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PÉCHÉ ORIGINEL. LA SCOLASTIQUE DU XII* SIÈCLE


Sens, en 1140, l’Église dira en quoi celle doctrine est insuffisante.

2. Condamnation au concile de Sens. - Saint Bernard († 1153), une fois qu’il eût découvert les témérités d’Abélard et remarqué les répercussions qu’elles avaient jusqu’à Home, Epist., CXCI, P. L., t. clxxxii, col. 357 ; Epist., exem, col. 359, en avertit le pape et les cardinaux. Dans sa lettre clxxxviii aux évoques et cardinaux de la curie, il signale, entre autres erreurs d’Abélard, celles que l’on relève de originali peccalo, de concupiscentia, de peccalo dclectationis, de peccato ignorantiæ. Col. 353.

Au pape Innocent II lui-même il dénonce les Capitula luereseum P. Abèlardi, Epist., exc (ou tract. XI). La doctrine incriminée sur le péché originel y est ainsi décrite au n. 8 : Sciendum est quod, cum dicitur originale peccatum esse in parvis, hoc dicitur pro pœna temporali et œterna quæ debetur eis ex culpa primi parenlis. Col. 1052.

On sait que, mis en demeure par l’abbé de Clairvaux de se rétracter, Abélard en appela à un concile. Dix-huit propositions tirées de ses œuvres furent condamnées au concile de Sens (1140). La neuvième vise l’erreur sur le péché originel : Quod non conlraximus culpam ex Adam, sed peenam tantum. Denz.-Ban., n. 376. Abélard ayant interjeté appel au pape vit Innocent II lui-même confirmer la sentence du concile de Sens. Epist., cxciv, interBern. epist., t. clxxxii, col. 360-361.

La doctrine d’Abélard, condamnée à Sens, contredisait d’ailleurs l’ensemble de la doctrine augustinienne professée dans l’École ; elle allait être discutée et rejetée par les principaux représentants de l’augustinisme.

3° Influence prépondérante d’Augustin dans l’École au XIIe siècle. — Cette influence se révèle dans la manière dont on pose et résout les problèmes théologiques que soulève le péché originel. Elle s’affirme spécialement dans les Sentences de P. Lombard qui la prolongeront dans les âges suivants.

1. Les problèmes théologiques agités. -— Cf. H. -M. Martin, Les idées de Robert de Melun sur le péché originel (d’après le ms. 191 de Bruges, largement cité), dans Revue des se. phil. et théol., t. vii, 1913, p. 700-725 ; t. viii, 1914, p. 439-466 ; t. ix, 1920, p. 103-120 ; t. xi, 1922, p. 390-415 ; du même, Le péché originel d’après Gilbert de la Porrée (i"1154) et son école, dans Revue d’hist. eccl., t. xiii, 1912, p. 674-691 ; J.-B. Kors, op. cit., p. 43-60.

a) La notion du péché originel. — Ce fut une question fort discutée au xiie siècle. Robert de Melun († 1167), comme ses contemporains, le reconnaît : queestio vero de peccato originali, qua quæritur quid ipsum sit, a multis facta est et a multis fœri adhuc solet. Ms. de Bruges 191, fol. 243 r°-243 v°, cité dans R. Martin, t. vii, p. 702. Les augustiniens y répondent ordinairement en disant que le péché originel c’est la concupiscence seule, ou la concupiscence et l’ignorance.

Anselme de Laon, un maître d’Abélard, définit ainsi le péché de nature : corruptio concupiscentise vel habilitas concupiscendi : Édit. Bliemetzrieder, Anselmus von Laon systematische Sentenzen, Munster-en-W., 1912, p. 72, dans les Beitràge de C. Bæumker, t. xviii, fasc. 2 et 3,

Guillaume de Champeaux, à la même époque, semble réduire au contraire le péché originel à une imputation du péché d’Adam : Peccatum illud est prsevaricatio ; pœna, concupiscentia ; reputatur Mi (à l’enfant) preevaricatio et peccasse dicitur in Adam, parce que, spirituale peccatum per quod primus pater, id est Adam, peccavit, imputatur ei. Fragm. xxii, édit. Lefèvre, op. cit., et Et. Hurault, op. cit., p. 18.

