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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. LA THÉOLOGIE CONTEMPORAINE

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Enfui, le péché originel implique l’idée d’une corruption de la nature humaine dans Adam avec transmission indéfinie de la nature ainsi corrompue ou détériorée, niais : « la psychologie et la biologie ne permettent que très difficilement d’accepter cette idée, que la nature humaine ait été altérée par un acte de péché, et qu’un tel elïet, supposé qu’il ait eu lieu, puisse se propager par voie d’hérédité physique. » F. Tennant, art. Original Sin, loc. cit., p. 5(34.

3° L’opposition de l’idéal rationaliste de sagesse, de bonté et de justice avec la doctrine du péché originel. — Ce dogme contredirait l’idée de la sagesse divine. Pourquoi, disent les rationalistes modernes, répétant sans le savoir Théodore de Mopsueste, supposer la création d’Adam dans un état de justice originelle, puisqu’il devait, Dieu le sachant bien, en déchoir aussitôt ? Pourquoi faire dépendre du seul Adam l’avenir de toute la race ?

Le Dieu qui, pour une seule faute, décréterait la déchéance du genre humain, qui damnerait et enverrait à l’enfer éternel des enfants morts sans baptême, qui n’ont jamais fait un acte de volonté, ne serait ni sage, ni juste, ni bon : « Quant à cette justice qui punit les innocents pour les coupables, et qui déclare encore coupable celui qui n’a pas agi, c’est la vendetta barbare, ce n’est pas la justice des hommes éclairés… Nous aurions honte d’imputer à Dieu ce dont nous aurions des remords nous-mêmes, si, comme législateurs humains, nous avions porté une pareille loi. » Paul Janet, Les problèmes du xixe siècle, p. 481. On s’étonne et l’on s’inquiète enfin, au nom d’un idéal de justice et de bonté, de la révoltante dureté que l’on décèle au fond de la conception catholique : Que doit-on admettre pour être chrétien ? : « que, incapables de nous purifier, nous sommes capables de nous souiller irrémédiablement ; et que le don gratuit, libre et facultatif en sa source, devient, pour le destinataire, inévitable, imposé et obligatoire ; en sorte qu’il n’y a pas, semble-t-il, symétrie entre les alternatives : puisqu’enfin ce que nous ne pouvons faire de nous-mêmes nous devient personnellement imputable si nous ne l’avons pas fait, et puisqu’un don gracieux se change en une dette rigoureuse. » Telle est la véritable difficulté exposée en ces termes par M. Blondel, Le problème de la philosophie catholique, Paris, 1931, et qui provoque dans les âmes non chrétiennes une inquiétude hostile à l’égard de la doctrine du péché originel. Cette impuissance et cette insuffisance de la nature humaine laissée à elle-même en face des exigences divines, une telle perte par la volonté d’un seul, pour le genre humain, de perfections morales d’abord concédées puis retirées, « cette substitution d’entraves spirituelles d’où résulterait un état de faiblesse morale tel qu’il entraîne une redoutable disproportion entre nos devoirs et nos forces, tout cela est voulu par Dieu et sans qu’il y ait faute de notre part. Ces données sont-elles conciliables avec la justice et la providence divines ? » F. Tennant, loc. cit., p. 564.

Telles sont les difficultés spécieuses fondamentales que rencontrent bon nombre d’esprits contemporains et qui leur rend difficilement assimilable la doctrine du péché originel. Pour y répondre d’une façon satisfaisante, un savant catholique (Edouard Leroy) a cru devoir en appeler à une conception pragmatique du dogme. Après avoir, en effet, traduit en formules pragmatistes les différents dogmes chrétiens, il aborde ainsi la question du péché originel : « Encore moins ai-je à m’appesantir maintenant sur le dogme du péché originel. Quelles difficultés ne soulève-t-il pas, exégétiques, historiques, scientifiques, philosophiques, lorsqu’on veut en définir le contenu objectif par ses déterminations extrinsèques… ? Rien de plus net, par

contre, au point de vue pratique et moral. Voilà ou jamais le cas de dire qu’une réalité mystérieuse nous est notifiée par les conséquences qu’elle a en nous et par les devoirs qu’elle impose. » Dogme et critique, Paris, 1901, p. 270,

