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PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT ANSELME


vue de la maternité divine ; voir aussi De concep. virg., col. 451. Si l’idée de la conception immaculée reste en dehors de ses perspectives, il a posé deux principes dont on devait logiquement la déduire : celui de la pureté incomparable de.Marie et celui de l’application anticipée des mérites du Christ à son âme : Décrus crut ut eu purilate qua major sub Deo nequit inielligi, Virgo Mu niteret. Ibid. ; et Cur Deus homo, t. II, c. xvi, col. 419. En reléguant à l’arrière-plan l’idée de concupiscence dans la corruption de la nature et dans la transmission du péché originel, il renversait enfin l’obstacle à l’admission d’une génération qui fût a la fois immaculée dans son terme et accompagnée cependant de la concupiscence charnelle dans ceux qui la produisent. En renonçant à expliquer par des moyens physiologiques la transmission du péché originel et en fondant celle-ci sur l’unité de nature, il préparait les esprits à rejeter l’axiome augustinien du De fide ad Pelrum : non propagatio, sed libido.

Conséquences du péché originel.

1. Dans la vie

présente, elles sont immenses pour nos premiers parents et pour leurs descendants : lotum quod erant infirmaium et corruplum est. De conc. virg., c. ii, col. 434.

Le corps d’Adam et d’Eve fut désormais soumis à la mort et aux appétits animaux ; leur àme se vit accablée par les besoins du corps et l’indigence des biens spirituels qu’elle avait perdus. Comme la nature était tout entière en eux, elle fut tout entière rendue infirme et corrompue. Elle contractait, du fait de son péché, en plus de sa corruption, une double dette : debiium justifiée intégrée quam accepit, debiium satisjaciendi quia eam deseruit. Elle se transmettait dans la situation misérable et coupable où elle s’était mise. En cet état, elle gardait encore sans doute le libre arbitre, De lib. arb., c. xi, col. 503, mais elle était dans l’impossibilité absolue de récupérer cette justice qu’elle aurait dû garder : à tel point qu’il y a un plus grand miracle pour Dieu à rendre la justice à qui l’a abandonnée que de rendre la vie à un mort. Ibid., c. x, col. 502. Bien plus, l’impuissance dont elle était frappée était coupable, dans sa source et dans toutes ses manifestations : De conc. virg., c. ii, col. 435. C’est à la fois un état pénal et coupable qui fait des pécheurs et des malheureux.

Le péché originel, avec les conséquences pénales et les responsabilités qu’il entraîne, est le même chez tous. De conc. virg., c. xxii, col. 452-454 ; c. xxvii, col. 461. Anselme, à la différence d’Augustin, pense que les péchés des proches parents n’entrent point en ligne de compte dans l’imputation qui nous est faite du péché d’origine. C. xxiv, col. 457.

2. Dans l’autre vie, le péché originel comme le péché personnel implique la condamnation à l’enfer ; cependant, comme il est moindre que les péchés mortels actuels, il implique un moindre tourment. De conc. virg., c. xxiii, col. 457. Si l’on objecte que Dieu ne doit point tenir rigueur à des inconscients du péché de quelqu’un qui leur est étranger, ibid., c. xxviii, col. 461, Anselme fait remarquer que, lorsque l’enfant est condamné, ce n’est pas pour le péché d’Adam, c’est pour le sien, le péché de la nature. C. xxvi, col. 460. Dieu réclame à la nature ce qu’il lui a donné et ce qui lui reste dû. C. xxviii, col. 461. D’ailleurs, remarque-t-il, il n’y a pas de milieu entre le salut et la damnation : ou l’on va dans le royaume des cieux, ou l’on en est exclu par le péché. Ibid., col. 462. Les enfants non baptisés en seront exclus, ils seront en enfer. Sur ce point comme sur bien d’autres, Anselme suit l’évêque d’Hippone. Mais, en insistant beaucoup sur le fait que le péché originel, dans les enfants, n’est pas à confondre, au point de vue de la gravité, avec l’acte prévaricateur d’Adam lui-même, qu’il n’est pas de tout point semblable aux péchés actuels et leur ressemble

seulement en ce que, comme eux, il exclut du royaume des cieux, Anselme, avec sa théorie du péché originel comme privation de la justice originelle, prépare logiquement les esprits à concevoir le sort des enfants non baptisés comme une simple privation du royaume et du bonheur célestes.

