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379 PÉCHÉ ORIGINEL. S. AUGUSTIN AVANT LE PÉLAGIANISME 380

s’établit entre les hommes vient de te que la faute commune est justement punie chez les uns par la damnation, enlevée chez les autres par la justification. I, ii, 18, col. 12$1-$223.

Rôle de lu concupiscence.

C’est par la concupiscence

que le péché originel se transmet à toute la masse pour la pétrir en quelque façon dans le mal : Concupisccntiu carnulis de peccati pœna jam regnans, universum genus humanum tanquum totam et unam conspersionem, originali reulu in omnia jicrmunante, confuderal. 1, ii, 20, col. 126.

1° Peines qui atteignent la « massa damnala ». — Englobée d’une certaine façon dans la personne d’Adam, la masse pécheresse, qui est solidaire avec lui, est débitrice en tous ses membres, à l’égard de la suprême justice, de la peine temporelle et éternelle qu’elle doit subir : Sunt igitur omnes homines (quandoquidem ut Apostolus ail : in Adam omnes moriuntur a quo in universum genus humanum origo ducitur offensionis Dei) una quædam massa peccati, supplicium debens divinæ summœque justitiie, quod sive exigatur, sive donetur, nulla est iniquitas. I, ii, 16, col. 121. L’ensemble du contexte montre qu’il s’agit dans ce livre surtout du supplice éternel.

Ainsi, tous ceux qui ne seront pas tirés de cette masse de péché par la grâce de la prédestination resteront condamnés à l’enfer. Saint Augustin ne dit rien ici des enfants morts sans baptême, mais il pose dès lors les principes dont il tirera les conséquences dans ses traités contre les pélagiens. « Il dira sans ambages que ces enfants devront subir une peine éternelle dans l’enfer, bien que cette peine soit la plus légère des peines des damnés. » Cf. Tr. Salgueiro, La doctrine de saint Augustin sur la grâce d’après le traite à Simplicien, Strasbourg, 1925, p. 115. Chez les adultes, les péchés actuels ne feront qu’augmenter la peine déjà éternelle.

Ainsi Dieu pourrait condamner justement toute la masse de péché : « Que Dieu remette ce supplice en justifiant le coupable, ou qu’il l’exige en l’abandonnant, nulle injustice n’est commise. Quant à savoir qui doit subir sa peine, qui doit en être exempté, ce n’est pas à nous, débiteurs, qu’il appartient d’en décider. Ainsi, le dernier mot d’Augustin sur cet obscur problème est un aveu d’ignorance : l’homme s’incline devant un mystère qu’il ne saurait scruter… On notera cependant en quels termes se trouve décrit le pouvoir mystérieux qui préside à notre destinée. Ce n’est pas une puissance aveugle ni une volonté arbitraire, c’est une justice et une vérité ; ces expressions et d’autres semblables prouvent que le secret qui nous échappe ne recouvre, d’après Augustin, qu’une parfaite équité. » Ces paroles d’Ét. Gilson, op. cit., p. 197, résument parfaitement la pensée du grand docteur sur le mystère de la massa damnata. Cf. Ad Simpl., i, ii, 16-22, col. 120-128.

Le sort du libre arbitre.

 L’homme déchu, qui

appartient à la massa damnata et n’est point délivré de sa condamnation par la grâce, possède encore le libre arbitre, c’est-à-dire le pouvoir de vouloir et de choisir ; mais ce pouvoir reste inefficace ; il ne s’emploie pas de fait à vouloir le bien et, s’il le veut, il est incapable de l’accomplir. Seul, Dieu, par la grâce, fait la bonne volonté. Saint Augustin l’affirme nettement dans le commentaire qu’il donne ici de Rom., vii, 19-25, Ad Simpl., i, i, 6-17, col. 104-110. L’homme déchu qui est abandonné à ses propres forces « est entraîné au mal par la concupiscence qui le domine et le séduit par l’attrait d’une chose défendue… C’est la passion qui le pousse et il cède à ses efforts victorieux. Pour ne pas céder, et pour que l’esprit de l’homme soit armé contre la cupidité, il faut la grâce. » 1, i, 9, col. 106.

