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PÉCHÉ ORIGINEL. DOCTRINE DES GRECS


dits innocents ; ils n’ont point de péché de ce genre pour les souiller ; « la difficulté du péché originel est qu’étant d’une nature particulière, étant un péché que l’on contracte sans agir ou, ce qui est la même chose, un péché qui vient d’autrui et non pas de nous, il a dû arriver naturellement que ceux qui n’avaient que ce péché, comme les petits enfants, fussent ôlés, en un certain sens, du rang des pécheurs, parce qu’à l’égard des péchés que l’on commet par un acte propre de la volonté, ils sont absolument innocents. » Bossuet, Défense de la tradition, part. II, t. IX, c. xiv, éd. cil., t. iv, p. 338.

Le langage d’un Jean Chrysostome ou d’un Grégoire de Nazianze s’explique bien de ce point de vue. Ces Pères peuvent tout à la fois exclure du ciel l’enfant mort sans baptême et dire qu’il n’y a pas de mal (personnel) en lui. Ce point de vue optimiste qui insiste sur le rôle de la liberté, même dans l’homme déchu, n’exclut pas nécessairement l’affirmation de la chute avec ses conséquences pénales et peccamineuses pour le genre humain.

2° Tous les Pères grecs enseignent la doctrine scripluraire d’une déchéance originelle. — La faute d’Adam est pour eux la source de la mortalité, des misères physiques et morales de l’humanité ; elle a certainement amené dans l’homme une très grande facilité à pécher. Les Pères des époques et des milieux les plus divers l’attestent chacun à leur façon. (Marc l’Ermite reconnaît cependant dans Adam la volupté et la vaine gloire qui expliquent son premier péché, comme elles expliquent les nôtres.) Tandis que les Alexandrins voient surtout dans l’homme déchu, comme conséquence de la faute originelle, l’ignorance des choses divines et la corruption physique qui en est la suite, les Antiochiens caractérisent d’abord cet état par la mortalité : celle-ci entraîne d’ailleurs la concupiscence et une certaine ignorance ; elle apparaît à plusieurs (Irénée, Méthode d’Olympe, Jean Chrysostome) tout autant comme un remède et un bienfait de Dieu, préparatoire à la résurrection, que comme une peine du péché d’origine. En exagérant ce point de vue médicinal de la mortalité, l’évêque de Mopsueste en arrive à ne plus reconnaître même son caractère pénal et à donner des gages à l’erreur pélagienne. Ce faisant, il s’écarte de la double affirmation traditionnelle dont il s’était fait l’écho dans ses commentaires sur la Genèse et l’épître aux Romains : l’homme, déchu par la faute d’Adam, a contracté la mortalité et l’inclination au péché.

3° Les Pères grecs affirment-ils que, descendant d’Adam, nous héritons non seulement des misères, peines de son péché, mais de son étal de culpabilité lui-même ?

— Sur cette question on a beaucoup discuté au cours des siècles. Déjà Julien d’Éclane opposait à saint Augustin le silence de ces Pères on leur doctrine contraire sur ce point. Bossuet en discutait avec Richard Simon. Entre catholiques de nos jours, la question est controversée.

D’après J. Tixeront, leur théologie, « si explicite pour affirmer que nous subissons la peine d’Adam, l’est beaucoup moins pour affirmer que nous héritons de son péché même, L’Ecole d’Antioche, toujours jalouse de sauvegarder les droits de l’intégrité de la nature humaine, devail éprouver une difficulté part Iculièrc à entrer dans cette idée. » Op. cit., t. iii, p Et R. Draguct écrit dans le même sens : i On lait que la croyance au péché originel eut peine a m foire ai i ep 1er universellement dans l’Église d’Orient ; la crainte de l’origénisme semble lui avoir fait tort ; si les écrivains ecclésiastiques orientaux s’accordaient à rattacher à la faute d’Adam la nécessite de souffrir et de mourir qui pèse sur la nature humaine, il n’en nian quait pas parmi eux qui répugnaient a admettre que l’homme mortel natt également coupable. Julien

d’Halicarnasse et sa controverse avec Sévère d’Ahlioche, Louvain, 1924, p. 224.