3. Rémission du péché. — En vertu des mérites de la vie et de la mort du Christ, le péché originel et les autres péchés sont bien remis au baptême ; mais l’enfanl ne peut encore acquérir la justice, c’est-à-dire cette vertu de rectitude de la volonté, qui suppose l’exercice de l’intelligence. S’il est dans l’impuissance d’avoir la justice, cela ne lui est plus imputé à péché. Dieu lui a remis l’obligation où il était de posséder la justice ; il n’est plus injuste, car la privation de la justice n’est plus en lui une dette qui le grève.

Ces enfants ainsi baptisés meurent-ils ; puisqu’ils ne sont plus injustes, ils ne seront point damnés, mais sauvés comme des justes ( quasi juslij par la justice du Christ et de son Église. De conc. virg., c. xxix, col. 463464. Ici apparaît, dans ses conclusions sur l’état de l’enfant baptisé par rapport à la justice, ce qu’il y a encore d’insuffisant dans la conception anselmienne touchant la grâce sanctifiante.

Conclusion. — Saint Anselme est un témoin de premier ordre de la doctrine ecclésiastique au xi c siècle touchant l’existence d’un état de misère et de culpabilité dans l’humanité, consécutif à la chute.

Son grand maître est Augustin ; mais il a dû connaître aussi les thèses du pseudo-Denys sur le caractère privatif du mal, et les affirmations ultra-réalistes de Jean Scot sur la transmission du péché d’origine.

On reconnaîtra facilement des échos d’Augustin dans la façon dont le disciple parle de la nature concrète, historique, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, de la corruption totale de cette nature et de la prolongation du péché d’origine dans ses conséquences : ignorance, concupiscence, impuissance pénale et coupable à la fois.

En disciple personnel, Anselme met en meilleur relief la thèse que l’évêque d’Hippone admettait déjà : à savoir que la concupiscence et l’ignorance, à elles seules, ne suffisent point à définir le péché originel ; celui-ci consiste formellement dans la relation morale de ces défauts avec la faute d’Adam. Cette relation détruite, le péché est absolument détruit en nous ; les défauts, qui, auparavant, étaient également un péché et une peine, ne sont plus qu’une peine en relation simplement historique avec le péché d’origine.

Dans la logique de cette perspective morale, Anselme pousse plus avant qu’Augustin l’analyse de la volonté dans la constitution du péché originel. Tandis que le maître envisageait la rectitude originelle comme une disposition de la nature intégrale (volonté et appétit sensible) et insistait davantage, dans la définition du péché d’origine, sur l’élément concupiscence et ignorance, Anselme définit la justice primitive par la rectitude de la volonté, et décrit, en conséquence, le péché originel comme la privation de la justice que tout homme devrait posséder.

Cette définition de la nature du péché originel entraîne une explication partiellement nouvelle de la transmission de ce péché et de ses conséquences.

Sans doute, pour Augustin comme pour Anselme, c’est notre unité en Adam qui est à la base de notre culpabilité commune : mais, tandis qu’Augustin se contente ordinairement d’affirmer que nous étions avec Adam et en lui quasi unus homo. que nous avons coopéré mystérieusement à l’acte prévaricateur, saint Anselme s’efforce, en fonction de 1 ultra-réalisme de l’époque, d’expliquer l’unité vivante et complexe de la nature humaine, toujours identique à elle-même, sous les différents individus qui la multiplient : il