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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. LA SCOLASTIQUE DL Xlie SIÈCLE

avoir rappelé l’axiome du De flde ad Petrum, attribué alors à saint Augustin : peccatum in parvulos non transmiltit propagatio sed libido, l’auteur conclut que c’est uniquement par le l’ail de la concupiscence qu’est transmis le péché originel. On sait comment saint Bernard, dans son É pitre aux chanoines de Lyon, Episl., ci. xxiv, n. 7. P. L.. t. CLXXXII, col. 335, au nom du principe : Peccatum quomodo non fuit ubi libido non defuit ? ne pouvait accepter pour Marie l’idée d’une conception immaculée là où il n’y avait pas eu conception virginale, à l’abri de la concupiscence. Il était dans la logique du principe admis par l’école augustinienne de réserver exclusivement au Sauveur, à raison de sa conception virginale, le privilège d’une conception immaculée.

Ce sera la pensée de Pierre Lombard, Sent., t. II, dist. XXXI, c. viii, celle de Robert de Melun, fol. 253 v° (cité dans R. Martin, t. viii, p. 462), de Gandulphe de Bologne, Sent, t. II, § 218, p. 266-269 ; du commentaire attribué au pape Innocent III, In ps., l, P. L., t. ccxvii, col. 1059 : Ex seminibus ergo fœdatis concipitur corpus corruptum pariter atque jœdaium, cui anima tandem infusa corrumpitur et fœdatur. Celui-ci résume la pensée dominante au xiie siècle, dans l’École, sur la transmission du péché originel par la voie de la concupiscence par cette phrase de tournure tout à fait augustinienne : « De même qu’un vase corrompu corrompt la liqueur qui y est versée, de même l’âme est souillée par son contact avec le corps souillé. »

C’est donc bien par le moyen de la concupiscence qui accompagne chaque génération que le corps d’abord est souillé, puis, par son intermédiaire, l’âme. Mais se pose la question : quel est l’auteur responsable de cette souillure à laquelle l’âme ne peut se soustraire ?


c) La cause responsable du péché originel. — La question ne peut se poser qu’au sujet du démon, d’Adam, des enfants et de Dieu.

A la question : pourquoi l’Apôtre n’imputait-il pas plutôt le péché au diable qu’à l’homme ? Guillaume de Champeaux avait répondu que le diable était absolument étranger à toute génération humaine. Éd. Lefèvre, p. 58. Robert de Melun n’eut pas de peine lui non plus à montrer que le diable n’a pu avoir sur l’homme qu’une influence séductrice qui laissait à celui-ci toute sa liberté. Fol. 250, dans R. Martin, toc. cit., p. 444.

Il reste l’homme qui a commis le péché en Adam. Anselme de Laon le remarque : Quia ergo omnes in Adam peccatum commisimus traducti ab eo, tenemur merito rei, nisi sacramentis absolvamur. Sent., p. 71-72.

Mais, si l’homme est cause de la faute, Dieu n’est-il pas l’auteur de la peine ? Robert Pullus le pense : Sent., t. II, c.xxx, P. L., t. clxxxvi, col. 759-760 ; ainsi que Pierre Lombard, Sent., t. II, dist. XXXII, c. iv, de même Odon d’Ourscamp, cod. 1762, bibl. Harley au British Muséum, fol. 107 v° a. Dieu, en punissant la désobéissance originelle, n’est point l’auteur du péché originel, remarque Robert de Melun. Fol. 250 v°, dans R. Martin, p. 443.

Mais la question se pose surtout pour les théologiens du xiie siècle au sujet des petits enfants : de quel droit et suivant quelle justice les enfants nouveau-nés, qui ne sont capables d’aucun acte humain, sont-ils considérés comme coupables aux yeux de Dieu ? Ainsi s’exprime Robert de Melun, fol. 255 r°, cité dans R. Martin, Rev. des se. phil. et théol., t. ix, p. 103. Comment Dieu peut-il créer des âmes pures pour les envoyer dans un corps corrompu ? Presque tous les sententaires ont essayé une réponse à ces questions. Les uns font confiance à la sainteté des vouloirs divins et s’inclinent devant le mvstère : ainsi Guillaume de

Champeaux : Si vous me demandez pourquoi le contact d’un corps corruptible souille l’âme, je répondrai que celui-là le sait qui sait ce qui natures. > Frag. vi, éd. Lefèvre ; Hugues de Saint-Victor, De sacrum., I. I, p. vii, c. xxxv et xxxvi, ]’. L., t. ci, xxvi, col. 303-304 ; l’auteur de la Summa sent., t. III, c. xii. ibid., col. 109, et bien d’autres.

