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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT BONAVENTURE

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plus strictement à la tradition augustinienne telle que Pierre Lombard et Alexandre de Halès la présentent, saint Thomas, plus hardi et plus universel dans l’utilisation des ressources philosophiques et théologiques du passé, va corriger ce qu’il y avait peut-être d’incomplet jusqu’alors dans le point de vue augustinien des Latins : grâce à son génie synthétique, des points de vue nouveaux empruntés à la tradition grecque vont être mis en valeur, qui avaient été plus ou moins oubliés jusqu’alors et qui, depuis, n’ont pas encore cessé d’être actuels et d’apporter de la lumière dans la discussion des difficiles problèmes que soulève le mystère du péché originel. Les disciples prendront vite conscience, dans les deux écoles, dominicaine et franciscaine, de la différence d’aspect de la théologie des deux maîtres : de là les courants doctrinaux qui vont aller se développant et se distinguant de plus en plus dans les siècles suivants, de là le renouveau de la controverse séculaire sur la nature, le mode de transmission et les conséquences du péché originel à la fin du xme et au xive siècle. — I. La doctrine de saint Bonaventure et de saint Thomas. — IL La doctrine du péché originel de la fin du xme siècle à la veille du concile de Trente (col. 490).

I. La doctrine de saint Bonaventure et de saint Thomas. — Les deux systèmes théologiques seront étudiés successivement.

I. SAINT BONAVENTURE († 1274). — « Saint Bonaventure est, avec saint Thomas, le plus grand nom de l’École. Tandis que celui-ci a ouvert à la théologie des voies nouvelles, le Docteur séraphique s’est appliqué surtout à systématiser la théologie courante dite augustinienne, d’où le grand intérêt de son œuvre ; il continue Alexandre de Halès et prépare Duns Scot, qui achèvera de fixer l’augustinisme franciscain. » Ce jugement de F. Cayré, op. cit., t. ii, p. 493, porté sur l’ensemble de l’œuvre de saint Bonaventure, caractérise bien son rôle doctrinal dans l’explication du péché originel.

La pensée du Docteur séraphique sur ce point, largement exposée dans son Commentaire sur le 1. II des Sentences, dist. XXX-XXXII, éd. de Quaracchi, t. ii, p. 713 sq., se trouve condensée à la IIIe partie du Breviloquium (vers 1257) en six chapitres, dont trois étudient la chute ou le péché dans les premiers parents, et les trois autres le péché originel dans les descendants. Ibid., t. v, p. 231-236.

Le péché d’Adam et d’Eve.

Saint Bonaventure

distingue plus que ne le fera saint Thomas entre la nature des fautes respectives d’Adam et d’Eve. A la suite d’Hugues de SaintVictor, de Pierre Lombard et d’Alexandre de Halès, il insiste surtout sur ce fait qu’Eve, en se laissant duper par le démon, rechercha orgueilleusement une science et une excellence semblables à celles de Dieu. Le tort d’Adam fut particulièrement, pour ne pas contrister son épouse, de se faire transgresseur du précepte et, se croyant trop cher à Dieu, de compter sur un pardon que la justice de Dieu ne devait point lui donner. Breviloq., part. III, c. iii, p. 232.

