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PÉCHÉ ORIGINEL. DOCTRINE DE S. AUGUSTIN


Dieu ne peut punir et condamner que des coupables. Sans cloute Augustin avait bien expliqué ces souffrances, dans le De libero arbitrio en leur trouvant une compensation dans la vie future. Mais, fait à noter, dès 415, dans une lettre à saint Jérôme, il avait déclaré cette solution insuffisante, et dans VOpus imper/ectum il ne trouvait point d’autre explication que dans la transmission de la faute originelle : « Où est donc l’équité de ce fardeau énorme qui leur est imposé ? Vous ne voulez pas admettre que ces maux ont été introduits dans le genre humain par l’homme dans lequel nous étions tous renfermés. Vous ne pouvez cependant nier que, sous le gouvernement d’un Dieu infiniment juste, les enfants ne soient très malheureux, car c’est là un fait qui vous crève les yeux. Ne remarquez-vous pas que vous rendez Dieu injuste, alors que, voyant les peines auxquelles les enfants sont soumis, vous les déclarez cependant innocents. » Opus imperf., V, 04, t. xlv, col. 1505 ; VI, 27, col. 1596 ; VI, 36, col. 1590 sq.

Il y a, dans le même sens, le joug des misères qui pèse sur les fils d’Adam ; voir surtout De civit. Dei, XXII, xxii, 1-3, t. xli col. 784. La justice proteste contre ce fait que les enfants d’Adam sont accablés de tant de maux, s’ils ne sont pas coupables. Opus imperf., II, 13, t. xlv, col. 1147.

Il y a enfin la concupiscence : c’est-à-dire ces mouvements honteux et déréglés qui ne sauraient, au moins dans le degré de violence où ils existent aujourd’hui, venir de Dieu : Si dixeris, qualis nunc est, talem fuisse concupiscentiam carnis anle peccalum, vincet procul te dubio manichxus. Opus imperf., VI, 14, col. 1532.

Sans doute il convient de tempérer ces affirmations par celles des Rétractations et du De dono perseverantise, où, même à la fin de sa vie, Augustin admet qu’une nature innocente, avec la difficulté et l’ignorance, ne serait point indigne de Dieu. II n’y a point là de contradiction ; en efi’et, dans le texte des Rétractations, « il n’est question que de l’ignorance et de la difficulté. Et surtout la présence du secours divin qui apporte la faculté de progresser, d’acquérir des vertus, d’aimer Dieu et de parvenir à l’heureuse destinée de l’homme y est constamment supposée et explicitement réclamée. Il resterait donc établi qu’Augustin a bien reconnu la possibilité d’une nature parfaitement innocente et, néanmoins, sujette à l’ignorance et à la concupiscence. Il aurait seulement nié que la condition misérable de l’humanité présente, avec l’ensemble de ses faiblesses et de ses douleurs, ait pu être sa condition primitive. » C. Boyer, art. cit., p. 55. Il y a là, semble-t-il, une exégèse qui tient compte de l’ensemble des textes augustiniens.

L’auteur cité croit pouvoir aller plus loin et ajoute : « A dire cependant notre avis, on se convainc, quand on examine la question sous tous ses aspects, qu’il est malaisé de démontrer que saint Augustin ait jamais soutenu l’impossibilité absolue d’expliquer la misère de l’homme, telle qu’elle est saisie dans l’expérience, sans recourir au péché originel. » — Avouons que les textes cités et beaucoup d’autres, qu’on pourrait ajouter, nous semblent exiger davantage. Après avoir écarté d’autres interprétations, saint Augustin met bien en demeure son adversaire de choisir entre le fait d’attribuer à Dieu l’iniquité, et celui de reconnaître que l’état actuel ne s’explique point autrement que par le péché originel. Ainsi l’ont compris de nombreux augustiniens au cours des âges ; ils ont pensé que la situation misérable de l’humanité actuelle ne peut être l’état normal et naturel de l’homme ; avec saint Augustin, ils ont cru voir dans cette situation une preuve expérimentale du péché originel. C’est l’apologétique de Pascal. Mais d’autres, saint Thomas, par

