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375 PÉCHÉ ORIGINEL. S. AUGUSTIN AVANT LE PÉLAGIANISME 376

existence, aurait été dans l’ignorance et la difficulté posséderait encore un grand bien et elle devrait remercier son Créateur ; dès le premier instant, en effet, elle brille d’une perfection bien supérieure à n’importe quel corps, en n’importe quel état. Non seulement elle est une âme et, par là, dépasse tous les corps, mais avec le secours de son Créateur elle est capable de se perfectionner ; elle peut acquérir toutes les vertus et échapper ainsi aux tourments de la difficulté et à l’aveuglement de l’ignorance. De cette façon, et pris en lui-même, cet état n’est plus un châtiment ; c’est une occasion de progrès ; c’est le point de départ u’un perfectionnement. Aucune nécessité ne retient cette âme dans l’ignorance ou la difficulté où elle est née. Si elle n’en sort pas, ce sera sa propre faute. A une telle âme on ne doit pas assigner d’autre cause que Dieu : on ne voit qu’amour et largesse dans une telle créature. Donner l’existence à ce qui n’était pas, et l’amour à ce qui aime le Créateur, n’est-ce pas une œuvre digne de Dieu ? > » III, xx, 56, col. 1298. Ainsi l’hypothèse d’une telle créature n’apparaît point à saint Augustin indigne des attributs divins.

3e hypothèse. — Les âmes ont été tirées toutes ensemble du néant et subsistent dans le mystère de Dieu ; de là elles sont envoyées dans les corps viciés par la faute d’Adam pour administrer ces organismes soumis à l’ignorance et à la difficulté. L’état où elles sont mises et qui, pour Adam, était le supplice du péché, devient pour elles la porte vers un état meilleur ; il n’a rien de mauvais et, s’il est imparfait, elles peuvent, avec l’aide de Dieu qui leur a donné la force de bien faire et les lumières de la foi, l’améliorer et porter le corps de péché qui leur a été donné jusqu’à la gloire de la résurrection. III, xx, 57, col. 1298.

4e hypothèse. — Les âmes préexistantes viennent spontanément dans les corps mortels : ce sont elles alors qui sont responsables de l’état misérable dans lequel elles se jettent. III, xx, 58, col. 1299.

Ainsi, aux yeux de l’auteur du De libero arbitrio, l’état qui inclut l’ignorance et la difficulté, indépendamment de toute pénalité originelle, est assez bon pour avoir pu être, si Dieu l’avait voulu, l’état primitif. Une telle condition, avec le secours de Dieu, n’a rien de désespéré, ni même d’inconvenant, puisqu’elle est « une invitation au progrès, et que la béatitude en demeure la fin attirante et accessible ». Cf. Boyer, loc. cit., p. 45. En affirmant que l’homme, créé dans la difficulté, serait resté une œuvre bonne, il laisse entendre que les conditions privilégiées supérieures, dans lesquelles Dieu a créé l’homme, en fait, manifestent de la part du Créateur, à l’égard de celui-ci, une grâce spéciale. On peut donc conclure que, sur ce point, « saint Augustin est très éloigné de l’opinion de Baïus et de Jansénius, » J. Kors, La justice et le péché originel d’après saint Thomas, Kain, 1922, p. 11, et affirmer avec C. Boyer « que le défenseur intrépide des privilèges d’Adam a (toujours) reconnu que l’homme eût pu sortir des mains de son Créateur dans un état bien inférieur à celui du paradis terrestre et se trouver aux prises avant toute faute avec l’ignorance et la concupiscence ».

