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PÉCHÉ ORIGINEL. AVANT LA GNOSE


par cette thèse alors classique : seul l’être improduit, Dieu, est par nature incorruptible ; tout être produit, même l’âme, par sa condition native, est corruptible et ténébreux. Dans cette perspective, l’âme ne peut devenir incorruptible et lumineuse que par une participation au divin. Déjà.Justin avait dit : l’intelligence humaine ne voil jamais Dieu, si elle n’est revêtue de l’Esprit-Saint, Dial., iv, 1, P. G., t. vi, col. 484, et il avait soutenu, ibid., , que l’âme n’est point par nature immortelle.

De même Talion va expliquer l’intelligence et l’immortalité en Adam par un don de l’Esprit communiqué au premier homme. C’est la possession de ce don qui constitue celui-ci « image de Dieu ». « Nous savons, dit-il, qu’il y a deux espèces différentes d’esprits, dont l’une s’appelle l’âme (4’ox]) et l’autre est supérieure à l’âme, c’est l’image et la ressemblance de Dieu. L’une et l’autre se trouvaient dans les premiers hommes ; ainsi par l’une ils étaient ûXixoî, hyliques, par l’autre ils étaient supérieurs à la matière. » Oral., 12, P. G., t. VI, col. 829 C.

De même, ibid., 13, col. 833 A : « L’âme en soi n’est pas immortelle, mais mortelle… Par elle-même, elle n’est que ténèbres et rien de lumineux n’est en elle… Demeure-t-elle solitaire ? elle se tourne vers la matière et meurt avec elle ; est-elle unie à l’Esprit divin, elle n’a plus besoin d’autre secours, mais elle monte où l’entraîne l’Esprit. Ainsi, dans le principe, l’Esprit fut uni à l’âme, mais l’Esprit l’abandonna quand elle ne voulut plus le suivre. » Privée de cet Esprit, l’âme de l’homme ne différerait guère de celle des animaux, sinon par la voix articulée. Ibid., 15, col. 840.

Aussi Dieu ne l’a-t-il point laissée à sa vanité : en la créant à l’image de Dieu, il l’a dotée du principe de l’immortalité, de l’intelligence et de la liberté. « Ainsi le Logos céleste, Esprit, né du Père…, a fait l’homme image de l’immortalité, afin que, comme l’incorruptibilité est en Dieu, de même l’homme participe à ce qui est le lot de Dieu et possède l’immortalité. Mais, avant de former l’homme, le Logos crée les anges. Et ces deux espèces de créatures ont été faites libres, ne possédant pas par nature le bien qui n’appartient qu’à Dieu. » Ibid., 7, col. 820 B.

L’homme ainsi constitué est l’homme véritable, car l’homme n’est point, comme le veulent les philosophes, « un être raisonnable, capable de recevoir l’intelligence et la science ; car, d’après eux, les bêtes elles-mêmes seraient démontrées capables de telles qualités ». Ce qui définit l’homme, c’est « l’image et la ressemblance de Dieu ». J’appelle l’homme non pas celui qui fait des choses semblables à celles que font les bêtes, mais celui qui dépasse en quelque sorte son humanité pour s’avancer vers Dieu. 15, col. 837 B.

Du fait de sa ressemblance à Dieu, l’homme est ainsi constitué qu’il implique dans sa définition, non seulement l’union de l’âme et du corps, mais encore l’habitation de l’Esprit dans l’âme comme dans un temple. 15, col. 840 A. « Nos premiers parents étaient ainsi, grâce à la possession de l’Esprit divin, des hommes véritables et doués d’une haute perfection. Cette perfection n’était cependant pas inamissible, ils n’étaient point bons par nature, car ce privilègen’appartient qu’à Dieu. » A. Slomkowski, L’état primitif de l’homme dans la tradition de l’Église avant saint Augustin, Paris, 1928, p. 26.

2. Le péché originel et ses conséquences.

Tatien enseigne nettement que le mal est entré dans le monde par la défaillance de la volonté humaine. « Nous n’avons pas été faits pour mourir, mais nous mourons par notre faute ; la volonté libre nous a perdus. Nous qui étions libres, nous sommes devenus esclaves : nous avons été vendus par le péché. Rien de mal n’a été fait par Dieu. C’est nous qui avons produit le mal ; ceux-là

qui l’ont produit peuvent le répudier de nouveau. 11, col. 829 B.

