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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT THOMAS

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élément constitutif, dans la définition du péché originel, pose le problème de la valeur morale des premiers mouvements de sensualité.

Saint Augustin avait dit : l’homme a été ainsi fait qu’il ne devrait pas être impressionné par la concupiscence. Il en avait conclu que, chaque fois qu’ « un infidèle est impressionné par la convoitise, même s’il ne consent pas, il encourt la damnation ». De gralia et libero urb., c. vu. Saint Thomas fait remarquer justement que Dieu ne fait pas acception des personnes. Pas plus aux infidèles qu’aux fidèles Dieu n’impute leurs premiers mouvements à damnation. La sensualité elle-même ne peut être le siège du péché mortel. Or, la nature de la sensualité est la même dans les infidèles et dans les fidèles. Il ne se peut donc qu’un mouvement de sensualité tout seul soit péché mortel chez un infidèle. Q. lxxxix, a. 5. La question de la valeur morale des mouvements de sensualité qui précèdent la raison se pose donc de la même façon pour le fidèle et pour l’infidèle. Saint Thomas la résout conformément à l’opinion commune de l’époque, à la différence d’Albert le Grand et des premiers maîtres dominicains ; il reconnaît une valeur morale jusque dans la première apparition du mouvement déréglé de l’appétit sensible. Voir, ci-dessus, art. Péché, col. 179 sq.

Tandis que, pour son maître, Albert le Grand, le péché n’est point en la sensualité comme dans son sujet, mais comme en son origine, pour saint Thomas, le péché se trouve, d’une façon dérivée, dans la sensualité en tant que celle-ci participe de la raison : « Un acte de sensualité peut être volontaire, puisque la sensualité — l’appétit sensible autrement dit — est faite pour se laisser mouvoir par la volonté. Il reste que le péché puisse avoir lieu dans la sensualité. » I a -Ilæ, q. lxxiv, a. 3, corp. et ad lum. C’est là l’excellence de la sensualité humaine et sa différence par rapport à la sensualité animale, d’être en quelque manière soumise à l’empire de la raison, aliqualiter subjecta rationi. De verit., q. xxv, a. 5, concl., sol. 3, 4, 12 ; De malo, q. vii, a. 6, concl., sol. 3.

Cependant, cet empire de la raison et de la volonté ne s’exerce qu’imparfaitement au sujet des premiers mouvements de la sensualité, car, si la volonté peut prévenir chacun d’eux en particulier, elle est toutefois impuissante à les empêcher tous : « Le foyer persistant du mal n’empêche pas que l’homme puisse, par sa volonté raisonnable, réprimer un à un, s’il les sent venir, les mouvements désordonnés de la sensualité ; par exemple, en tournant sa pensée vers autre chose. Seulement, il peut se faire, pendant qu’on détourne ainsi sa pensée vers autre chose, qu’un mouvement désordonné s’élève aussi sur ce point-là… Voilà pourquoi ces mouvements désordonnés qui procèdent du foyer que nous avons dit, l’homme ne peut les éviter tous, mais c’est assez pour qu’il y ait vraiment faute volontaire, qu’il puisse les éviter un à un. » Q. lxxiv, a. 3, ad 2>"n.

Susceptibles d’un volontaire très atténué, ces mouvements ne peuvent être que péchés véniels : « Ce que l’homme fait sans délibération de la raison, ce n’est pas parfaitement lui qui le fait, parce que rien n’agit alors de ce qui est le principal en lui ; aussi n’est-ce pas parfaitement un acte humain, et par là même ce ne peut être un acte achevé de vertu ou de vice, mais quelque chose d’inachevé dans le genre. Tel est le mouvement de la sensualité lorsqu’il devance la raison, et c’est pourquoi il est péché véniel, c’est-à-dire ce quelque chose d’inachevé dans le genre péché. » Ibid., ad 3um.

Saint Thomas n’a aucune peine à montrer que la raison seule, et non la sensualité, a le pouvoir de nous ordonner à la fin dernière ou de nous en détourner, donc de pécher mortellement. Ibid., a. 1.