exemple, ont raisonné différemment : ils se sont demandé si la possibilité des souffrances de l’humanité ne pourrait s’expliquer, à la manière de l’ignorance et de la difficulté, comme des défauts inhérents à une nature humaine moins bien dotée que celle d’Adam, mais cependant innocente. Ce faisant, ils élargissaient simplement le principe pris dans le De libero arbitrio et maintenu dans les Rétractations. Dans cette perspective, l’argument augustinien perdait sa valeur absolue, mais gardait cependant une valeur relative : « Sans être absolument incompatible avec la raison, l’état présent de l’humanité, dans un monde que règle la Providence, suggère « assez probablement », selon saint Thomas (Contra génies, IV, 52), l’hypothèse d’un châtiment général qui permet lui-même de remonter à une faute originelle. » J. Rivière, art. cit., col. 413.

Bref, l’argument tiré de l’expérience fait bien partie du système augustinien dans sa démonstration du péché originel ; il n’en est peut-être pas l’élément le plus solide.

2° La nature et le mode de transmission du péché originel. — Saint Augustin ne s’est pas contenté d’établir la preuve de l’existence du péché originel : il eut l’occasion d’en préciser la nature et le mode de propagation, particulièrement durant sa controverse avec Julien sur la concupiscence et l’ignorance. C’est surtout en étudiant ces deux imperfections morales et leur relation avec le péché d’Adam que saint Augustin fut amené à s’expliquer abondamment sur sa manière de concevoir le péché héréditaire.

1. Cause, nature et gravité du péché d’Adam. — a) Sa cause. — Ce n’est pas de la nature humaine, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, que vient nécessairement le péché d’origine ; celui-ci, comme les autres péchés, ne s’explique que par un abus du libre arbitre, fait par la volonté maîtresse d’elle-même. C’est la volonté d’Adam qui en est la cause et l’agent.

Il n’eût pas été indigne de Dieu de créer des âmes avec la concupiscence et l’ignorance pour les aider ensuite à s’élever avec son secours à la béatitude ; nous l’avons vii, Augustin l’a soutenu toute sa vie. Mais, en fait, telle n’a pas été l’institution première de notre nature. Dieu lui a donné, pour lui faciliter l’atteinte de la béatitude, avec magnificence, tous les moyens souhaitables. Voir Justice originelle, col." 2031-2032.

L’homme possédait alors la rectitude qui tient subordonné le corps à l’âme, la concupiscence à la volonté, la volonté à Dieu. De pecc. mer., Il, xxii, 36, t. xliv, col. 172 ; De nupt. et concup., i, iii, 3, et xxin, 25, t. xliv, col. 415 et 428 ; De perfect. just. hom., vin, 19, t. xliv, col. 300.

Dans cet état privilégié, sous l’action et la garde de Dieu, Adam était justifié, illuminé, béatifié : Eo quippe ipso cum ab illo (se. Deo) non discedit, ejus ipse preesentia justificatur, et illuminatur, et beatificatur, opérante et custodiente Deo, dum obedienti subjectoque dominatur. De Gen. ad litt., VIII, xii, 25, t. xxxiv, col. 383, et De civ. Dei, XIV, xxvi, t. xli, col. 434.

C’était là la justice et la sainteté dont parle saint Paul et qu’Adam a perdue par son péché. De Gen. ad lilt., VI, xxvi et xxvii, col. 354-355. Dans cet état l’homme méritait : Sic oportebat prias hominem fieri ut bene velle posset et maie ; nec gratis si bene ; nec impune, si maie. Enchir., 105, t. xl, col. 281. Il possédait la bonne volonté, De civ. Dei, XIV, xi, 1, t. xli, col. 418 : en d’autres termes, la liberté qui consistait à pouvoir ne pas pécher : Prima ergo libertas voluntatis erat posse non peccare ; novissima erit multo major : non posse peccare. De corrept. et grat., xii, 33, t. xliv, col. 936. A ce secours s’ajoutait le pouvoir de persévérer s’il voulait : Primo itaque homini, qui in eo bono quo foetus