Le principe de l’interprétation pragmatiste des dogmes, appliqué ici en passant au péché originel, a été condamné dans sa teneur générale par l’encyclique l’ascendi. Aussi ne peut-on s’y tenir. La tâche incombe donc au théologien de montrer la cohérence rationnelle de la doctrine reçue, dans sa signification intellectuelle et vitale à la fois, avec les exigences légitimes de la raison scientifique, historique, exégétique et philosophique.

III. RÉPONSES DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE AUX DIFFICULTÉS CONTEMPORAINES. Du Concile du

Vatican à nos jours, la théologie catholique s’est développée, d’une part, en reprenant un contact plus direct avec les sources de la foi, et leur interprétation rationnelle par les maîtres de l’École et particulièrement saint Thomas ; d’autre part, en opérant les assimilations de vérités nouvelles et les adaptations qui s’imposent en face du mouvement d’idées contemporain.

On se propose ici : 1° de caractériser ce progrès ; 2° d’en donner une idée par l’exposé synthétique de l’enseignement actuel (col. 582) ; 3° d’établir enfin, par manière de conclusion, la valeur de vérité et de vie de cet enseignement (col. 604).

I. CARACTÉRISTIQUES DES PROGRÈS RÉALISÉS. —

1° Retour aux sources de la foi et à la théologie de saint Thomas. — 1. Le progrès s’affirme d’abord dans une meilleure utilisation des sources de la foi : l’Écriture et la tradition, spécialement dans le souci d’établir la valeur précise de chaque preuve scripturaire ou traditionnelle, et de marquer le progrès de la révélation. Voir déjà dans ce sens Hurter, Theologiæ dogmaticæ compendium, t. ii, Inspruck, 1878, p. 234-244.

Les études de J.-M. Lagrange, J.-B. Frey, F. Prat, J. Freundorfer, citées ici, col. 276 sq., 286 sq., 289 sq., 306 sq., amènent de plus en plus les théologiens, sou, deux de critique, à accentuer la note de réservetouchant la valeur de certains textes de l’Ancien Testament : Ps., l, 7, et Job, xiv, 4, et à ne demander au grand texte de la Genèse que la preuve de la chute et d’une déchéance commune pour la famille humaine ; bref, à reconnaître que le dogme d’un péché héréditaire, suggéré seulement dans l’Ancien Testament par l’affirmation d’une peine commune transmise par Adam, n’a été révélé explicitement que dans saint Paul. Les mêmes théologiens témoignent d’un égal souci de mettre en relief les étapes et de caractériser le développement du dogme dans la tradition catholique.

Ainsi tombe le reproche fait par la critique rationaliste aux théologiens catholiques de déduire du seul texte de la Genèse toute la doctrine du péché originel et de mettre à la base de la tradition des affirmations explicites immuables que l’on ne trouve en fait qu’à la suite d’une longue élaboration de la vérité révélée.

2. Autre source du progrès théologique : on demande de plus en plus aux grands maîtres de l’École, et particulièrement à saint Thomas, la doctrine et les principes qui aident à pénétrer plus avant dans l’intelligence du mystère.

C’est ainsi que les thèses thomistes sur la nature de la faute d’Adam, sur le comment de la transmission du péché héréditaire, sur sa nature et ses conséquences s’imposent de plus en plus et deviennent parfois le sentiment commun dans l’Eglise. Voir déjà Mazzella. De Deo créante, p. 1074 ; Palmieri, De Deo créante et élevante, th. lxxviii : et nombre d’auteurs cités fréquemment ici.