La difficulté est plutôt de montrer comment cet actes de sensualité qui préviennent la raison peuvent avoir un volontaire, si atténué soit-il, pour être péché : Ils ne sont pas péché par un mouvement positif de la volonté. De verit., q. xxv, a. 5, ad 5um. Ils sont péché du fait d’une négligence des facultés supérieures qui auraient pu les empêcher de naître. Quodl., iv, a. 21 corp., ad 2um ; a. 22.

.Mais, puisque les premiers mouvements de la sensualité sont péché du fait qu’ils pourraient être empêchés par la raison, « il s’impose que les limites de cette sujétion (à la raison) marquent du même coup les limites du péché de sensualité. S’il y a des mouvements de l’appétit sensible qui, par nature, échappent à l’autorité de la raison, ils n’appartiennent pas à l’ordre moral et ne peuvent d’aucune manière constituer des péchés. La règle en a été énoncée par saint Thomas lui-même. » Th. Deman. op. cit., p. 278.

Et, cependant, saint Thomas le sait, ces mouvements désordonnés de la sensualité ne peuvent tous être évités ; il y a là le mystère du péché originel qui laisse l’homme abandonné dans son appétit sensible, à la loi naturelle de cet appétit : la lutte contre l’esprit. « Par cette perpétuelle dépravation de la sensibilité, il ne faut pas entendre autre chose que ce foyer de corruption qui nous vient du péché originel et, en effet, ne disparaît jamais complètement pendant cette vie, car, de ce péché originel, la culpabilité passe, l’activité demeure. Mais ce foyer persistant du mal n’empêche pas que l’homme ne puisse, par sa volonté raisonnable, réprimer un à un, s’il les sent venir, les mouvements de la sensualité, par exemple en détournant sa pensée vers autre chose. » Q. lxxiv, a. 3, ad 2°™.

Le chrétien sait que, dans cette lutte quotidienne de la chair contre l’esprit, il peut, avec la grâce et le progrès des vertus, discipliner petit à petit les mouvements désordonnés de la sensualité, et rétablir laborieusement quelque chose du facile empire de la volonté sur les sens qui existait dans la justice primitive. De verit., q. xxv, a. 5, sol. 6 ; a. 7, concl., sol. 1, 5 ; a. 5, sol. 7.

Les suites du péché originel.

 Étant donné que

le péché originel n’est pas un acte commis, mais un état contracté du fait que nous recevons d’Adam notre nature corrompue, que, par là, il diffère profondément du péché actuel, dans sa nature, il faut conclure qu’il en diffère quant à ses suites et ses conséquences.

1. Déchéance de la nature.

Du fait que le péché originel est d’abord le péché de la nature et secondairement le péché de la personne, en tant que celle-ci a reçu d’Adam, son chef, communication de la nature corrompue, les peines ou conséquences attachées à ce péché doivent être cherchées dans la privation qui affecte d’abord cette nature en la faisant déchoir de son institution : le péché originel diminue le bien de cette nature.

a) Soustraction des biens surnaturels. — Mais, de quel bien s’agit-il ? Il s’agit de ce bien qui a été donné par surcroît à la nature en sa constitution puisqu’en fait le péché laisse intactes les forces constitutives de cette nature ; il prive la nature de ces biens de la justice originelle qui la perfectionnaient et lui offraient des développements inespérés en lui conférant, dans la volonté, la facilité d’orientation vers la fin surnaturelle ; dans les puissances sensibles, une soumission complète à l’empire despotique de la raison ; dans les forces végétatives, une vigueur qui les mettaient à l’abri de la souffrance et de la mort. « Dans ce nom de bien de la nature, on peut comprendre trois sortes de choses : 1° Les principes constitutifs de la nature elle-même avec les propriétés qui en découlent, comme les puissances de l’âme et autres réalités du même genre : 2° puisque la nature donne à l’homme de l’inclination à