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PECHE ORIGINEL. CONDAMNATION DE BAIUS


avait emprunté les principes et les expressions à saint Augustin lui-même.

Baïus aurait pu invoquer, il est vrai, bien des textes des augustiniens du Moyen Age où l’on soutenait que tous les mouvements de la concupiscence sont des péchés, les plus spontanés aussi bien que les plus volontaires. Voir art. Luther, col. 1210-1212. C’a été précisément le bénéfice des décisions du concile de Trente et de Pie V d’avoir écarté les idées imprécises ou fausses sur ce point, d’avoir marqué les vrais rapports de la concupiscence au péché originel, et d’avoir jugé irrecevable, du point de vue catholique, l’identification de la concupiscencecomme telle avec cepéché.

3° Un troisième progrès consiste dans le désaveu du pessimisme outré de Baïus touchant les suites fâcheuses du péchi originel soit dans les infidèles, soit dans les baptisés. — Tandis que Luther déclarait que la liberté après la chute n’est qu’un « vain mot —, que Calvin montrait l’âme déchue « abysmée en ce goulîre d’iniquité, non seulement vicieuse mais aussi vuide de tout bien », le concile de Trente, tout en affirmant bien haut que les hommes déchus sont dans l’incapacité absolue, laissés à leurs seules forces, de se sauver eux-mêmes, avait maintenu une certaine force au libre arbitre : le péché d’Adam n’a pas détruit en l’homme déchu le libre arbitre ; il l’a seulement atténué et incliné ; celui-ci peut encore et doit coopérer à la grâce ; s’il ne peut rien pour la justification, il doit y disposer en consentant librement à cette grâce et en y coopérant. Le théologien de Louvain, pourtant, avait méconnu cet enseignement : Pie V, en condamnant les propositions tirées de ses livres, relatives au libre arbitre et à ses forces dans l’état de nature tombée, ne fait que développer et préciser l’enseignement donné à Trente. Prop.39, 41, 66.

Ce qui est rejeté, par voie de conséquence, c’est l’idée qu’il n’y a pas d’honnêteté en dehors du motif religieux de la foi et de la charité, que toutes les actions des infidèles sont nécessairement des péchés proprement dits, et que les prétendues vertus des philosophes sont des vices, que le libre arbitre laissé à ses seules forces ne peut que pécher. Ce qui est équivalemment affirmé, c’est cette doctrine que résument les docteurs de Louvain dans la déclaration suivante : « Le péché du premier homme, en affaiblissant les forces du libre arbitre, n’en a pas tellement énervé tout principe du bien, que sans le secours de la grâce il ne puisse que pécher ; car il sort encore de ce fond endommagé des actions utiles au bien de la société, des actions louables propres à former les mœurs et des trails de sagesse pour le gouvernement des états. Des actions de ce caractère ne peuvent, en aucune manière, Être regardées comme autant de péchés : par conséquent, on .i torl d’enseigner que le libre arbitre, soit dans les infidèles, soit dans les fidèles, n’a de force que pour pécher, C. v, Baïana, p. n>7 sq.

En commentant les propositions 25, 29, 30, 37, les mêmes docteurs dégagent ainsi la doctrine opposée à Baïus : II reste dans la nature tombée un Jugement sain sur plusieurs devoirs de la vie. et un amour natu rel du bien honnête dont la source se trouve dans les forces de celle n ; itiire qui n’est pas totalement dépravée. Aussi, reconnaître quelque bien naturel.’est, i dire un bien qui ait pour principe les seules

forces de la nature, sans le secours spécial de la île Jésus-Christ, ce n’est nullement penser comme Pelage on donner dans son hérésie, c’est, au contraire, acquiescer > une vérité manifeste Balema, c. v. p. 168.

