage imagé, naïf, anthropomorphique, ils sauvegardent de ce fait l’existence et donc la vérité religieuse de la chute.

2° Le péché originel dans la postérité d’Adam. Le mystère de sa propagation. — 1. Doctrine de l’Église. — La raison accepte assez facilement l’idée de privation par solidarité familiale des biens absolument gratuits qui avaient été donnés conditionnellement au chef de la race. Elle trouve plus de difficulté a reconnaître cette solidarité morale, qui fait de tous les membres de la famille des pécheurs par le fait de la propagation du péché d’Adam. Ici. plus que jamais, il importe de rappeler nettement le fait dogmatique qui lie notre foi, et l’interprétation la plus plausible qu’en donne la théologie.

a) Définitions dogmatiques. — Le fait de la propagation est défini par le concile de Trente ; il peut se résumer ainsi : Adam a perdu non pas seulement pour lui, mais pour nous, la justice et la sainteté de son premier état : il nous a transmis sa nature en l’état malheureux et coupable où il l’avait placée,