Le péché d’origine a pour cause l’entraînement du démon séducteur ; il a pour conséquence la perte de l’Esprit divin et, par suite, celle de l’immortalité corporelle et spirituelle, celle de la connaissance religieuse. 7, col. 821 A, et 13, col. 83 : ’, C.. Dans le principe, l’Esprit fut uni à l’âme ; mais L’Esprit l’abandonna quand elle ne voulut pas le suivre. Elle avait encore comme une étincelle de sa puissance ; mais, séparée de lui, elle ne pouvait pas voir les choses parfaites ; elle cherchait Dieu et se formait dans son erreur des dieux multiples… L’Esprit de Dieu n’est point en tous, mais en quelques-uns qui vivent justement il est descendu, s’est uni à l’âme, et, par ses prophéties, a enseigné aux autres âmes l’avenir caché ; et celles qui ont obéi à la sagesse ont attiré en elles l’Esprit qui leur est apparenté ; celles qui lui ont désobéi et ont écarté le ministre de Dieu qui a souilert se sont montrées les ennemies de Dieu plutôt que ses adoratrices. « Ibid., col. 836 A.

Ces réflexions sur l’homme déchu nous invitent a ne pas prendre trop à la lettre les expressions où Tatien ne voit aucune différence entre l’homme privé de l’Esprit et l’animal, puisqu’il nous le montre ici et ailleurs capable de recouvrer, par ses efforts, l’Esprit supérieur. D’après Tatien, l’homme déchu garde sa liberté ; cette liberté qui a produit le péché peut le répudier, 11, col. 829 B ; les âmes qui ont obéi à la Sagesse ont attiré en elles l’Esprit qui leur est apparenté. 13, col. 836 A. Les hommes, après la perte de l’immortalité, peuvent de nouveau, par la foi, vaincre la mort et, par la pénitence, recouvrer leur vocation première. Le vaincu peut de nouveau vaincre, s’il répudie les causes de mort. 15, col. 840 B. Nous pouvons de nouveau nous entourer de l’armure de l’Esprit pour vaincre le démon. 16, col. 841 A. Toute la tâche d’aujourd’hui est de trouver ce que nous avons perdu, d’unir notre âme à l’Esprit et de nous efforcer d’atteindre ainsi l’union à Dieu. 15, col. 837 A.

Tatien nous offre donc une doctrine traditionnelle mêlée de commentaires philosophiques qui la déforment. A travers ces commentaires, il est facile de reconnaîtrelebien de la tradition : création de l’homme à l’image de Dieu et, par le fait, communication à Adam d’un principe spirituel de vie qui le rend incorruptible, contemplateur des choses divines et heureux : perte de ce principe par le premier péché et, par suite, perte de l’incorruptibilité et de la connaissance religieuse ; assurance cependant que l’homme retrouvera l’aide divine, l’Esprit divin, l’union à Dieu. Ces vérités sont en quelque sorte obscurcies par la spéculation. L’erreur initiale est dans le principe, alors classique, que l’homme, parce que produit, ne peut être, laissé à lui-même, que mortel, condamné à l’ignorance absolue de Dieu. De là l’idée que toute immortalité, même celle de l’âme, toute connaissance de Dieu, même la plus infime, est refusée en théorie à l’homme privé de l’Esprit ; de là l’identification affirmée entre l’homme véritable et l’homme fait à l’image de Dieu ; de là l’inclusion, dans la définition de l’homme, de l’infusion de l’Esprit divin, de l’impression del’image en son âme ; de là la conception, par certains côtés pessimiste, de l’homme ravalé par le départ de l’Esprit au rang de la bête. C’est par une inconséquence heureuse que Tatien le montre, dans la lumière de l’Évangile, capable de retrouver, par un bon usage de sa liberté et de la foi, l’Esprit supérieur.

Théophile d’Antioche.

Homme d’Église beaucoup

plus que philosophe, dans le témoignage qu’il apporte à la doctrine de la tentation, de la chute et de ses conséquences, il serre de plus près l’Écriture que Tatien et représente mieux que lui la pensée commune