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PÉCHÉ ORIGINEL. LA REFORME PROTESTANTE


toute affliction et de toute douleur, mais non de connaissance.

Biel se rallie à l’opinion plus douce et tire quelques conclusions probables : les enfants ne connaîtront pas la peine des sens : la justice le réclame, le péché originel n’ayant rien de positif : Injuslum est plus exigere in pœna quam commissum est in culpa. Dist. XXXIII, q. un., a. 2, concl. 1 ; en eux, il n’y aura ni peine du ver, ni tristesse intérieure, mais seulement privation de la vision béatiflque : c’est relativement une peine légère, divins ? visionis et fruitionis carenlia et detentio in loco vili…, in limbo puerorum, qui est locus proximus inferno damnatorum. Ibid., concl. 4.

A l’objection tirée de saint Augustin, Biel répond, comme saint Bonaventure et Duns Scot, que le langage du grand docteur s’explique par la polémique antipélagienne.

C’est bien là l’enseignement reçu dans l’École. Altenstaig le résume à l’article Limbus puerorum : In hune locum (limbum) descendunt parvuli qui decedunt in peccato originali, quibus nulla pœna debetur eo quod nullum cotnmiserunt peccatum actuale, debetur eis tamen pœna damni quæ est carentia divinæ visionis eo quod perpétua originali maneant maculati et iste limbus dicitur conjunctus inferno, quamvis in eo sit nulla pœna sensus. Op. cit., fol. 176 r°.

Nos auteurs ont conscience, pour le fond, d’être d’accord avec l’Église et, pour le reste, de se mouvoir sur le terrain des opinions libres.

La croyance officielle de l’Église, en effet, ne les contredit point. Innocent III excluait déjà expressément les tourments de la géhenne de la peine du péché originel : Jean XXII, plus tard, dans une lettre aux Arméniens, 1321, Denz.-Ban., n. 3049, reconnaît, lui aussi, que les peines du péché originel ne sont point pareilles à celles du péché actuel, et que les enfants morts sans baptême sont dans les régions inférieures, en un séjour spécial : Docet (romana Ecclesia) illorum animas quæ in mortali peccato vel cum solo originali discedunt, mox in in/ernum descendere, pœnis tamen ac locis disparibus puniendas.

La définition de Florence (1439), qui ne veut rien innover, et qui répète exactement le formulaire de Michel Paléologue (1267) et celui de Jean XXII (elle laisse cependant tomber le mot locis de celui-ci) ne peut avoir un sens différent. Le commentaire historique de ces définitions est à rechercher dans l’enseignement commun de l’École depuis le xir siècle : la peine du péché originel est purement privative, et le séjour des enfants morts sans baptême est différent de la géhenne. En dehors de cela, on discute librement dans l’École sur la modalité de cette peine. Les uns la veulent alflictive, les autres déclarent qu’elle peut, ’i re réelle sans être sentie. L’Église, comme l’École, ne fait nullement un dogme de l’opinion de sain ! Augustin sur le sort des enfants morts sans baptême. Si l’on Consulte les docteurs du Moyen Age. et particulière ment liiel et Altenstaig qui en sont les échos à la veille de la Réforme, il ne peut être question d’une objection redoutable, à tirer de l’enseignement officiel de l’Église à Florence, contre la doctrine alors commit nément reçue sur les suites du péché originel dans l’autre vie. C’est, au contraire, d’un accord sur le fond qu’il faut parler.

j" L’extension universelle du péché originel. Le privilège

de la vierge Marie. — L’extension de la dette de la culpabilité et de la peine du péché originel ; i tous les llls d’Adam, par voie de génération naturelle, est une vérité indiscutée dans l’Église.

Sur l’extension de cette loi à la ieri^c Marie, on discute dans l’École. Miel expose longuement les deux opinions opposées sur ce point In ///um Sent., dist. III,

q. i, mais il tient celle qui est favorable au privilège comme la plus vraie, la plus commune, la plus probable et il la défend comme Gerson : Sermo de conceptione Maria’virginis, pars II ; de même, Altenstaig, art. Conceptio, pense que les anciens docteurs s’y rallieraient s’il leur avait été donné de vivre à son époque. Fol. 37 r°. On sait qu’alors les thomistes s’en tenaient encore à la lettre du Maître.

La rémission du péché originel par le baptême.


Dieu pourrait, selon Biel, de potentia absolula, remettre le péché originel par une simple non imputation per solam non imputationem verbi. En fait, d’après sa volonté positive, de potentia sua ordinata, il ne remet le péché qu’en nous rendant ce dont le péché nous prive, au moins d’une façon équivalente : non remitlil nisi restituendo justitiam originalem aul gratiam gratum facientem quæ excellentior est justitia originali. Infundendo autem gratiam, tollit debitum habendi justitiam originalem et ipsam commutât in debitum habendi gratiam. In IIum, dist. XXXII, q. un., A. Ainsi, la grâce sanctifiante, qui est un bien plus excellent que la justice originelle, nous est donnée par le baptême ; notre obligation, qui consistait, avant la régénération, à devoir la justice originelle, est commuée en une dette équivalente : nous devons toujours garder la grâce sanctifiante.

Conclusion. — Telle était, à la veille de la Béforme, l’idée cohérente, mesurée, sur le péché originel, à laquelle avait abouti, dans l’École, six siècles d’intense réflexion théologique. Ce travail de mise au point s’était opéré dans le respect de la tradition dogmatique mais aussi avec une large liberté dans les interprétations théologiques. La synthèse, qui en ressortait, n’était pas certes la pure reproduction de toutes les thèses d’Augustin ; elle était mieux que cela : elle en était l’interprétation autorisée par l’Église.

Celle-ci avait sans doute canonisé ce qu’il y avait de traditionnel dans les thèses d’Augustin, mais elle ne s’était jamais liée au système théologique du grand docteur. Elle reconnaissait aussi des échos de sa propre voix chez les Pères de l’Église d’Orient. Les théologiens du Moyen Age ont su prêter l’oreille à quelques-unes des voix des Pères grecs : à les écouter, ils ont appris à regarder avec plus de confiance ce qui restait encore de bonté et de force dans la nature même après l’appauvrissement de la chute ; avec le pseudo-Denys, ils ont compris le caractère purement privatif du péché originel et de ses suites. Des idées et du langage d’Augustin, ils ont laissé tomber sciemment ce qu’ils estimaient commandé par les seules préoccupations antipélagiennes du moment : Et sic ssepe sancti extinguentes hæreses pullulantes excessive locuti sunt et mullum ideo ponderandum est contra quos hiereticos sancti locuti sunt. Biel, In llum, dist. XXXIII, q. un., a. 2, dub. i.

Les conflits doctrinaux qui vont se succéder à partir du xvi c siècle autour de la notion du péché origine), vont naître dans une certaine mesure d’une méconnaissance de la valeur catholique de cette interprétation progressive qu’ont donnée, durant six siècles, avec des nuances diverses, de la pensée augustinienne. les maîtres de l’École et particulièrement saint Thomas d’Aquin.

VIII. LES RÉACTIONS DOCTRINALES DE L’ÉGLISE ET DES THÉOLOGIENS CATHO-LIQUES EN FACE DE L’ERREUR, DU XVI" AU XVIII" SIÈCLE. — On étudiera successivement : I I i défense et la précision de la doctrine en taæ de la Réforme. II. Les précisions amenées par la

controverse balaniste (col. 531). ni. Les réactions

diverses de la théologie du xvr au wiu’siècle (col. 5HI).