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PÉCHÉ ORIGINEL. LE DÉBUT DU XlVe SIÈCLE


dans R. Martin, p. 194-208. Son influence ne devait point pourtant être de longue durée. L’opposition vigoureuse faite à ses idées par Hervé de Nédellec d’abord, par d’autres dominicains ensuite, finira assez rapidement par triompher.

Le courant anselmo-thomiste.

Dès la fin du

xiii c siècle, la doctrine de saint Thomas sur le péché origine] trouve de bons interprètes et des défenseurs avisés dans l’ordre dominicain.

On peut citer, parmi eux, Guillaume Godin qui aborde et interprète, dans l’esprit de saint Thomas, les problèmes classiques en matière de péché originel. Déjà, à cette époque, il se réfère à la Somme de préférence au Commentaire sur les Sentences pour expliquer la culpabilité et le mode de transmission du péché héréditaire. R. Martin, Les questions sur le péché originel dans la « Lectura thomasina » de G. Godin, dans Mélanges Mandonnel, t. i, Kain, 1930, p. 411-421.

A la même époque, Robert de Colletorto s’applique, en s’aidant particulièrement de saint Thomas, dont il cite la Somme, à réfuter la thèse de Henri de Gand selon laquelle l’homme formé par un miracle du membre d’un autre homme, souillé du péché originel, contracte le vice héréditaire. Voir texte dans R. Martin, p. 15-19.

L’interprète le plus brillant de la pensée thomiste à cette époque, son défenseur le plus solide, contre l’augustinisme de Henri de Gand, et le criticisme aventureux du Doctor modernus, c’est Hervé de Nédellec, et, avec lui, des auteurs de second ordre, comme Pierre de la Palu et Jacques de Lausanne.

1. Hervé de Nédellec († 1323). — a) Sa réplique à Henri de Gand. — Il réfute les thèses du maître gantois dans son Commentaire des Sentences, t. II, dist. XXX, dans Martin, op. cit., p. 25-42, particulièrement 29-31 ; et dans la Quæstio de peccato originale Ibid., p. 50-13) et particulièrement p. 96-102.

L’affection corporelle morbide, dans la nature déchue, ne pourrait être le péché originel qu’à deux titres, soit parce que la souillure de la chair, fœditas carnis, aurait, comme telle, caractère de péché, soit parce qu’elle serait la cause de l’inclination désordonnée des forces inférieures à la rébellion. Or, aucune de ces deux hypothèses n’est admissible.

Hervé insiste particulièrement sur ce fait que la rébellion de la chair contre l’esprit ne doit point s’attribuer à une disposition morbide positive, mais simplement à un défaut naturel, conséquence de la constitution même de la nature humaine laissée à elle-même ; dans l’homme créé in puris naturalibus, cette rébellion n’aurait point caractère de faute ; ce défaut apparaît dès que Dieu enlève le frein surnaturel de la justice originelle. Quæst. de pecc. orig., p. 98.

Ce n’est pas la disposition mauvaise de la chair qui explique, par voie de contact avec l’âme, la transmission du péché ; il n’y a pas propagation de celui-ci en dehors de la communication de la nature par voie ordinaire, secundum ralionem seminalem. In II am Sent., dist. XXX, p. 37-38.

b) Réplique à Durand de Saint-Pourçain. — Hervé de Nédellec, par sa connaissance des œuvres de saint Thomas et par ses premiers travaux où il réfutait Henri de Gand, était préparé à mener à bien la discussion des thèses de Durand. Déjà, dans ses premières œuvres, on trouve tous les principes qu’il va faire valoir contre le Doctor modernus. Sa réponse se précise de plus en plus dans les ouvrages suivants : Responsio ad Jac. Metensem (vers 1310), éd. cit., p. 211-214 ; Quodl., IV. q. xiv (vers 1311), éd. cit., p. 220-233 ; Reprobaliones excusationum Durandi (vers 1315), p. 375-390 ; Correctiones supra dicta Durandi in Quodl. I Aven, (vers 1315), p : 393-398. Il élucide surtout les points suivants :

a. Existence d’une faute transmise par la génération.

