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PECHE ORIGINEL. SAINT THOMAS


donc en dehors de la moralité. » Dom Lottin, op. cit., p. 67-69, donne des textes par ailleurs inédits.

De même Albert le Grand, dans sa Somme, pensait que, si le mouvement de sensualité se déclenche tndépendamment de la raison, c’est un phénomène d’ordre physique, dû à la corruption originelle. Le péché ne commence que lorsque la raison accueille le mouvement désordonné ; le péché n’existe donc que dans la raison. Il trouve sa source sans doute dans la corruption de la sensualité, mais cette corruption n’est que la peine du péché d’origine, et non péché en elle-même. "Voir dom Lottin, ibid., p. 81 ; Albert le Grand, Sumrna théologien, part. II, tract. XV, q. xcii, membr. iv, édit. Vives, t. xxxill, p. 198. Quoi qu’il en soit, la thèse de saint lionaventure et d’autres maîtres de l’époque appelait, pour se faire accepter, bien des distinctions qui devaie.it dissiper les équivoques faciles sur ce point. Voir Th. Deman, O. P., Le péché de sensualité, dans Mélanges Mandonnet, t. i, p. 264-283 ; H.-D. Noble, O. P., dans Rev. des se. phil. et théol., 1929, p. 441-448.

La transmission du péché d’Adam.

« La raison

pour laquelle Adam a corrompu toute la nature, et l’a rendue coupable, implique trois conditions simultanément réalisées : la première, c’est qu’Adam n’était pas seulement un individu quelconque, mais le premier père de toute la race humaine ; la seconde, c’est que le précepte ne lui fut pas donné comme à une personne singulière, mais comme au chef de toute la nature humaine ; la troisième, c’est qu’il avait reçu la justice pour la transmettre à tous ses descendants ; Dieu la voulait trouver dans tous les individus de la nature humaine ; par le fait qu’il a perdu cette justice pour lui et pour ses descendants, ceux-ci en sont privés. Et cette privation d’une justice requise devient coupable chez eux comme chez lui. » In II am Sent., dist. XXX, art. 1, q. ii, p. 719.

Ainsi, pour notre docteur, l’unité physique ou matérielle du genre humain ne suffit pas à elle seule pour expliquer la transmission du péché originel ; il faut, en plus, que tous les hommes puissent être englobés dans l’obligation imposée à Adam de ne pas violer le commandement divin et, par conséquent, dans le démérite de celui-ci après la faute : hoc exigitur quod in primo parente omnes posteri possent obligari. In II" m Sent., dist. XXXIII, a. 1, q. i, ad 5 ura, p. 784 ; et dist. XXXII, art. 3, q. i, ad 2™, p. 770 : In ipso dicimur peccasse et demeruisse et per ejus inobedientiam peccatores constituti esse.

Comment se fait cette transmission ? Par la concupiscence de l’acte conjugal. C’est par l’intermédiaire de la chair que l’àme contracte le péché originel. In II™ Sent., dist. XXXI, a. 2, q. i, p. 749. Il faut ajouter à cette raison principale, comme condition sine qua non de la transmission du péché originel, l’appétit naturel, non délibéré, de l’âme pour la chair à laquelle elle s’unit : nunquam caro posset animam inficere, nisi anima haberet naturalem colligantiam ad ipsam. Naturalis autem colligantia non est nisi per appetitum ipsius animée ad corpus. Ibid.. dist. XXXI, a. 2, q. ii, p. 753.

Notre-Seigneur ayant seul échappé à la corruption d’une génération concupiscente, saint Bonaventure en conclut, avec la plupart de ses contemporains, que la bienheureuse vierge Marie n’a été sanctifiée, dans le sein de sa mère, qu’après avoir contracté la faute originelle. II expose d’ailleurs avec complaisance les raisons des partisans d’une conception immaculée ; mais, s’il ne s’y tient pas, c’est qu’il estime communior, rationabilior, securior l’opinion contraire ; il craint, tout en ayant en grand honneur la mère du Verbe, de diminuer la gloire du rédempteur universel en exaltant sa mère, et en la soustrayant, pensait-il, en quelque

sorte, à l’activité rédemptrice. In III" m Sent., dist. 1 1 1. part. I, a. 1, q. ii, t. iii, p. 67-68. Il était réservé aux disciples du saint d’établir que la rédemption reste universelle dans le cas où Marie est préservée de la tache originelle en vertu des mérites de son divin Fils. Voir art. Immaculée conception.

