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PÉCHÉ ORIGINEL. LA THEOLOGIE DES JÉSUITES


est que certains axiomes, condamnés par Pie V, se retrouvent presque littéralement, parfois même identiquement, dans sain) Augustin et le concile d’Orange. C’est Augustin qui a dit, avant liaïus, que les vertus des païens ne sont que des vices déguisés, que le libre arbitre n’a de pouvoir que pour le mal. L’Église, en condamnant Balus, aurait elle condamné saint Augustin ? liaïus le prétendait dans son Apologie, et certains historiens du dogme inscrivent ce fait au chapitre de l’histoire des « variations de la doctrine catholique ». La question vaut la peine qu’on essaie ici d’y trouver quelques principes de solution.

1. — Les propositions de liaïus, n’ont été condamnées que dans le sens propre qu’elles avaient dans ses livres. « Il est naturel de conclure que la proposition condamnée diffère de sens avec celle que l’on trouve chez des auteurs orthodoxes. C’est leur sens systématique, intérieur ;  ! la doctrine de Baïus, qui, des propositions baïanistes, fait des erreurs. Selon nous, c’est sa rigueur même… qui fait de l’augustinisme, tel que l’interprète Baïus, une doctrine hétérodoxe. » F.-X. Jansen, p. 198.

2. — Les axiomes sur l’impuissance du libre arbitre, et les vertus des infidèles ne rendent pas tout à fait le même son chez saint Augustin et chez Baïus. La raison en est que, chez le professeur de Louvain, ils sont posés dans l’absolu. Au lieu de corriger certains traits vraiment rigides de la pensée augustinienne par d’autres traits également augustiniens, mais de sens différent, au lieu d’être sensible à la contingence historique du point de vue antipélagien qui poussa Augustin à réagir tellement contre le naturalisme de Pelage qu’il semble proclamer l’inaptitude radicale de la nature au bien moral, Baïus n’a d’attention qu’aux affirmations sévères de l’évêque d’Hippone, il en développe toutes les conséquences et, de ce fait, ne nous donne, de sa doctrine, qu’une image inadéquate. au moins par les aspects qu’elle néglige.

Qu’on lise par exemple dans l’opuscule de Baïus, De virtutibus impiorum, le c. v, qui a pour titre : « Si Augustin nie que les vertus des impies, vertus qu’ils ne rapportent pas à Dieu, soient de véritables vertus, ce n’est pas pour la raison que ces vertus ne les conduisent pas au salut, c’est parce qu’elles sont des vices, et qu’elles les damnent », et qu’on le compare avec les passages d’Augustin où il est question des vertus naturelles de l’homme déchu (voir les multiples références dans J. Mausbach, Die Ethik des heil. Auguslinus, t. ii, p. 258-294, et Et. Gilson, op. cit., p. 190-191), particulièrement avec le De spiritu et littera, c. xxviixxviii, P. L., t. xliv, col. 230. L’on verra combien, sur ce point, la pensée d’Augustin diffère par ses nuances de celle de Baïus : in numéro impiorum quædam facla vel legimus, quie secundum justitise regulam non solum vituperare non possumus, verum eliam mente laudamus, quamquam si discutiantur quo fine fiant, vix inveniuntur quee justitise debitam laudem defensionemque mereantur. Il continue en reconnaissant que les gentils, au milieu de leur impiété, ne laissent pas de faire et de penser quelquefois des choses conformes à la loi de Dieu. C’est qu’ils sont hommes et peuvent faire quelque chose de bien sans avoir pourtant la vraie piété qui ouvre le ciel : Nam et ipsi homines erant et vis illa ineral eis qua legitimum aliquid anima rationalis et sentit et facil. mais non pas pietas quæ in aliam vitam transfert beatam et seternam. Ces bonnes actions, parce qu’elles ne peuvent trouver leur valeur surnaturelle que dans la foi, ne leur épargneront pas le châtiment, mais l’adouciront : nisi forte ut mitius puniantur. Ce n’est pas la thèse de Baïus qui ne voit, dans toutes ces actions des impies « que des vices et des péchés méritant le supplice ». Il est vrai qu’ailleurs saint Augustin affirme que toute action, même matérielle ment louable, qui se rapporte à l’homme et non à Dieu, sa fin véritable, cesse d’être vertu et devient vicieuse par le fait même. Il a écrit souvent : « Tout amour que nous éprouvons est ou mauvais, et alors il s’appelle cupidité ; ou droit, et alors il s’appelle charité ou dilection. » In psalm., ix, n. 15, P. L., l. xxxvi, col. 124 ; Contra Julianum, IV, iv, 35, t. xr.iv, col. 756-757 ; De qratin Christl, c. xxvi, 27, t. xliv, col. 374.

