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PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT THOMAS


la vertu, dans le sens que nous avons dit plus haut, cette inclination à la vertu est encore un bien de nature ; 3° on peut même appeler bien de nature ce don de la justice originelle qui fut, en la personne du premier homme, accordé à l’humanité tout entière. Ainsi donc, de ces biens de nature, le premier n’est ni enlevé, ni diminué par le péché ; le troisième a été enlevé totalement par la faute du premier père ; c’est celui du milieu, savoir l’inclination à la vertu qui est diminué par le péché. » Le péché originel, qui est une privation de la justice originelle, entraîne donc par le fait la soustraction de tous les privilèges gratuits que Dieu avait accordés à la nature en Adam. Ce faisant, le péché originel a diminué en nous l’inclination à la vertu en tant qu’elle provenait de la justice originelle ; il n’a pas diminué l’inclination qui résulte de la nature pure, puisque les forces naturelles demeurent les mêmes après le péché. Saint Thomas s’en explique, q. lxxxv, a. 3 : « Par la justice originelle la raison contenait dans la perfection les facultés inférieures de l’âme, et elle-même, la raison, trouvait sa perfection dans la soumission à Dieu. Or, cette justice originelle a été soustraite par le péché du premier père. Et c’est pourquoi toutes les facultés de l’âme demeurent en quelque manière destituées de l’ordre respectif qui les porte naturellement à la vertu. »

b) Retour de l’humanité à sa condition naturelle. — C’est par cette soustraction seule que la nature est déchue de sa grandeur d’institution pour être ramenée à sa grandeur naturelle. Cet abandon de la nature à ses propres forces et à ses propres défauts, d’une nature que Dieu destinait et destine encore à la vie éternelle, résume toute la peine du péché originel ici-bas et dans l’autre vie : « Prises en soi, les peines du péché originel sont purement naturelles et ne nous auraient été épargnées, dans l’état d’innocence, qu’en vertu des dons entièrement gratuits qui devaient en prévenir les causes, ou en empêcher le cours. D’où il suit, qu’à proprement parler la peine du péché originel consiste, même ici-bas, dans la seule soustraction de ces dons : soustraction qui fait que la nature est désormais laissée à elle-même pour engendrer d’elle-même, mère en cela trop féconde, les maux qui, présentement, nous affligent. » L. Billot, art. cité, p. 151. Rien n’est plus fréquent en saint Thomas que cette formule : natura sibi relicta, pour qualifier et résumer les suites du péché d’origine. Cf. In //" » Sent., dist. XXXII, q. ii, a. 2, ad 2um ; IMI* 6, q. xvii, a. 9, ad 3um ; q. lxxxv, a. 5, concl. et ad lum, et a. 6 ; q. lxxxvii, a. 7.

Ainsi, la mortalité, la lutte de la chair contre l’esprit, l’impuissance à l’égard du surnaturel, l’ignorance sont des défauts résultant des éléments constitutifs de la nature laissée à elle-même, qui auraient eu leur place dans la nature pure comme ils l’ont dans la nature déchue. In ll am Sent., dist XXXI, q. I, a. 2, ad 3um ; Cont. gent., t. IV, c. lu.

Grande, malgré cela, est la différence entre la nature pure et la nature déchue. Dans la nature pure, l’absence des dons surnaturels, de ce perfect ionnement ajouté à la nature, n’aurait été qu’un défaut et non limai d’une privation ; dans la nature déchue, c’est le détournement de cette nature par rapport à la fin magnifique que Dieu lui destinait, c’est l’impossibilité de l’atteindre. Dans la nature pure, les défauts inhérents à sa constitution sont « naturels », ne sont nulle ment un appauvrissement, une déchéance, par rapport à un état supérieur. Dans la nature déchue, ils sont une ruine part ielle, ils ont surtout un caractère de faute et de peine du fait qu’ils ont été induits dans le corps de la nature par la volonté du chef.

