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PÉCHÉ OHIGINKL. LES PREMIERS AFRICAINS


conscience avec la même netteté, avec la clarté d’un saint Augustin par exemple, de tout ce qu’impliquait leur affirmation d’une participation mystérieuse à la faute d’Adam chez ses descendants.

Le grand adversaire des pélagiens aurait sans doute souscrit à ce juste raisonnement : « Est-ce que Dieu, par hasard, maudirait, condamnerait ceux qui ne seraient pas coupables ? est-ce qu’il réclamerait une dette à ceux qui ne doivent rien ? ou qu’il priverait de sa grâce et de son amitié ceux qui ne sont opposés en rien à sa volonté ? » M. Jugic, ibid., p. 18. Il ne s’ensuit pas cependant qu’un Jean Chrysoslome ait vii, aussi nettement que l’évêque d’Hippone, la légitimité d’une telle déduction, lui qui répugnait à appeler « pécheurs » ceux qui étaient devenus mortels par la faute d’Adam.

Il faut laisser à chacun des Pères grecs la nuance de sa pensée et de sa logique suggestive et ne point les opposer en bloc aux Pères latins.

Si, très explicites pour affirmer que nous subissons tous la peine du péché d’Adam, ils l’ont été beaucoup moins pour affirmer que nous héritons de son péché même, c’est qu’ils concevaient moins clairement la transmission de la culpabilité que celle de la peine du premier péché. Il suffisait à la plupart de reconnaître un enveloppement mystérieux de ses descendants en la personne d’Adam pécheur. Il faut ajouter que des hommes, comme frénée, Origène, Didyme et Marc l’Ermite, ont de la culpabilité transmise par Adam à ses descendants une notion plus précise qui s’approche de celle que consacrera l’Église en face du pélagianisme. Seul dans l’Église d’Orient jusqu’à la controverse pélagienne, Théodore de Mopsueste fait figure de négateur du péché originel.

III. LA TRADITION ECCLÉSIASTIQUE AVANT LA CONTROVERSE PÉLAGIENNE : LES PÈRES LATINS. — Les Pères latins ont moins écrit que les Pères grecs sur le péché d’origine ; leurs affirmations occasionnelles sur ce point sont cependant utiles à relever, car non seulement elles établissent la continuité entre la foi de Paul et celle d’Augustin dans l’Église d’Occident, mais elles font connaître l’ébauche d’une théologie de la tache et de la souillure originelles qui se développera chez saint Augustin et ses successeurs. — I. Doctrine de l’Église d’Afrique au iiie siècle. II. Doctrine du ive siècle (col. 365). III. Saint Augustin avant la controverse pélagienne (col. 371).

I. Doctrine de l’Église d’Afrique au iii c siècle.

— 1° Tertullien (| vers 240). — Comme l’évêque de Lyon, il a devant lui le gnosticisme de Marcion ; comme Irénée, il cherche l’explication du mal moral, avec la tradition, dans l’abus de la liberté et particulièrement dans le péché d’Adam. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 261-268 ; "Fixeront, op. cit., t. i, p. 340.

1. L’homme primitif : double ressemblance avec Dieu. — Adam possédait une double ressemblance avec Dieu : ressemblance de nature et ressemblance de grâce. Le principe de cette grâce était dans l’Esprit de Dieu qu’il tenait du souille divin et qu’il devait perdre par sa faute. De baptismo, v, P. L. (éd. 1844), t. i, col. 1206. Ainsi était-il fait pour la vie. Adv. Marc., ii, 11, t. ii, col. 298. En lui, rien que de rationnel ; l’irrationnel ne peut qu’être étranger à Dieu.

2. Déchéance ; mort ; irrationnel ; souillure originelle.

— La faute commise par Adam, sous l’influence du démon, a produit non seulement la mort, mais de nouvelles fautes avec leur châtiment. Adv. Marc, i, 22, t. ii, col. 272 A. Elle a mis en nous « l’irrationnel » qui devient, après la chute, une seconde nature : Irrationale auiem posterius intelligendum est, ut quod accident serpentis instinctu… coadoleveril in anima ad

instar jam naturalitatis, quia stutim in naturm primordio accidit… A diabolo irrationnale a quo et deliclum ; exlraneum a Deo, a quo irrationale est alienum. De anima, xvi, t. ii, col. 672 B.