Tandis que liaïus. dans son De. libero arbilrio. c. vi, x, a affirmé que le pécheur, dans tous ses actes, sert le péché qui le domine, commet par le fait même des péchés formels qui damnent, saint Augustin affirme, en même temps, le libre arbitre et sa faiblesse extrême, c’est-à-dire la nécessité morale relative du péché : « Pour ne point faire le mal, écrit-il à Innocent, bien que le libre arbitre ne nous fasse point défaut, son pouvoir toutefois ne suffit pas, à moins que sa faiblesse ne soit secourue, tamen ejus potestas non sufficit nisi adjuvetur infirmitas. Epist., clvii, t. xxxiii, col. 570.

3. — Si les formules d’Augustin ne rendent pas un son aussi déterministe que celles de Baïus, il reste qu’elles n’affirment à la fois le libre arbitre et la nécessité relative du péché que d’une manière insuffisamment distincte. Il faut reconnaître le caractère inachevé, complexe, « énigmatique », de la théologie augustinienne touchant la question de la faiblesse de la nature déchue et particulièrement du libre arbitre. La faute de Baïus, comme celle de Luther, est de s’être attaché trop au côté dur et sombre de cette doctrine, « de n’avoir pas discerné chez le maître des vérités admises, mais développées moins complaisamment, des convictions présentes, mais restant dans la pénombre, ou exprimées à peine, comme en passant ». F.-X. Jansen, op. cit., p. 139. Il faut dire de la conception baïaniste et janséniste du péché originel ce que le P. J. de Guibert, Revue d’ascétique et de mystique, janvier 1922, p. 84, dit de la conception de la grâce : « Ce n’est pas impunément qu’au xviie siècle précisément des théologiens ont cru pouvoir étudier le dogme de la grâce, en s’adressant uniquement au grand docteur d’Hippone et en négligeant, comme trop barbares, les suites de la tradition scolastique qu’ils séparaient de lui. » Ce faisant, Baïus et Jansénius ont refusé l’achèvement, la « mise au point » de la doctrine qui s’était affirmée à cette époque si importante. Leur système est, de fait, archaïque en naissant. Le progrès dans l’élargissement des points de vue s’est fait et va se continuer par la consécration de la doctrine de l’École. L’Église, en écartant les pessimismes hétérodoxes va être amenée à ne pas mettre seulement en relief l’incapacité absolue de la nature déchue, mais à dresser le bilan de ce qui reste à celle-ci de force intellectuelle, morale et religieuse pour faire le bien, progresser et accueillir la grâce qui sauve. Par la bulle de Pie V, l’Église signifie qu’elle n’accepte pas le saint Augustin de Baïus comme conforme à sa tradition intégrale ; cet augustinisme rigide et pessimiste est rejeté comme inassimilable à sa doctrine. Elle se reconnaît, au contraire, dans l’augustinisme transformé de l’École, celui de saint Anselme et de saint Thomas, et celui de Duns Scot.

III. RÉACTIONS DIVERSES DE LA THÉOLOGIE, DU

xvie au xviiie siècle. — La pensée théologique oscille entre deux pôles opposés : celui d’un optimisme modéré en continuité avec la doctrine des maîtres de l’École : saint Thomas, Duns Scot, Occam et Biel, et celui d’un pessimisme spirituel issu d’un augustinisme parfois exagéré et simplifié qui a sa manifestation extrême dans le jansénisme. Celui-ci est éliminé, dans la mesure ou il est inconciliable avec la tradition générale, par la condamnation des erreurs de