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PÉCHÉ ORIGINEL SAINT BONAVENTURE

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La nature de la coulpe éclaire celle des peines qui sont attachées à celle-ci, soit dans la vie présente, soit dans la vie future. Ici-bas, en raison de la privation de la justice originelle, nous encourons déjà dans notre âme une quadruple peine : infirmitatem, ignorantiam, malitiam, et concupiscentiam ; dans notre corps de multiples pénalités : multiplex defectus, multiplex labor, multiplex morbus, multiplex dolor. Et, par notre désertion du bien immuable, nous perdons le repos non seulement dans la vie présente, mais dans l’autre. La peine du péché originel dans les enfants, aussi bien que dans les adultes, est la privation de la vision de Dieu.

Mais, parce que l’enfant n’a point perdu la justice requise par un mouvement de sa volonté, ni par une délectation actuelle, il n’a point encouru en justice la peine du sens. Qu’on n’objecte point le texte du De ftde ad Petrum, car ici Augustin, par réaction contre les pélagiens, a excédé. Breviloq., part. III, c. v, t. v, p. 235. Le Docteur séraphique est ici d’accord avec l’École aux xiie et xiif siècles, pour reconnaître, au nom de la justice, que les enfants ne sont pas soumis à la peine des sens. In I I nm Sent., dist. XXXII, a. 3, q. i. p. 770. Toutefois il montre bien la raison de l’imputation du péché à l’enfant : Non imputât (Deus) ex hoc quod non facit (parvulus) quod jacere non potest, sed ex hoc quod non habet quod habere débet.

Jusqu’où s’étend cette corruption morale et pénale dans la nature humaine" ? Elle s’étend à toutes les forces, mais diversement. Toutes les facultés ont été corrompues d’une certaine façon par la faute originelle. .Mais, entre toutes les facultés sensibles, la puissance génératrice a été surtout atteinte par cette corruption ; tandis que les autres forces n’ont été que corrompues » par le péché, celle-ci en a été » infectée ». 7/i II" m Sent., dist. XXXI. a. 1. q. iii, p. 7 15.

A cette théorie générale sur l’infection de la puissance génératrice est liée, dans une certaine mesure, l’idée que l’on se fait au

r siècle de l’imputabilité,

du caractère peccamiiieux, d’ailleurs très atténué, des premiers mouvements de la concupiscence : on reconnaît alors communément une valeur morale jusque dans le premier essor de ces mouvements déréglés. On sait comment saint Anselme se posait et avait résolu la question de tous les mouvements de sensualité chez les infidèles. Il avait taxé de mortels tous les mouvements de concupiscence dans l’âme encore soumise au péché originel : car l’humanité, disait-il, s’était mise en Adam Volontairement dans la nécessité de les subir. Au xiii sieele. on se pose la question de l’imputabilité des premiers mouvements dans le baptisé. Un auteur anonyme, dans un texte qui paraît être l’une des sources de la Somme théologique dite d’Alexandre de Halès, la résoui en rattachanl étroitement le mouve ment premier à la faute originelle : l.e péché originel,

écrit d. est péché parce qu’il dépend de la volonté île nos premiers parents ; « le même le mouvement premier est péché, parce qu’il dépend de cette même volonté se prolongeant en notre propre concupiscence. Le mouvement premier est d’ailleurs plus volontaire que h’péché originel, puisqu’on lui c’est notre propre sensualité qui est en cause en nous conformant a la volonté de nos premiers parents. Et, a celui qui objecte que le mouvement de sensualité n’est pas faute morale chez les animaux, noire auteur répond, s’inspiraiit sans doute du chancelier Philippe, que la sensualité chez nous (’tant plus parfaite, a plus de contact avec notre raison. Dom Odon l.ottin, dans Archives d’histoire doc trinale et litliraire du Moyen 17c. Paris, t. vi. 1931, p. Ht », texte inédit publié’ibid., p. l.V’Chez Prévostin de Crémone et chez Etienne Langton. c’est aussi la théorie générale du péché originel qui commande la solution. Dom Lottin le remarque per

