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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. LA RÉFORME PROTESTANTE

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I. DÉFENSE ET PRÉCISION DE LA DOCTRINE EN FACE

de la RÉFORME. - Depuis les controverses pélaiennes, l’Église n’avait point eu à intervenir solennellement pour préciser la doctrine définie aux conciles de Carthage, de Milève et d’Orange. Durant plus de mille ans, elle s’était contentée de maintenir cette doctrine par la voie ordinaire de l’enseignement de ses évêques et de ses docteurs ; ses théologiens l’avaient approfondie dans de sérieuses discussions d’école : une intervention du concile provincial de Soissons, en 1140, appuyée par la réaction de l’Ecole, avait eu vite raison de la théorie d’Abélard, et l’opinion minimiste, semblable à celle-ci, de Durand de Saint-Pourçain avait été repoussée non moins rapidement au xive siècle.

L’Église était donc en possession tranquille de sa foi quand surgirent, en des sens divers, les idées révolutionnaires des réformateurs. Ce fut pour elle l’occasion, au concile de Trente, d’affirmer et de préciser solennellement la foi traditionnelle en face de l’erreur ; ce fut l’occasion, pour ses théologiens, d’opposer, d’une part, à l’idée pessimiste de Luther et de Calvin, d’autre part, à l’idée trop optimiste de Zwingle sur la nature humaine, l’interprétation catholique plus mesurée du péché originel et de ses suites. — 1° Idées des réformateurs sur le péché originel. — 2° Condamnation des doctrines de Luther (col. 513). — 3° Opposition des théologiens catholiques aux premiers réformateurs (col. 527).

I. LES IDÉES DES RÉFORMATEURS SUR LE PÉCHÉ ORI-GINEL. — La Réforme, dès ses débuts, s’est divisée sur la question du péché originel. Tandis que Luther et Calvin prêchent la corruption totale de la nature humaine, même dans le baptisé, Zwingle ne veut voir dans le péché originel qu’une maladie et non une culpabilité de cette nature.

Luther et Calvin.

La doctrine de ces deux réformateurs

a été largement exposée à l’art. Luther (influence de l’augustinisme, col. 1188-1209 ; la déchéance originelle, col. 1209-1221 ; le serf arbitre : controverse d’Érasme et de Luther, col. 1283-1295), et à l’art. Calvinisme (ce que Calvin a emprunté à Luther : la théorie de l’ordre surnaturel, du péché originel et de ses conséquences, notamment quant au libre arbitre, col. 1400-1406).

Il suffit d’en résumer les principaux points, ceux surtout par lesquels elle s’oppose aux définitions du concile de Trente, et, par contraste, aide à en saisir le sens et la portée.

Luther, dès 1518, est en opposition de pensée avec la théologie scolastique : « Il y a bientôt trois cents ans, écrit-il, contre le dominicain Priérias, que l’Église souffre de cette passion malsaine, de cette véritable luxure qui vous pousse à corrompre la doctrine, dommage sans pareil qui lui vient des docteurs scolastiques. » Éd. de Weimar, t. i, p. 677, 1. 9.

Deux mois après, il précisait : « Assurément saint Thomas, le bienheureux Bonaventure, Alexandre de Haies sont des hommes remarquables ; il n’est pourtant que juste de leur préférer la vérité, puis l’autorité du pape et de l’Église… Depuis plus de trois cents ans les universités, tant d’esprits remarquables n’ont su que peiner sur Aristote, répandant ses erreurs plus encore que le vrai qu’il avait pu enseigner. » Weimar. t. i, p. 611, 1. 21.

Par contre, il subit l’influence de l’école augustinienne qui s’autorise du Maître des Sentences. Plus encore que les influences d’école, ses expériences personnelles l’amènent à des vues pessimistes sur la condition de l’homme déchu, et le conduisent ainsi au de la des vues des plus sombres augustiniens. Il identifie le péché originel avec la concupiscence comme telle, et enseigne la permanence de ce péché dans le baptisé. Dès ses Dictées sur le psautier, il écrit : « Dans

les baptisés, les mouvements de la nature sont toujours mortels, mais Dieu ne les regarde plus que comme véniels. » Weimar. t. iv, p. 343, 1. 22 (Ps. cxviii, 75).