— C’est une vérité de foi appuyée sur l’autorité de la nouvelle Loi et de la Genèse, et fondée sur des probabilités rationnelles. In II™ Sent., dist. XXX, p. 27-21° : Qusest. de pecc. orig., p. 55 sq. Le péché originel est proprement une faute : Alia est opinio, quee magis dicenda est sententia fidei catholicæ quam opinio, quod peccatum originale est proprie culpa. Quodl., IV, q. xiv, p. 223.

Il n’est point seulement une peine ou une obligation à la peine mais une faute proprement dite. Hervé montre, dans les Reprobationes excusationum, que ce n’est point là seulement une thèse traditionnelle, mais bien l’affirmation même de Pierre Lombard, bien que Durand paraisse dire le contraire. Voir p. 379. Il y insiste dans les Correctiones super dicta Durandi en redressant encore la fausse interprétation donnée au Maître des Sentences par Durand et en citant l’autorité de frère Thomas dicenlem quod ponentes peccatum originale esse reatum, ponunt peccatum originale solum nomine tenus, sed re hoc negant, p. 396.

b. Caractère de culpabilité de ce péché. — Toute la réponse d’Hervé à Durand est dominée par cette idée thomiste : la moralité issue d’un acte de volonté ne s’étend pas seulement à cet acte même en tant qu’il jaillit de la volonté, actus elicilus, mais se fait sentir jusque dans tous les mouvements, effets lointains que la volonté s’associe comme instruments en les marquant de son empreinte, actus imperatus. Quæst. de pecc. orig., p. 58-59

Pas plus pour le démérite d’Adam que pour les mérites du Christ, il ne peut être question de la transmission de l’acte qui est propre à Adam et au Christ, mais de l’effet ultérieur. Quodl., IV, q. xiv, p. 231. En Adam, il faut distinguer le péché commis et le péché transmis. Le péché commis c’est un acte désordonné d’orgueil, personnel, intransmissible comme tel, cause cependant d’un mouvement désordonné qui s’incarne dans toute la race. Le péché transmis jaillit d’Adam comme de son principe ; mais il s’étend, par son effet, à tous ceux qui participent à sa nature. De pecc. orig., p. 69.

Comment alors un défaut hérité peut-il avoir caractère de faute ? C’est qu’il y a là un état désordonné du fait de la volonté libre du chef de la race qui l’a créé dans la nature humaine. Il n’y a pas à être fautifs que les actes immédiats de la volonté, mais aussi les effets les plus lointains impérés par celle-ci : Dieu ne reproche pas à l’enfant son état, comme si celui-ci avait pu l’éviter, mais le voyant dans cet état désordonné par le fait de la volonté d’Adam auquel il avait confié le bien de la nature, il ne peut l’agréer. Sicut si aliquis moveat gladium adpercutiendum indebile, motus gladii est malus motus imputabilis et gladius redditur detestabilis ex hoc quod fuit instrumentum et subjectum talis motus. In II am Sent., dist. XXX, p. 35.

On devine qu’il y a, de ce fait, des degrés dans le caractère de culpabilité d’un mal. Ainsi y a-t-il une large marge entre la façon dont le péché est imputé à Adam et celle dont il l’est à ses descendants. L’enfant est objectivement en faute, quoique, activement, il n’ait pas été cause de sa faute. Resp. ad Jac. Melens., p. 213.

C’est une culpabilité dérivée, secondaire, instrumentale, cependant réelle : c’est celle de l’empreinte désordonnée laissée par la volonté du chef de la race dans ses membres. Quodl., IV, q. xiv, p. 230. Ce n’est pas seulement une culpabilité interprétative, juridique, fictive, ce ne serait plus là une véritable culpabilité, Correctiones, p. 394. Ce n’est pas une culpabilité non plus métaphorique, mais quelque chose de réel, de commun au péché originel et au péché actuel. Ibid., p. 393.