A l’école de Saint-Victor, on condamne comme contraire à la tradition la doctrine d’Abélard. Ainsi Hugues, In Rom., q. civ, P. L., t. clxxv, col. 450 :

Hugues rejette aussi la conception de VElucidarium qui fait du péché originel un péché personnel, péché de délectation exagérée de l’âme au moment où elle s’unit au corps. Summ. de sacram., I. I, p. vii, c. xxxv, t. ci.xxvi, col. 303.

L’auteur de la Summa sententiarum (faussement attribuée à Hugues) écarte, lui aussi, la définition, d’après laquelle ce péché ne serait que la dette d’un châtiment. C’est là heurter le texte de l’Apôtre : Beaucoup ont été constitués pécheurs par la désobéissance d’un seul. » Saint Paul appelle pécheurs ceux qui ne sont pas encore régénérés. Or, ils ne seraient pas pécheurs s’ils étaient seulement obligés de subir la peine. L’Apôtre dit encore : « Le péché est entré dans le monde et par le péché la mort. » Par ces paroles, il distingue nettement le péché et la mort. Sum. sent., t. III, c. xi, P. L., t. clxxvi, col. 107.

A la définition abélardienne, l’École de Saint-Victor oppose la suivante : « Le péché originel est la corruption ou le vice que nous contractons à notre naissance, par l’ignorance dans l’esprit et par la concupiscence dans la chair. Sum. de sacram., t. I, p. vii, c. xxviii, ibid., col. 299, et c. xxvi, col. 298 : Sum. sentent., t. III, c. ii, col. 106-107.

Il s’agit, dans l’enfant pécheur, non de la concupiscence et de l’ignorance actuelle, mais bien de la concupiscence habituelle qui fructifiera plus tard en convoitises, et de l’impossibilité où il sera de connaître la vérité quand il le faudra. Sum. de sacram., t. I, p. vii, c. xxxi, col. 302. L’École de Saint-Victor en appelle souvent à saint Augustin : elle pouvait, en effet, pour sa définition du péché originel, s’autoriser par exemple de ce texte du Contr. Jul., V, ni, 8, P. L., t. xi.iv, col. 787 : Et sicut cœcitas cordis… et peccatum est, et pœna peccati et causa peccali, ita concupiscentia carnis et peccatum est, et pœna peccati et causa peccati.

Saint Bernard, à rencontre d’Abélard dont il poursuit l’erreur, pense aussi que le péché originel s’identifie avec la concupiscence. Cf. surtout Tract, de error. Abèlardi, c. vi, t. clxxxii, col. 1066 : An peccatum in semine peccatoris, et non justitia in sanguine Christi ?… Si illi per carnem et per fldem huic ; et si infectus ex Mo originali concupiscentia etiam Christi gratia spirituali per/usus sum.

De même, Roland Bandinelli (le futur pape Alexandre III), après avoir exposé une théorie qui n’est autre que celle d’Abélard, ajoute : Alii dieunt peccatum originale nihil aliud esse quam fomes peccali seu carnis concupiscentia quod idem est. Quibus et nos Augustini freti auctoritate consentimus. A. Gietl, Die Sentenzen Rolands, p. 134.

Pierre Lombard, Sent., t. II, dist. XXX, q. vii, Gandulfe de Bologne, dans Sent, libri quatuor, édit. J. de Walter, Vienne et Bratislava, 1924, t. II, § 223, Robert Pullus, Sent., t. VI, c. i, P. L., t. clxxxvi, col. 863, Bandinus, Sent., t. II, dist. XXX, P. L., t. cxcii, col. 1060, et d’autres soutiennent les mêmes idées.

Dans les Sentences de Robert de Melun (ms. de Bruges 191, larges citations dans R. Martin), on trouvera une sérieuse critique des opinions contemporaines que l’auteur écarte : péché originel = désobéissance, langueur de la nature, obligation de subir la peine éternelle, stimulant au péché, fomes peccati, loi des membres, concupiscence du mal. Selon lui, voici comment il faut entendre ce fomes originalis dont il est question dans l’École : « Il est en quelque sorte dans la chair et dans l’âme. Il y a un vice dans la chair avant que l’âme lui soit unie. Ce vice n’est pas encore le péché originel. Mais, dès que l’âme est unie à la chair viciée, il se fait que, par suite de la corruption de la chair, commence à exister dans l’âme ce stimulant qui est le péché originel. Le péché originel est donc dans l’âme : il n’existe pas dans la chair ; il n’est pas