Où est la cause d’une telle faiblesse ? Dans la nature déchue et dans l’habitude du péché, qui donnent à la concupiscence une force extraordinaire et insurmontable : Unde nisi ex traduce morlalilalis et assiduitate voluptalis ? Illud est ex pœna originalis peccati, hoc est ex pœna frequentali peccati. Cum illo in hanc vilain nascimur ; hoc vivendo addimus. Quse duo, lanquam natura et consueludo. conjuncta, robustissimam faciunt et invictissimam cupiditalem. quod vocat pecratum et dicit habitare in carne sua, id est dominatu/n quemdam et quasi regnum oblinere. 1, i, 10, col. 106.

Que devient alors, sous cet empire, le libre arbitre ? Il subsiste sans doute, mais avec un pouvoir très restreint : Liberum voluntatis arbitrium plurimum valet ; imo vero est quidem, sed in venumdatis sub peccato quid valet ? I, ii, 21, col. 126. Il est incapable d’accomplir ce qu’il choisit de faire : Velle enim, inquit (Apostolu*), adjacet mihi, - jierficere autem bonum non invenio. His verbis videtur non recle intelligenlibus, velut au/erre liberum arbitrium. Sed quomodo auferl, cum dicat : Velle adjacet mihi ? Certe enim ipsum velle in potestate est, quoniam adjacet nobis : sed quod perficere bonum non est in potestate, ad meritum pertinet originalis peccati. I, i, 11, col. 107, et 14, col. 108. La différence entre l’homme déchu et l’homme restauré par la grâce n’est aucunement dans la possession ou dans la nonpossession du libre arbitre, mais dans son efficacité. Et. Gilson, op. cit., p. 202. L’incapacité à accomplir le bien qu’il connaît, veut et choisit, est dans l’homme déchu la peine du péché originel. C’est Dieu qui forme en nous la bonne volonté par sa grâce. I, ii, 12, col. 118.

En cette vie mortelle, il reste au libre arbitre « non le pouvoir d’accomplir lui-même la justice, lorsqu’il le voudra, mais de se tourner avec une confiance suppliante vers celui qui pourra lui obtenir la grâce de l’accomplir ». I, i, 14, col. 108. Encore, ce mouvement de prière est-il déjà une grâce. C’est ce qui résulte de l’argumentation de saint Augustin à la fin de son traité. I, ri, 21, col. 126, 127. Dieu nous commande de demander pour recevoir ; mais que constatons-nous souvent ? que notre prière est souvent tiède, plutôt froide, parfois même nulle. Qu’en conclure sinon que la qualité de celle-ci dépend de la grâce de Dieu : « Car celui-là nous donne la grâce de demander, de chercher, de frapper, qui nous commande de le faire : nous ne pouvons ni vouloir, ni courir, si Dieu ne nous pousse et ne nous excite. »

La formule suivante que nous lisons dans ce passage : Quid ergo aliud ostenditur nobis nisi quia petere et quærere et pulsare ille concedit, qui ut hxc faciamus jubet ? fait déjà pressentir la prière des Confessions : Da quod jubés et jubé quod vis. ConL, X, xxix, 40, t. xxxii, col. 796. Elle ne sera pas dépassée au moment de la controverse pélagienne par la formule du De gratia et libero arbitrio, xv, 31, t. xliv, col. 899 : Adjuvat ut jaciat cui jubet.

Ainsi, dès 397, saint Augustin se trouve, avec sa doctrine de la massa damnala, en possession des thèses maîtresses qu’il opposera à l’hérésie pélagienne. S’il a pu dire dans ses Retract., i, ix, 6, t. xxxii. col. 598, en faisant allusion au 1. III du De libero arbitrio : Longe antequam pelagiana hæresis e.rtitisset, sic dispulavimus velut contra illos disputaremus. il aurait pul’affirmer avec plus de raison encore de la consultation à Simplicien en faisant allusion à sa théorie de la masse pécheresse. Cette doctrine pourra devenir, dans les écrits anti-pélagiens, comme un lieu commun sans cesse mis en avant pour affirmer le dogme de la chute, l’impuissance totale à rentrer dans l’ordre pour la volonté déchue, la nécessité absolue de la grâce pour faire le bien, et échapper à la damnation éternelle. (Voir dans O. Rottmanner, Der Augustinismus, .