N’entendons point par là l’appétit irascible et concupiscible en tant que tel : celui-ci s’exerçait rationnellement dans le Christ. Tertullien veut parler de ce désordre, de cette autre nature qui nous fait enfants de colère : « Le mal de l’âme vient en partie de l’action de l’esprit mauvais qui s’exerce sur elle ; mais il a sa première source dans un vice d’origine qui est en quelque sorte naturel, ex originis vitio, naturale quodammodo. La corruption de la nature est une autre nature qui a pour dieu et père l’auteur même de la corruption. Quant à ce qui vient de Dieu, la vraie nature, proprie naturale, elle demeure voilée, non obscurcie. De anima, xli, col. 720 A. Ainsi, Adam seul a possédé la vraie nature dans sa pureté. Il nous a transmis une nature corrompue, marquée d’une tache originelle. De ce fait, même les enfants des fidèles, candidats cependant au salut, sont exclus du ciel, ne sont pas saints, restent impurs, tant qu’ils ne sont pas renés de l’eau et de l’Esprit. Ibid., xxxix, col. 718 B.

3. Solidarité dans la transgression d’Adam et dans la corruption établie entre toute la race et son chef par l’hérédité physique. — Écho de saint Paul et de saint Irénée, Tertullien proclame la solidarité de tous en Adam pécheur : « Toute âme est comptée en Adam jusqu’à ce qu’elle soit recensée dans le Christ ; elle est impure jusque-là ; parce qu’elle est impure, elle est pécheresse. Son union avec la chair est pour elle une source d’ignominie. » Ibid., xl, col. 719 A. La chair n’est pécheresse d’ailleurs que comme instrument de l’âme qui commande.

Une telle solidarité dans la corruption a pour raison une certaine participation à la transgression : Porlavimus imaginem choici per collegium /ransgressionis : per consortium mortis, per exitum paradisi. De resur., xlix, col. 866 A.

Tertullien n’a pas de peine à s’expliquer la transmission d’âme à âme de cette corruption. Par le fait qu’il admet que toutes les âmes étaient en Adam, que les parents sont auteurs de l’âme aussi bien que du corps de leurs enfants, il n’hésite pas à voir dans la génération la source de contamination pour toute la race : Per quem (Salanam) homo a primordiis circumventus… exinde totum genus a suo semine infeclum, suæ etiam damnationis traducem fecit. De testim., ni, t. i, col. 613 A.

4. Solidarité dans le péché, ou la tendance au péché. — La façon dont Tertullien parle des enfants non baptisés qui ne sont pas saints, qui ont besoin du baptême pour avoir le royaume des cieux, favorise l’idée d’une solidarité dans la culpabilité et non seulement dans la tendance au péché.

Tertullien a cependant écrit : « Pourquoi l’âge innocent courrait-il à la rémission des péchés ? » Ici, sans aucun doute, d’après le contexte, l’auteur pense aux péchés actuels : « Tertullien veut qu’on ne contracte pas à la légère des obligations redoutables et que, l’ablution baptismale étant unique, on la réserve pour un âge où l’on aura besoin de pardon pour les fautes de sa jeunesse. » A. d’Alès, op. cit., p. 266. Il estime dès lors qu’il vaut mieux différer le baptême des enfants jusqu’à ce qu’ils aient l’instruction de la foi ; et il ajoute cette seconde raison : Pourquoi l’âge innocent courrait-il à la rémission des péchés ? Veut-il affirmer par là que le baptême efface uniquement les péchés actuels ? Non, pas nécessairement, car, dans cette hypothèse, il contredirait les textes très clairs où il dit des enfants qu’ils ne sont pas saints et qu’ils sont exclus du ciel tant qu’ils n’ont pas reçu le baptême. Pas plus qu’il n’estimait le baptême opportun après la