Enfin, par la condamnation des propositions 34, 36 ci 38, tirées do » r carttate, Pie V refuse d’enserrer l’ordre de la moralité dans ce dilemme : ou cupidité vicieuse ou charité Baïus écrivait : r Non délivrer

volonté est toute cupidité : c’est là le vrai nom de la volonté et cette cupidité n’est pas l’addition d’une nature étrangère, c’est le vice de la nôtre : or, si la volonté, non encore délivrée, est tout entière cupidité

— laquelle est un vice — c’est donc par cette cupidité vicieuse qu’elle fait tout ce qu’elle fait et, de la sorte, elle n’est déterminée qu’à pécher. » De virtutibus impîorum, c. viii, p. 70. En condamnant la proposition 38 : « Tout amour de la créature raisonnable est ou bien cupidité vicieuse par laquelle on aime le monde, ou cette louable charité par laquelle on aime Dieu et que le Saint-Esprit répand dans nos cœurs. » Pie V reconnaît un moyen terme entre cette cupidité vicieuse et la charité.

Par la position prise en cette circonstance. l’Église opposait au pessimisme moral de Baïus le sage optimisme de l’École : la chose est de grande conséquence. F.-X. Jansen le met bien en relief. — Mais l’Église, en canonisant l’optimisme modéré et sage de la scolastique dans son jugement sur les suites du péché originel, n’a-t-elle point faussé compagnie à l’évêque d’Hippone, et, en condamnant Baïus, rejeté l’enseignement du docteur de la grâce ?

4° La bulle de Pie V n’accuse pas une rupture de continuité dans l’enseignement de l’Église, c’est plutôt un élargissement de point de vue ; elle consacre les développements de la réflexion théologique de l’École sur la vérité traditionnelle ; elle révèle, de ce fait, une conscience plus nette de la complexité des aspects de la vérité dogmatique tout entière et de ses rapports avec la vérité philosophique en ce qui concerne le péché originel et ses suites. En évoluant ainsi, elle n’a point changé substantiellement.

Il est certain que la pensée de Pie V est en continuité avec l’interprétation traditionnelle, adoucie, élargie, mise au point, que l’École, en gardant contact avec la tradition intégrale de l’Église, avait donnée depuis longtemps de la pensée de saint Augustin. Nous avons vu saint Anselme pratiquer cette interprétation large et critique de certains aspects de l’augustinisme, de même, Pierre Lombard, le grand disciple de saint Augustin au xiie siècle, dans sa conception du sort des enfants morts sans baptême. Saint Thomas avait fait la synthèse de saint Augustin, du pseudo Denys et d’Aristote. Saint Bonaventure, commentant la parole du maître Omnis vita infidelium peccatum est n’ajoutait-il pas cette glose qui la dénature quelque peu id est, non sine peccato est ? i cela ne veut pas dire, continuait il. que toute leur vie soil faite de démérite, mais qu’aucune de leurs actions ne peut les délivrer du péché, tant qu’ils persistent dans leur infidélité », //i 7/um Senf., dist. XLLdub.n, éd. Quaracchi, p. ! ».">’.. Cette exégèse est, certes, influencée par des considérations qui étaient hors de l’horizon d’Augustin, mais saint Bonaventure sait qu’il faut, dans l’interprétation du maître, tenir compte des contingences de son point de vue ant ipélagien. lii autre august inien. Grégoire de Bimini. qui pourtant suit de près le grand docteur, objecte : Ilir loculus est toe, ni se maxime clangarcl a sententia heereticoriim. In //" m Sent., dist. XXX XXXI, q. iii, a. I. éd. Venise. 1518, fol. loi.

Par sa bulle, le pape Pie V consacrait ainsi cette

Interprétation de l’augustinisme, mitigée, élargie, ira ditionnelle ri ans l’École depuis cinq siècles ; il écai i.ni. par le fait, une exégèse littérale, Inadéquate

pensée de l’Église, faussée parfois par les omissions on

les exagérations de son commentateur, il rejetait. comme non conforme à la doctrine Ivante de l’Église. iees que le professeur de Louvain croyait devoir mettre sous le patronage de saint Augustin.

Mais le saint Augustin de Baïus n’est il point le véri table docteui de la grâce et du péché originel ? i c fait