D’autres, à la suite d’Odon de Cambrai, ont recours à la sagesse du plan divin qui doit demeurer immu malgré le péché des hommes : Dieu a décrété, indépendamment de toute hypothèse, que la vie humaine se propagerait par voie de génération, et qu’aux corps ainsi constitués il infuserait des âmes pures. On ne peut taxer Dieu d’injustice s’il continue à envoyer des âmes pures en des corps viciés. Ainsi pensent Anselme de Laon (du moins dans une sentence, Cur anima : puerorum non baptizalorum puniuntur… British Muséum, bibl. Harleꝟ. 3098, liber Pancrisis. fol. 30 v°, dans R. Martin, loc. cit., p. 104), plusieurs sententiaires anonymes et P. Lombard. On remarquera cependant que le même Anselme de Laon, dans les Sententiæ éditées par Bliemetzrieder, t. II, p. 77. rejette comme insuffisante cette explication en la faisant suivre de cette critique : Contra quod dicimus quod Deus rem injustam non débet proponere. Et puis, après avoir rapporté trois autres opinions, il invite à l’humble soumission en face des mystères impénétrables de Dieu. Ibid., p. 78.

D’autres recherchent dans la créature la source de sa culpabilité : l’âme, à l’instant de son union avec le corps, étreindrait, avec une avidité consciente, le corps qu’elle vient animer et Dieu se verrait obligé de l’exclure de son intimité : c’est la solution d’Honorius d’Autun reprise par l’auteur des Sentences : Filius a pâtre gigni, par Hugues de Ribémont, Hugues d’Amiens, sainte Hildegarde. Voir R. Martin, loc. cit., p. 104-109.

Robert de Melun est peut-être l’auteur du xiie siècle qui a scruté le plus à fond la question. Il commence par la délimiter et part des données de la foi : l’enfant est en état de péché : cela est acquis pour le catholique, quelle que soit la manière dont le corps ait pu souiller l’âme de cet enfant. L’Écriture enseigne que le corps est pour l’âme une cause de dépression et de mal. La raison de ce fait reste mystérieuse : « En dehors de Dieu, personne ne peut avoir pareille connaissance des âmes. Etc’est pourquoi quiconque admet l’existence et la nature supérieure des esprits, ne doit pas poser la question : d’où vient que l’âme de l’enfant soit coupable devant Dieu à cause du péché. « Fol. 255 r°, R. Martin, loc. cit., p. 115. Il ne faut point oublier, d’ailleurs, que nous étions tous en Adam au moment de son péché, que demeure, en tout enfant, l’ardeur d’une chair viciée et que, la contamination de l’âme ne venant pas de Dieu, elle ne peut venir que du corps dans son action sur elle.

Et donc Robert de Melun, lui aussi, tout en faisant effort pour donner une réponse qui ne soit pas dénuée de probabilité, se sent accablé par le mystère. « Il faut avouer avec Hugues que la justice de Dieu, si elle est irrépréhensible, est incompréhensible. » Cf. De sacram. , t. I, p. vii, c. xxxv, P. L., t. clxxxvi, col. 303 ;

Le mérite de Robert de Melun est d’avoir nettement posé et fait effort pour résoudre, dans la mesure ciu possible, une question qui méritait de l’être et qui avait déjà tourmenté saint Augustin. On pouvait, certes, le faire de manière différente : saint Anselme et Odon de Cambrai l’avaient posée autrement : la théologie du xiie siècle aurait eu avantage à chercher dans leur direction. En fait, la question ne sera reprise qu’au xme siècle et encore sous une autre forme ; « saint Thomas d’Aquin a changé les termes du problème : il l’a examiné non pas à l’égard de la justice de