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PÉCHÉ ORIGINEL. LA CHUTE PRIMITIVE


la Commission biblique, comporte, au point de départ, un état privilégié : la félicité originelle de nos premiers parents, puis une épreuve : un précepte facile donné par Dieu en vue d’éprouver leur obéissance ; ensuite la transgression de ce précepte à l’instigation du diable, enfin la perte de cet état de justice et de sainteté pour le premier couple et ses descendants. En quoi matériellement a bien pu consister le drame de la chute en ses différents actes ? Faut-il prendre à la lettre l’histoire du « fruit défendu » ?

Les exégètes se sont divisés dans le passé sur cette question. Un bon nombre n’ont pas vu de difficulté à prendre le récit de la Genèse tout à la lettre. Cependant, dès l’antiquité et au cours des siècles, les anthropomorphismes, le caractère énigmatique de certaines expressions du récit, ont fait hésiter les interprètes sur le sens précis à donner à ce récit. De nos jours, l’étude comparée des genres littéraires, une meilleure connaissance des hésitations de la tradition, amènent de plus en plus les théologiens catholiques à considérer le récit de la Genèse comme une narration populaire dont il faudrait seulement retenir le fond. Dans le discernement du fond et de la forme, le théologien n’est pas livré à son arbitraire personnel ; il se fonde sur l’idée du développement organique de la révélation. Pour saisir la signification profonde de l’enseignement divin, il ne s’en tiendra pas aux récits primitifs qui donnent l’ébauche de la révélation, mais il cherchera cette signification dans les livres qui sont au terme du développement de celle-ci. C’est ainsi que, pour le fait même de la chute, il retiendra ce que cette doctrine est devenue chez saint Paul et dans l’enseignement de l’Église ; il se contentera d’affirmer le fait moral de l’existence d’un précepte, de la transgression et de la perte des privilèges surnaturels en suite du premier péché.

On peut ainsi se tenir dans une réserve dogmatique prudente touchant la nature précise du fait moral de la chute : « Si les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament ne permettent pas de dire en quoi a bien pu consister le précepte imposé par Dieu à Adam, ils n’autorisent pas davantage à dire en quoi a bien pu consister la faute du premier homme, car la faute est spécifiée par le précepte dont elle est la transgression. » Labauche, Leçons de Iheol., t. iii, p. 58. La Commission biblique, elle-même, autorise expressément à prendre, touchant certaines expressions du récit, impropres, métaphoriques ou anthropomorphiques, les libertés que la raison demande et dont les Pères ont pris l’initiative. Dcnz.-LSan., n. 2124 et 2125.

b. Au point de vue theologique. — Cependant, la théologie rationnelle, en partant des suggestions du texte de la Genèse Vous serez comme des dieux. et du texte de l’Ecclésiastique : « Le commencement de tout péché, c’est l’orgueil », x, 15 (cf. Toble, iv, M), ne se tient point à cette réserve et pousse plus avant l’Investigation de la nature précise du fait de la chute. En lestant dans la ligne des suggestions révélées, elle voit, dans cette défaillance, à la suite de saint Augustin et de saint Thomas, un péché d’orgueil.

L’homme, pris entre l’interdiction légère qui lui rappelait sa radicale dépendance a l’égard de Dieu et l’instigation du démon le pou, s. ml a s’élever à une « lignite qui n’était point la sienne, s’est complu en lui-même ; il a eu l’orgueil de vouloir être toi par lui mime, d’être a soi même sa propre lumière ; il a refusé de n^lir tourné vers la vraie lumière : le dieu qu’il était, selon la forte expression d’Augustin, n’a

ompris qu’il ne pouvait être dieu par la vente de

sa propre nature, qu’il pouvait le devenir seulement

par l.i par ! Icipat ion an rai I >i<-u.

Ayant à choisir entre Dieu et lui même, U s’est pl. téré

i I iiiu ; il s’est révolté contre lui : il a voulu l’égaler en

agissant à sa guise, en se posant dans l’indépendance la plus absolue : sibi inniti voluit, dit saint Thomas. Bref, il a commis, dirions-nous aujourd’hui, le premier péché de « naturalisme » ; en ne voulant pas recevoir de Dieu la loi de sa propre vie, il a cru pouvoir se suffire à lui-même, vivre librement et heureusement sa vie.

Ce péché était grave non seulement en raison des circonstances dans lesquelles il fut commis, car l’homme avait été comblé par Dieu de privilèges, mais encore en raison de la nature du péché commis : ce n’était point un péché de faiblesse, mais une révolte de l’esprit ; cette révolte, par laquelle l’homme a voulu se faire centre de lui-même, et par laquelle, en fait, il se séparait de Dieu, se révélait grave surtout dans les conséquences qu’elle entraînait.

Cet acte mettait dans un état de péché habituel et d’endettement pénal non seulement Adam et Eve, personnellement, mais toute la famille issue de leur union. Parce qu’ils refusaient de se soumettre à la condition de la conservation et de la transmission des privilèges reçus, ils acceptaient sciemment de s’en voir frustrés eux-mêmes ainsi que leur race ; ils se mettaient dans l’impossibilité de récupérer jamais ces dons que leur nature était impuissante à recréer, comme elle l’avait été à les produire elle-même. L’homme se condamnait ainsi, lui et ses descendants, à la misère et au désordre. Désaxé dans son âme révoltée contre Dieu, faisant prédominer l’inférieur sur le supérieur dans l’ordre de l’esprit, l’homme déréglait du même coup le corps que l’âme anime. Ce corps, dépouillé du frein qu’il recevait par le privilège gratuit d’intégrité, était rendu à la fougue native de ses instincts ; cette liberté perdait toute capacité de mériter la vie surnaturelle, cette intelligence, enténébrée par l’ignorance congénitale à l’homme, marchait comme à tâtons désormais sur le chemin de la vérité ; elle était exposée à perdre rapidement ces vérités surnaturelles qui lui avaient été données gratuitement, qui auraient pu ne pas être connues et qui, par conséquent, pouvaient facilement s’oublier : cette volonté était entravée dans la poursuite du bien moral ; bref, l’homme encourait l’indignation de Dieu, était condamné à mort et, par le fait, placé sous la captivité du démon qui a puissance sur la mort ; Adam tout entier, dans son corps comme dans son âme, était changé en pis, in deterius commutatus.

Ce n’était point cependant la ruine. Adam restait avec sa nature, faible sans doute, mais doué du sentiment religieux inné en lui, fondamental, indestructible : il conservait la capacité de trouver le reflet de la divinité dans le monde comme dans son âme, capable de moralité, par conséquent de justice, d’amour, de remords, de repentir, capable d’ouvrir son âme à la grâce divine. Dieu a eu pitié de sa misère. Dès le lendemain de la chute, sa providence l’entoure ; il ne revient pas sur sa promesse de le faire participer à sa vie, il lui assigne, toujours la même destinée glo rieuse ; mais l’homme n’y pourra atteindre désormais que par la médiation du Sauveur : celle-ci est promise

iii premier homme et exerce déjà, par anticipation,

son influence à son endroit.

Adam reçut pour lui personnellement la grâce du relèvement, mais il ne l’a point reçu, comme la Justice originelle, pour la transmettre, La raison de tout cela ? C’est à la fois la disposition du plan divin et la nature des choses qui veulent qu’un privilège gratuit puisse être conservé ou perdu au gré des conditions du bienfaiteur, et que seule la structure de la nature soit immuable.

2. Fondement <lr cette doctrine. Cette doctrine di passi de beaucoup, sans les contredire, mais en tes complétant, les affirmations de i ; i raison.