Le remède à la corruption originelle.

C’est la

grâce divine qui est infusée à l’homme par le baptême. Par cette grâce, le péché originel est remis en tant qu’il est une coulpe. In II" m Sent., dist. XXXII, a. 1, q. i, t. ii, p. 760. Il est remis aussi en tant qu’il appelle une peine éternelle.

Cette grâce laisse subsister communément la concupiscence, ou l’inclination au péché, mais sans son caractère dominateur, puisque le baptisé pos l’Esprit pour lutter contre elle. Cette infirmité persiste jusqu’à la mort dans toutes les âmes en état de grâce, sauf dans l’âme de la vierge Marie, où, par une grâce particulière, elle fut totalement détruite en vue de la maternité divine. In IIum Sent., dist. XXXII, dub. ii, p. 775. Ainsi est expliqué, par saint Bonaventure, l’axiome augustinien suivant lequel le péché originel est effacé selon sa culpabilité et demeure dans son activité (pénale).

En ce qui concerne la permanence de la concupiscence dans l’humanité déchue, le Docteur séraphique résume à la fois la règle générale et l’exception en une excellente formule du Breviloquium. Part. III, c. vii, p. 236.

Saint Bonaventure traite enfin de l’harmonie de cette doctrine du péché originel dans son ensemble, avec les exigences de la justice divine. In IIum Sent., dist. XXXII, a. 3, p. 769-778.

Tel est, dans ses traits généraux, le système théologique de saint Bonaventure sur le péché originel ; s’il développe les principes de la Somme dite d’Alexandre de Halès, c’est plus en ce que celle-ci continue la théologie augustinienne du xiie siècle qu’en ce qu’elle met en valeur les vues spéciales de saint Anselme sur le péché originel comme désordre de la volonté. Il est, au milieu du xme siècle, le grand témoin classique de cet augustinisme qui va se développer dans la famille franciscaine en divergence partielle du thomisme.

II. saint Thomas († 1274), comme son contemporain, saint Bonaventure. systématise également la théologie traditionnelle. Comme lui aussi, il doit beaucoup au grand docteur d’Hippone ; mais sa synthèse s’inspire d’intuitions et de méthodes nouvelles qui apparaîtront facilement dans l’exposé analytique de sa doctrine. Ici comme ailleurs le maître ouvre des voies lumineuses et sûres que la théologie postérieure gagnera toujours à suivre.

1° Place de la théologie du péché originel dans la doctrine de saint Thomas. — Voir P. Bernard, O. P., Saint Thamas d’Aquin. Somme théologique, éd. de la Reuue des jeunes, Le péché, t. ii, Paris, 1931, p. 321332.

A cinq reprises différentes, saint Thomas traite de la grave question du péché originel : In II am Sent., dist. XXX-XXXIII (1252-1257) : Somme contre les gentils, t. IV, c. i.-lii (1259-1264) ; Questions disputées De malo (1263-1268) ; Somme théologique, ia-II*. q. lxxxi-lxxxiv (entre 1268 et 1270) ; Compend. theologiæ, c. clxxxv-cxcix (1272-1273). Il le fait à des points de vue différents.

Dans le Commentaire des Sentences, c’est déjà la tragique histoire de la chute dans ses origines, sa nature, ses conséquences immenses, universelles pour la race humaine tout entière qui est décrite avec profondeur. On y saisit non seulement comment l’état malheureux et coupable, établi dans la nature viciée par la faute d’Adam, se transmet à tous les descendants parles liens de la chair qui les rattachent à leur