Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée
487
488
PECHE ORIGINEL. SAINT THOMAS


raison de la condition du sujet : ce sujet, c’est l’homme et il se trouve sans la grâce, alors que c’est seulement par la grâce que se fait la rémission de la peine. » Q. LXXXVII, a. 5. ad 2° m.

Ce péché entraîne donc la perte de celle vision intuitive qui donne un couronnement et un épanouissement inespéré à notre nature telle que Dieu l’avait faite en sa constitution. Toutefois, cette privation, peine consécutive à la faute du chef de la nature, imprimée dans ses membres, ne peut être cause d’une affliction positive pour des âmes qui ne connaissent pas d’expérience les réalités transcendantes de l’ordre surnaturel et qui ont la sagesse de limiter leurs désirs à ce qui est possible. « Les âmes des enfants, dit saint Thomas, ne manquent pas de la connaissance naturelle, savoir de celle qui est due à l’âme séparée selon l’exigence de sa nature, mais elles manquent de la connaissance surnaturelle qui est implantée en nous ici-bas par la foi, parce qu’elles n’ont pas eu en ce monde la foi, et n’ont pas reçu le sacrement de la foi. Or, par la connaissance naturelle, l’âme sait qu’elle est créée pour la béatitude et que la béatitude consiste dans la possession du bien parfait. Mais que ce bien parfait, pour lequel l’homme est créé, soit la gloire dont jouissent les saints, c’est chose qui dépasse toutes les données de la nature. Ainsi, l’Apôtre dit que l’œil n’a pas vu… ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment. Les âmes des enfants ignorent donc la privation dont elles sont les sujets, et dès lors n’en soutirent nullement, mais possèdent sans douleur les biens qu’elles ont par nature. » De malo, q. v, a. 3. Et il ajoute : « S’ils sont séparés de Dieu quant à l’admission de la gloire, ils ne le sont pas par la participation aux biens naturels, et ainsi ils peuvent se réjouir de lui par la connaissance et l’amour naturels. » Ibid., ad 4um. Si l’on définit avec l’École la béatitude un état de perfection auquel ne manque aucun des biens que comporte l’ordre établi par Dieu, il ne pourra être question ici de vraie béatitude, même naturelle : « Les enfants morts sans baptême sont en état de coulpe, ils sont frappés de déchéance, ils ont manqué la fin à laquelle les destinait l’ordre actuel de providence. Le mot de béatitude a donc une portée qui ne trouve pas en eux une application et c’est pourquoi nous nous contentons de dire qu’ils possèdent sans douleur les biens qu’ils ont par nature. » L. Billot, suite de l’art, cité, Études, 5 avril 1920, p. 32.

Saint Thomas n’ignorait pas les paroles du De fide ad Pelrum, sur la peine du feu pour les enfants ; mais, à la suite d’Abélard, d’Honorius d’Autun, de Pierre Lombard, de saint Bonaventure, il les expliquait d’une façon assez large : « Le supplice dont il est question dans le De fide ad Petrum n’est pas la peine du sens, mais seulement la peine du dam, c’est-à-dire la privation de la vue de Dieu. On sait que l’Écriture donne souvent le nom de « feu » à une peine quelconque. » In II"™ Sent., dist. XXXIII, q. ii, a. 1, ad lum. Cette exégèse de la pensée augustinienne vaut ce qu’elle vaut. En tout cas, le fait est que saint Thomas, plus averti que saint Augustin de la distinction entre le péché de nature et les péchés personnels et, par conséquent, plus attentif au caractère purement privatif du premier, ne pouvait logiquement admettre une peine positive pour celui-ci : son sentiment de la justice divine l’amenait, avec les théologiens contemporains, à vider de leur sens les expressions augustiniennes qui témoignaient d’une conception moins nette de la nature et des conséquences du péché d’origine. La croyance de l’Église va s’affirmer de plus en plus d’accord avec le Docteur commun sur ce point.