Dans le Commentaire sur l’épUre aux Romains, la théorie de la corruption intégrale de l’homme déchu est pleinement énoncée : « Qu’est-ce donc que le péché originel ? D’après les subtilités des théologiens scolastiques, c’est la privation ou le manque de la justice originelle… Mais, d’après l’Apôtre et la simplicité du sens chrétien, c’est la privation entière et universelle de rectitude et de pouvoir (pour le bien) dans toutes les énergies tant du corps que de l’âme, dans l’homme tout entier, homme intérieur et homme extérieur. » J. Ficker, Luthers Vorlesung ùber den Rômerbriej, t. ii, p. 143-144.

Dès là que la concupiscence a tout envahi dans l’homme déchu, qu’elle est une force invincible, il faut nier le libre arbitre : de là, sa théorie du serf arbitre : « Être déchu, l’homme n’a pas de liberté pour le bien ; être fini, il n’a aucune liberté. »

Dans sa dispute de Heildelberg (1518), il soutenait déjà que la liberté pour le bien n’était qu’un titre sans réalité. W., t. i, p. 354, xin c thèse. C’est surtout dans son écrit sur le serf arbitre contre Érasme, en 1525, qu’il affirme la corruption irrémédiable de la nature déchue et la mort du libre arbitre. Ce dernier est un vain titre, comparable à ceux dont se parent les rois déchus. W., t. xviii, p. 637, 1. 20. « Sans doute, dans le domaine naturel, le libre arbitre est encore une réalité, nous pouvons nous décider à manger, à boire, à engendrer, à commander. > » Mais, dans le domaine de la grâce, il n’en n’est rien. P. 752, 1. 6. La volonté c’est la mort, l’aversion de Dieu, l’insubordination inguérissable. .. Pour tout dire en un mot, « la volonté de l’homme n’est pas libre ; elle ne s’appartient pas ; elle est l’esclave du péché et de Satan ». P. 750, 1. 34. « Signification et réalité d’un mot si glorieux, nous avons tout perdu. » P. 637, 1. 17.

Calvin n’est pas moins formel que Luther dans sa négation du « franc arbitre ». « L’homme, remarque-t-il dans l’Institution chrétienne, t. II, c. ii, est moralement dépouillé du franc arbitre et misérablement assujetti à tout mal. »

Pour les deux chefs de la Réforme, la déchéance orinelle entraîne donc une corruption radicale, irrémédiable. Elle consiste dans le déchaînement de cette force indomptable par le libre arbitre qu’est la concupiscence. Cette concupiscence en elle-même, indépendamment de toute relation morale avec la faute d’Adam, demeure, même dans le baptisé, comme un péché qui n’est plus imputé. Tel est le fond du débat entre les premiers luthériens et les tenants de la doctrine traditionnelle. Dominique Soto le remarquait déjà. De natura et gratia, Anvers, 1550, t. I, c. xi, p. 32.

Aussi peut-on dire avec Bellarmin : « Toute la controverse entre catholiques et luthériens est de savoir si la corruption de la nature et surtout la concupiscence en soi, telle qu’elle demeure dans les baptisés et les justes, est proprement le péché originel. » De amissione gratiæ et statu peccati, t. V, c. v, Opéra, éd. Vives, t. v, p. 401.

Zwingle.

A l’opposé de Luther qui exagérait la

corruption de la nature humaine, et proclamait l’incapacité absolue de la nature déchue pour le bien, Zwingle, en humaniste, acceptait et enseignait la possibilité pour l’homme de connaître Dieu, quanwis parcius et obcurius, en dehors de la révélation. Après avoir d’abord confessé la culpabilité de la nature déchue, il en vint à regarder le péché originel seulement comme un défaut de cette nature, une dette de mort et de pénalités contractée à l’occasion de la faute d’Adam. Diximus originalem contagionem morbum esse, non peccatum ; seroum nasci misera conditione, non rulpa