tinemment : « Si, dès le début, avec Pierre de Poitiers. on innocenta les mouvements premiers vers le boire et le manger pour inculper ceux qui portent au plaisir charnel, c’est précisément parce que ces derniers mouvements relèvent des organes de transmission de la faute originelle. En dérivant de cette source non seulement corrompue, mais infectée, le mouvement premier ne peut que nous porter au mal. Prévostin de Crémone avait tout dit en ces deux mots : peccatum est quia ex vitio surgit et ad illicitum tendit. Les successeurs ne feront que remanier légèrement la formule, et même la plupart, depuis le chancelier Philippe, supposèrent la thèse plutôt qu’ils ne la prouvèrent. Ibid., p. 56-59, 93, et textes inédits publiés : Prévostin, p. 97-102 : Etienne Langton, p. 103-115.

C’est avec ces idées, communes dans la famille franciscaine, que Bonaventure aborde la question : peut-il y avoir péché dans la sensualité comme telle ; plus précisément : utrum in sensualitate possit esse veniale peccatum ?

Il y répond d’une façon générale en distinguant la sensualité elle-même, telle qu’elle nous est commune avec les animaux, telle qu’elle existe même dans ceux qui ont perdu la raison, et la sensualité en tant que faite pour obéir à la raison : ordinabilis ad rationem et sub ralione. La première ne peut certes être sujette de péché : la seconde implique un mouvement désordonné coupable. Mais une difficulté surgit : qualitcr in sensualitate possit esse peccatum et culpa, cum nullo ponetur in ea esse virtus et gratta ? Voici la réponse « le saint Bonaventure : il distingue dans le péché entre faute, culpa, et vice, vtttum, entre mauvaise disposition habituelle d’une faculté et acte mauvais : « Comme faute, le péché pas plus que la vertu, ne réside dans l’appétit sensitif, mais dans le libre arbitre. Mais, comme vice, le péché peut y résider, car. à ce point de vue. il désigne le désordre d’une faculté vis-à-vis de l’acte que, « le sa nature, elle est appelée à produire : en ce sens, le péché réside dans cette faculté, désordonnée en son action. » Dom Lottin, op. cit., p. 77 ; voir In II"’Sent.. disl. XXIV, part. II, art. 3, q. t. p. 583-584. En vertu de cette doctrine générale, le mouvement premier delà sensualité est péché véniel : liinc est quod ientatio carnis nunquam est in nobis quin sit in nobis idiqua inordtnatto, et ita aliqua uenialis culpa. Ibid., dist. XXI, dub. iv, p. 512.

Mais peut-il y avoir faute proprement dite en ce mouvement de sensualité si la volonté n’a pu le prévenir ni le réprimer ? En fait, ce mouvement n’est pas olontaire, Sim} liciter, comme dans le cas où la volonté provoque le mouvement désordonné, mais il est volontaire interprétai i ement, par quoi notre Docteur entend une négligence concomitante de la volonté qui a omis d’éviter un désordre qu’elle devait prévenir. Sans doute, il y a pour l’homme une nécessité générale à éprouver « les mouvements désordonnés, mais il peut, avec de la vigilance, éviter chaque mouvement en particulier. In II""’Sent., dist. XI. I. a. 2, q. 1, ad I’"". p. 949.

I’Me façon de concevoir la valeur morale « les pre

mien mouvements de la concupiscence s’inspire du

sentiment tris vif « pic ces mouvements, selon le plan primitif, ne devaient pas exister en dehors « lu contrôle de la raison, qu’en fait, dans la nature déchue ton jours raisonnable, ils sont un désordre objectif par rapport ; i l’idéal « livin et pourraient être prévenus par la v Igilance « le notre raison.

II faut reconnaît re que cette extension « les responsa bilités aux premiers mouvements n’était pas admise par ions, i.es premiers maîtres dominicains. Roland « le Crémone, el 1 indues, 1, Saint Cher, pensaient que

les mouvements premiers. aussi longtemps qu’ils n’intéressent pas la raison, sont purement naturels, el