2° Le fait de la corruption morale et pénale de la nature humaine, en conséquence de la faute d’Adam. — L’existence de la faute originelle en nous n’est pas seulement une vérité de foi ; elle est aussi appuyée sur la raison. In Il* m Sent., dist. XXX, a. 1, q. i, t. ii, p. 715. Le Docteur séraphique n’ignore pas que les philosophes, laissés à leur propre lumière.rie sont point parvenus à la connaissance de la chute et de ses conséquences ; c’est que leurs regards, fixés sur notre constitution et nos forces naturelles, ne se sont point portés vers l’auteur de la nature et vers les attributs de justice, de sagesse et de bonté qui le guident dans sa création. Mais la raison des docteurs catholiques, illu minée par la foi, en tenant compte des attributs divins, a dû confesser que le Créateur, des l’origine, n’a pu mettre l’homme dans la condition lamentable où il naît aujourd’hui : bien plus, que penser autrement serait l’indice d’une grande impiété. Aussi ont-ils pu affirmer la chute originelle avec certitude non seulement au nom de la foi, mais encore au nom de la raison. Ibid., p. 716. El si l’on objecte le sort de l’animal qui n’a pas péché et qui. cependant, soutire et meurt comme nous, il est facile de montrer que la situation n’est pas la même : il n’a pas d’âme faite pour le bonheur et l’immortalité, il n’est pas susceptible de faute et de pénalité comme nous. On ne peut comparer sa condition à la nôtre. Ibid.. ad lum, p. 716. Qu’on n’objecte pas non plus qu’il ne répugne en rien à la bonté divine de laisser chaque inclination a son essor naturel. La bonté divine est sage, aussi veut-elle que le corps soit soumis à l’âme et la sensibilité à la raison. L’ordre c’est que l’appétit sensible tende ver » son bien conformément à la raison : le contraire, ce qui arrive maintenant, la rébellion contre la raison, est inconvenant. Ibid., ad 3um, p. 71(i.

Bref, l’état de misère morale et matérielle dans lequel nous sommes actuellement, sous le gouvernement d’un Dieu juste et bon, ne peut-être qu’un état pénal, qu’un état coupable. Breviloq., part. III. c. v, t. v, p. 231. Saint Bonaventure, comme Alexandre de Halès, son maître, à la suite de saint Augustin, croit pouvoir en appeler à une preuve expérimentale de la corruption originelle.

La nature de cette corruption coupable et pénale.


Saint Bonaventure, pour expliquer la nature du péché originel, à la différence d’Alexandre de Halès. aime à l’éclairer par le double aspect du péché actuel : toute faute est essentiellement une aversion par rapport au bien incréé et une conversion vers le bien créé. Il distingue ainsi deux aspects dans le péché originel : l’un de caractère négatif, l’aversion de Dieu, qu’implique la privation de la justice originelle requise : l’autre de caractère positif, la conversion vers les biens sensibles, c’est-à-dire la concupiscence, dans son état immodéré et violent, qu’implique la domination de la chair sur l’esprit. Une telle concupiscence est inséparable de la privation de la justice originelle ; elle constitue avec elle le péché originel.

Aussi, en raison de cet aspect complexe du péché originel, « à celui qui demande ce qu’est ce péché, on peut répondre justement que c’est la concupiscence immodérée ; on peut aussi répondre que c’est la privation de la justice que l’on devrait avoir ; l’une de ces réponses implique l’autre, quoique l’une mette mieux en relief l’aspect de conversion, et l’autre l’aspect de privation de ce péché. Il faut donc reconnaître, avec le Maître des Sentences, que le péché originel est la concupiscence non en tant que telle (en tant que retenue et réprimée elle n’est qu’une peine), mais en tant qu’immodérée et violente, au point qu’elle constitue la domination de la chair sur l’esprit, en tant qu’elle implique la privation de la justice que l’on devrait avoir. Elle s’appelle « péché originel pour autant qu’elle est en nous par notre origine. C’est ce que dit la Glose quand elle affirme que le péché est le fouies qui, avant le baptême, est à la fois une peine et une faute, et qui, après ce sacrement, n’est plus qu’une peine. » In 7/um Sent., dist. XXX, art. 2. q. i. t. ii, p. 721-723.

Ainsi, Bonaventure s’efforce de concilier le point de vue des augustiniens du XIIe siècle avec celui de saint Anselme : Incurrit(anima) simul carentiam débitas jusliliæ et morbum concupiscentiw ; ex quibus duobus tunquam ex aversione et conversione dicitur inlegrari. secundum Auyustinum et Anselmum, peccatum originale. Breviloq., p. III, c. vi, t. v, p. 235.