En sens inverse, M. Jugie, dans une réponse à R. Draguet, critique ainsi les conclusions précédentes : » Ceux qui ne découvrent pas la doctrine du péché originel chez les Pères grecs ou se font de ce péché une idée spéciale, ou sacrifient à un verbalisme étroit qui ne reconnaît pas la substance du dogme sous la diversité des formules qui la recouvrent. Il y a bien des manières, en effet, d’exprimer la même vérité : à côté de l’expression adéquate, définitive, scolastique — et les théologiens n’ont pas encore trouvé la formule définitive sur la nature du péché originel — il y a d’autres manières équivalentes de rendre la même idée. » Julien d’Halic. et Sévère d’A. La doctrine du péché originel chez les Pères grecs, Paris, 1925, p. 17.

En tenant compte de ces différents points de vue, il semble que de notre enquête on peut dégager les conclusions suivantes :

1. Il est certain que les Pères grecs, avant le pélagianisme, n’ont pas distingué, avec la même netteté que saint Augustin et que les théologiens postérieurs, entre les conséquences pénales et les conséquences peccamineuses du péché d’Adam. Ils ont affirmé clairement le dynamisme pernicieux du péché d’origine et l’ont décrit surtout par ses effets extérieurs les plus saillants : la mortalité, l’ignorance, la concupiscence, sans se poser tous expressément la question de savoir si une participation aux misères d’Adam ne trouvait point son explication dans une participation mystérieuse à sa faute.

2. Il est non moins certain que, si tous reconnaissent que nous venons au monde déchus de nos droits au ciel et portant en nous une inclination au mal, il en est quelques-uns qui répugnent à admettre que l’homme malheureux naisse également coupable ; ils ne mettent pas sur le même plan l’enfant « innocent » et l’adulte coupable d’un péché personnel. S’ensuit-il nécessairement qu’il y ait là une négation du péché originel ? Cela serait si, par ailleurs, les Pères ne reconnaissaient pas dans l’homme déchu un certain état peccamineux. Or, n’emploient-ils point certaines expressions qui impliquent la transmission de cet état peccamineux ? : « Tous les textes, ou à peu près, où certainscritiquescroient trouver une négation du péché originel, s’expliquent par le fait que les Pères entendent par à[i.apTÎa le péché actuel commis par la volonté individuelle. Mais n’expriment-ils pas suffisamment l’idée de la culpabilité originelle lorsqu’ils disent que nous avons tous été maudits, condamnés en Adam ; que nous participons tous à la dette que doit notre premier père à la justice divine ; qu’Adam a perdu pour lui et pour nous la grâce et l’amitié divines ? ».lugie, op. cit., p. 18. Qu’on se rappelle les expressions d’Irénéc : « Nous avons offensé Dieu dans le premier Adam » ; celles d’Origène : <> Tous les hommes étaient dans les reins d’Adam, étant expulsés en lui et avec lui du paradis terrestre » ; celles de Méthode sur « le péché qui a son siège dans la chair » ; celles des Cappadociens sur « notre premier péché » ; de Didynie et de Marc l’Ermite sur « le vieux péché qui est détruit par le baptême > : de Jean Chrysostome sur « le commencement île dette que nous aurions augmenté par nos péchés postérieurs > ; d’Athanase sur « le péché qui s’est répandu dans les descendants d’Adam ».

expressions peuvent être plus ou moins précises, traduire chez leurs auteurs des approximations plus ou moins réussies de la vérité traditionnelle ; il n’en msIc pas moins que, dans leur ensemble, elles favorisent logiquement l’idée de transmission d’un état non seulement malheureux, mais aussi peccami neux, par suite du péché d’Adam. On n’en conclura

pas nécessairement que tous les Pères grecs aient eu