Et, dès lors, en pensant a la nature dans l’Intégrité de sa première condition, saint Thomas considère cet état de déchéance comme une Messure infligée.. !..

nature ; c’est la conclusion normale du raisonnement de la q. lxxxv, a. 3 : « Par la soustraction de la justice originelle, toutes les facultés de l’âme demeurent en quelque sorte destituées de l’ordre respectif qui les portait naturellement à la vertu. » Et l’on peut considérer cette destitution même comme une blessure infligée à la nature. « En tant que la raison est frustrée de son adaptation au vrai, il y a blessure d’ignorance ; en tant que la volonté est frustrée de son adaptation au bien, il y a blessure de malice ; en tant qu’on a l’irascible frustré de son adaptation à ce qui est ardu, on a une blessure de faiblesse ; en tant qu’on a le concupiscible frustré de son adaptation à des plaisirs modérés, , on a une blessure de la concupiscence. Ce sont bien là les quatre blessures infligées à la nature par le péché du premier père. »

Saint Thomas sait bien que l’ignorance de l’intelligence, la malice et la faiblesse de la volonté, la concupiscence déréglée de la chair auraient été l’apanage de la nature pure ; mais, sans incohérence, en pensant à la perfection privilégiée de la nature en son institution primitive, il peut considérer nos facultés naturelles avec leurs défauts, comme des blessures, comme des infirmités relativement à la nature intègre. Sans nier d’aucune sorte, que la subordination complète de la partie sensible à la volonté soit surnaturelle, il peut, en se plaçant au point de vue de l’idéal de la nature telle que Dieu l’a voulue, et au point de vue des convenances de cette nature en sa partie supérieure, déclarer naturelle la soumission de l’appétit sensible à la raison, et contre nature la lutte entre cet appétit et l’esprit : « Ce qui est naturel, dira-t-il, c’est que le concupiscible soit régi par la raison ; c’est pourquoi les actes de concupiscence ne sont vraiment naturels chez nous que dans la mesure où ils sont subordonnés à la raison ; s’ils sortent des limites de la raison, c’est pour l’homme contre nature. Telle est précisément la concupiscence dans le péché originel. » Q. lxxxii, a. 3, ad lum ; q. lxxxv, a. 3, ad 3um ; et III a, q. xv, a. 2, ad 2um.

Ainsi le texte célèbre : vutneralus in naturalibus, spoliatus in graluitis, chez saint Thomas, implique d’abord le dépouillement des biens surnaturels accordés à la nature en son institution, et par conséquent la réduction de la nature de son état florissant à son étal de pauvreté constitutionnelle. I.e péché originel entraîne une grande privation : celle des biens divins dans une nature qui était faite pour les posséder, l’impuissance à atteindre sa fin ; et, dès lors, l’apparition en l’homme des défauts de sa nature laissée à elle-même. la lutte de la chair contre la volonté, bref, une souillure qui nous met en état d’opposition avec Dieu. Ce détournement de l’homme de sa fin surnaturelle, la soustraction des moyens dont il avait besoin pour l’atteindre ne vicient pas cependant tout mouvement des puissances morales dans sa nature : il peut encore connaître Dieu par sa raison, l’aimer dans son cœur : quel que soit l’élan naturel de son âme, il reste toujours ralenti par la concupiscence ou l’erreur, qui rendent possible et facile le mal, il est toujours au-dessous de la fin surnat urelle pour laquelle il a él é a éé

2. Conséquences dans l’au-delà. Conformément a la logique de sa définition privative du péché originel. saint Thomas, d’accord avec les précisions doctrinales déjà consacrées jusqu’à un certain point par Innocenl III. distingue entre la peine du péché originel el celle du péché actuel, et ne reconnaît d’autre peine’lu péché originel que (elle de la perte de la béatitude surnaturelle à laquelle était destinée la nature eu Adam.

t Le péché originel ne mérite pas une peine éternelle en raison de sa gravité : il est, en effet, le moindre des péchél (car il n’est volontaire que par la volonté d’dam. chef de la nature. In /P"" Sent., dis ! Il I. q. ii, a. 1, ad 2° m : Dr main, q v, a I. ad B*")j mais en