Mais, peut-on encore parler de peine avec la tradition si, comme le pense saint Thomas, les enfants morts sans baptême possèdent sans douleur tous les

biens que leur a départis la nature ? Oui, car le préjudice en soi est immense quoique non ressenti : « La gravité d’une peine se peut considérer, premièrement, du côté du bien qu’elle retranche et, de cette manière, la privation de Dieu est de toutes la plus grave. Secondement, du côté de celui qui est puni et, de cette façon, elle sera d’autant plus grande que le bien dont elle prive est plus propre et plus connaturel à celui qui en est privé. C’est ainsi que nous dirions qu’un homme est plus gravement puni par la privation de son patrimoine qui lui est dû, que si on l’empêche de parvenir à la royauté qui ne l’est pas. Ht c’est sous ce dernier rapport que la privation de la vision de Dieu est de toutes les peines la plus légère, la vision de l’essence divine étant un bien entièrement surnaturel. » De malo, q. v, art. 1, ad 3um.

La rémission du péché originel.

En Adam, la

personne a souillé la nature, et la nature qu’il transmet a souillé la personne de ses descendants. Dans ceux-ci, le Christ restaure d’abord les biens personnels ; il restaure ensuite, à la fin des temps, complètement la nature, id quod naturse est. C’est ainsi que, par le baptême, la grâce est conférée qui enlève à la fois la faute originelle et la peine de la privation de la vision béatifique (quæ respiciunt personam), tandis que les pénalités de la vie présente (la mort, la faim, la soif, etc.), qui résultent des principes de la nature abandonnée à elle-même, ne seront point détruites jusqu’au jour de la restauration finale de cette nature par la résurrection. III a, q. lxix, a. 3, ad 3um. De même, la concupiscence, qui elle aussi vient du jeu de la nature, demeure avec la difficulté du bien et l’inclination au mal ; mais elle est diminuée et son règne est brisé par la grâce : tout cela comme une épreuve salutaire pour préparer la victoire définitive. Ibid., a. 3. corp., ad l » m et ad 2um ; a. 4, ad 3um.

On comprend comment, de ce point de vue, saint Thomas interprète l’axiome : peccatum originale transit reatu, remanet actu. Le baptême enlève toute la culpabilité dupéché originel, maislespénalités demeurent, non pas qu’elles soient l’effet immédiat d’une activité du péché originel encore dynamiquement subsistante, le péché originel n’est pas un acte ; c’est une privation coupable de la justice originelle. Mais, même après la rémission de la culpabilité, il reste que la soustraction de la justice originelle continue à laisser la nature développer ses activités défectueuses pour notre épreuve : « Accidentellement, une chose est cause d’une autre si elle supprime l’obstacle ; qui secoue le piédestal indirectement, remue la pierre qui est posée dessus. C’est de cette manière que le péché du premier père est cause de la mort et de tous les maux de ce genre qui sont dans la nature humaine. » I a -II^, q. lxxxv, a. 5 ; In II am Sent., dist. XXXII, q. i, a. 1. corp. et ad lum ; De malo, q. iv, a. 2, ad 10um ; a.6, ad 4 am.

En résumé, par le baptême, notre nature, jusqu’alors marquée de l’empreinte morale du chef de notre race, est incorporée au nouvel Adam et reçoit de nouveau de lui la vie surnaturelle, d’abord pour produire dans la rectitude de la volonté les fruits de l’esprit, ensuite pour mériter d’être éternellement conformée au Christ ressuscité dans l’autre vie et ainsi totalement restaurée.

Conclusion. — La doctrine de saint Thomas sur le péché originel se présente avec une simplicité et une cohérence remarquables : elle marque un progrès dans l’explication de la transmission, de la nature et des effets du péché d’origine.

1. Dès que l’on admet, en somme, le fait de l’incorporation physique des membres de ce grand corps qu’est l’humanité à la volonté du chef qui la meut, on conçoit assez facilement le rejaillissement de la moralité du chef sur les membres auxquels il imprime leur