3° Position ultérieure d’Augustin. — Toute sa vie saint Augustin maintiendra la double position du De libero arbitrio : d’une part, le fait que Dieu a créé l’homme dans un autre état que l’état misérable où il apparaît aujourd’hui, dans une parfaite rectitude, avec les lumières de la sagesse et la facilité du bien ; d’autre part, l’hypothèse irréelle que l’homme aurait pu sortir des mains de Dieu en commençant par l’ignorance et la difficulté. Il l’affirme dans les Rétractalions, I, ix, 6, P. L., t. xxxii, col. 598 : « Cette misère dans laquelle l’homme est placé en venant en ce monde, les pélagiens ne veulent pas qu’elle pro vienne d’une juste condamnation, puisqu’ils nient le péché originel. Et cependant, quand même l’ignorance et la difficulté seraient la condition primitive de l’homme, il y aurait encore là sujet de louange et non de blâme pour Dieu, ainsi que nous l’avons démontré dans ce même 1. Ilf. Cette démonstration est à faire contre les manichéens qui ne reçoivent pas les Écritures de l’Ancien Testament. Mais, contre les pélagiens, il faut soutenir ce qu’appuient l’une et l’autre Écritures puisqu’ils font profession de les recevoir l’une et l’autre. » Le De dono perseveranliæ rend le même son, xi, 27, t. xlv, col. 1009, etxii, 28, col. 1010. « Au troisième livre du De libero arbitrio, j’ai fait front contre les manichéens dans les deux hypothèses que l’ignorance et la difficulté, dont nul homme ne naît exempt, seraient la condition primitive de notre nature ou qu’elles seraient un châtiment ; et, cependant, je sais ce qu’il faut tenir et je l’ai exposé en cet endroit même avec assez de clarté, à savoir que ce n’est point la nature de l’homme tel qu’il fut créé, mais la peine de l’homme condamné. »

En fait, ce qui intéresse et qui intéressera, toute sa vie, l’auteur du De libero arbitrio, ce n’est point tant la nature hypothétique qui aurait pu sortir des mains de Dieu, que la nature concrète de l’homme, telle qu’elle a été créée par Dieu, et telle que nous la voyons déchue après le péché. Cette nature, telle que Dieu l’a voulue, est ensuite pour lui, pendant toute sa vie, la vraie nature. Il la nomme ainsi, De libero arbitrio, III, xix, 54, t. xxxii, col. 1297 : Ipsam naturam aliter dicimus, cum proprie loquimur, naturam hominis in qua primum in suo génère inculpabilis factus est ; aliter istam, in qua, ex illius damnati pœna, et mortales et ignari et carni subditi nascimur. Il n’aura pas d’autre langage dans les Rétractations, I, x, 3, col. 600 : Naturam qualis sine vitio primitus condita est ; ipsa enim vere et proprie natura hominis dicitur. Ce n’est que dans un sens impropre qu’on appellera « nature l’état de fait dans lequel nous naissons après le péché : Translata autem verbo ut naturam dicamus etiam qualis nascitur homo.

Si Augustin a conçu la possibilité théorique, pour l’auteur du bien, de produire une nature moins généreusement dotée que celle d’Adam, jamais il ne s’est posé le problème des exigences strictes et de la définition de la nature pure. Pour lui, la vraie nature est celle qui est conforme en fait au plan primitif du Créateur, et non point aux exigences philosophiques de la raison. La nature déchue, soumise à la concupiscence et à la difficulté, est une nature corrompue : < Il n’y a pas de trace dans tout cela de la nature pure thomiste, dont la définition se fonde sur l’essence de l’homme et que le péché ne saurait donc avoir corrompue sans Je détruire tout entier. Si l’on entend, avec saint Thomas, par « bonum naturæ humanæ » ipsa principia natures ex quibus ipsa natura constiluitur, et proprietates ex ea causatæ, on doit dire que ce primum bonum naturæ nec tolliiur, nec minuitur per peccatum (Sum. theol., I"-II 88, q. lxxxv, a. 1). On verra que, selon saint Augustin, la nature peut avoir été et est au contraire corrompue, parce qu’elle n’était primitivement que l’ordre établi par Dieu et détruit ensuite par le péché. Et. Gilson, Introduction à l’étude de saint Augustin, Paris, 1929, p. 185, n. 3.

Autres questions posées dans ce traité.

1. Saint

Augustin propose aussi, dans le De libero arbitrio, une explication à deux faits d’expérience que lui objectent les manichéens : la mort prématurée de certains enfants et la souffrance des tout petits. « Quel sera, au jour du jugement, la place de ceux qui ne devront point être mis au rang des justes, puisqu’ils n’auront pas mérité, ni au rang des pécheurs, puisqu’ils n’auront pas péché ? » C’est, répond Augus-