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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT THOMAS

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s’appuie toute sa théologie spéculative. » Les disciples modernes de saint Thomas, bénéficiant des progrès de la théologie biblique, peuvent aujourd’hui apporter quelques réserves touchant le degré de valeur probante que le Maître attribue à certains textes (comparez l’exégèse de Sum. cont. gent., IV, l, avec celle de J.-M. Lagrange : Commentaire de l’épître aux Romains, note p. 113 sq. : de J.-B. Frey, art. cité, p. 507-545 ; de F. Prat. Théologie de saint Paul, t. ii, p. 66-72 ; de R. Bernard, op. cit., p. 326-330). Il reste que, dans l’ensemble, ces textes, vus dans la lumière du Nouveau Testament et de la tradition catholique, comme les a interprétés saint Thomas, se réfèrent au péché originel, en contiennent la révélation et offrent une base solide aux spéculations du théologien.

b) Les réflexions conjecturales de la raison théologique sur l’expérience des misères humaines. — Ce n’est qu’après avoir fondé le fait de la transmission du péché originel sur les révélations précises de la foi que, pour répondre aux objections, saint Thomas croit devoir mettre en avant les conjectures fondées sur l’expérience des misères humaines : il y a, de ce fait, dans le genre humain, certains signes apparents de faute originelle qui ne sont pas sans probabilité. Puisque Dieu est provident, récompense le bien et punit le mal, à la vue de la peine nous pouvons deviner la faute. Or, le genre humain, dans son ensemble, souffre trop de peines diverses, corporelles et spirituelles. Misères du corps dont la principale est la mort vers laquelle tendent et nous acheminent toutes les autres : la faim, la soif… Misères de l’âme dont la principale est la faiblesse de la raison qui s’affirme dans la difficulté de l’homme à parvenir à la connaissance du vrai, dans sa facilité à tomber dans l’erreur et à se laisser dominer et bestialiser en quelque sorte par les appétits inférieurs. Sum. cont. gent., 1. IV. c. lu.

Cependant — saint Thomas le sait bien, lui qui, d’après ses analyses philosophiques, a conclu que toutes ces misères sont naturelles à l’homme à raison de la composition matérielle de son corps — on pourrait toujours arguer qu’elles n’ont aucun caractère pénal. Il ne le nie pas, il résume même ici ses analyses antérieures : « On pourrait dire que nos misères tant corporelles que spirituelles sont des phénomènes naturels et n’ont aucun caractère pénal… Tout cela est vrai ; mais, cependant, ajoute-t-il, si l’on se place au point de vue de la Providence qui donne à chaque être les perfections qui lui conviennent, on pourra penser d’une manière assez probable que Dieu, en unissant une nature supérieure à une nature inférieure, a voulu que l’empire de la première sur la seconde fût parfait, et qu’il a dû enlever, au moyen d’un don spécial et surnaturel, les obstacles que les défauts de la nature pouvaient apporter ; i Cet empire… C’est ainsi que, selon l’enseignement de la foi, a été constituée, à l’origine, la nature complexe de l’homme en tenant compte de la dignité spirituelle de sa partie supérieure… Donc, absolument parlant, tous ces défauts (que nous révèle l’expérience dans l’homme actuel) sont naturels si l’on ne considère la nature humaine que dans ce qu’elle a d’inférieur ; mais si l’on tient compte de la divine Providence et de la dignité de l’âme spirituelle, on peut établir, avec : iss17 de probabilité, que nos misèn un caractère pénal que, par conséquent, le genre hum fin est infecté d’une faute originelle.’Ibid.

Dans la logique profonde <u thomisme, d’après lequel toutes nos misères : mortalité, ignorance, concupiscence en lutte avec la raison, sont des défauts naturels dans lesquels le Créateur aurait pu nous laisser justement, il ne peut certes pins y avoir de place

pour nue démonstration apodictique du péché originel par l’expérience seule : il a. cependant, une ut dis.it ion possible « hl’observation morale des misères tiuma

pour établir une conjecture de la raison en faveur d’une vérité de la foi toujours mystérieuse. En saint Thomas, à un premier regard, le philosophe qui médite en lui sur les misères humaines, sur les misères morales surtout, trouve une intelligibilité relative à ces misères, en ce qu’elles s’expliquent, à la rigueur, par le fait de la complexité de l’homme, cet être mi-sensible, mispirituel ; mais, à replacer le monde dans le plan providentiel d’un Dieu juste, sage et bon, il s’inquiète de tant de misères ; il conçoit des pressentiments que ces misères sont une peine, laissent deviner une faute, font soupçonner que Dieu n’a pas créé le monde dans l’état où il est aujourd’hui ; mais, c’est dans les précisions apportées par l’enseignement de la foi, qu’il trouve la véritable preuve : ces misères humaines s’expliquent par le fait que le premier péché passe originellement à la postérité. C’est là que le théologien trouve son solide appui, c’est de là qu’il part pour ses spéculations.

On voit dans quelle mesure saint Thomas, par les nuances qu’il apporte dans l’appréciation de la preuve expérimentale du péché originel, s’écarte des augustiniens : « Il semble bien, remarque R. Bernard, que ce soit la note juste sur la vraie valeur des données expérimentales, et de l’argument que peut en tirer la raison. On voit qu’il y a loin des réflexions conjecturales de cette sorte aux révélations précises de la foi. » Op. cit., p. 324.

2. Son explication : notre incorporation au premier homme. — Saint Thomas cherche l’explication du mystère de la transmission du péché originel dans le fait de notre incorporation en Adam.

On peut penser qu’il est orienté dans cette voie par l’enseignement de l’Apôtre. Celui-ci avait affirmé. Rom., v, la double solidarité de l’humanité : en Adam, source de péché et de mort, et dans le Christ, source de justification et de vie. Pour expliquer cette solidarité, il avait parfois utilisé l’analogie des rapports des membres avec la tête ; c’est ainsi que la pensée de notre incorporation au Christ qui nous vivifie est immanente à toute sa doctrine mystique de la vie chrétienne. En corrélation avec cette doctrine paulinienne de l’incorporation de tous dans le Christ, qui nous vivifie, saint Thomas va fonder son explication nouvelle du péché originel sur le fait de notre incorporation en Adam.

a) Critique, des systèmes antérieurs. — Depuis le iv siècle, avec saint Augustin, le problème s’était posé : comment peut-il y avoir une propagation de ce qu’il y a de plus incommunicable dans l’homme : un état moral, un péché et une peine ? comment, à travers la succession des générations humaines, sous la distinction des personnes, peut-il exister une communauté de vie assez, profonde pour établir une communion à une même volonté coupable ? I.e docteur d’Hippone avait essayé de le résoudre en considérant la totalité du genre humain comme un seul homme : nous formions, disait-il, un seul homme avec Adam, à l’origine, quand il a pèche, et nous avons participé alors, avec lui et en lui, à l’acte de sa transgression. Cette unité lui paraissait d’autant plus intime, dans l’hypothèse traducianiste, que l’homme n’était que le prolongement de l’âme aussi bien que du corps d’Adam. Dans l’hypothèse créatianiste l’union se faisait par contagion. Plus tard, dans la perspective d’un réalisme plus ou moins excessif, il était facile île concevoir comment l’ensemble des individualités humaines forment un seul homme dans une nature commune : celle-ci est, pour Jean Scot, pour Anselme et ses disciples, une unité concrète toujours Identique à elle-même sous la

Collection de* accidents individuels qu’elle re èl au cours des âges. S ; i in t Anselme dira donc que plusieurs hommes sont, au regard de l’espèce, un seul