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    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. LE IUDAIS.YÏE POSTÉRIEUR

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luge n’aura point besoin de faire miséricorde, car « leurs propres œuvres » leur donnent droit à la récompense finale. » Frey, art. cité, p. 557. Nous avons là une doctrine de la mort héréditaire, d’une déchéance originelle, mais non celle d’une culpabilité transmise. Ce qu’affirme Esdras, c’est la transmission par Adam de la mort, d’un germe mauvais, d’un état malheureux, d’une situation déplorable, mais non celle d’un péché.

4. Philon est un écho de la pensée du judaïsme alexandrin dans la seconde moitié du I er siècle de notre ère. Il se révèle tout entier avec son platonisme et sa méthode allégorique dans l’interprétation qu’il donne aux premiers chapitres de la Genèse.

Il ne prend pas à la lettre le récit de la tentation et de la chute ; il ne saurait y voir que « des expressions figurées qui invitent à chercher la signification allégorique ». De opificio mundi, 156. Sous les symboles de ce récit, il croit découvrir la réalité d’une faute de volupté avec ses conséquences néfastes. Entre Adam et Eve « l’amour survint et leur donna à tous deux le désir de s’unir ; le désir engendra la volupté charnelle, qui est la source de toutes les iniquités et de toutes les prévarications, et qui leur fit changer une vie immortelle et bienheureuse contre une vie mortelle et malheureuse ». Ibid., 37, 151. Le serpent c’est la volupté, 157, qui s’adresse d’abord à Eve, c’est-à-dire aux sens, pour atteindre Adam, c’est-à-dire la raison, 165.

La faute originelle n’entraîne, ni la mort. iii, à plus forte raison, une culpabilité morale pour la race. Ici, l’anthropologie de Philon l’éloigné de toute idée de mort héréditaire et de péché transmis. Pour le disciple de Platon, la source de la propension au péché se trouve dans l’union de l’âme au corps et non dans la chute d’Adam. Cf. Zeller, Philosophie der Griechen, t. m b, 4e édit., p. 449. Tixeront fait remarquer justement : a Le corps, de même que la matière dont il est formé, est essentiellement mauvais ; c’est la prison qui enferme l’esprit, le cadavre que celui-ci traîne avec soi. Par le seul fait de son contact avec l’âme, le corps la souille et la porte au péché. Personne dans sa vie n’évite ce péché, du moins s’il marche sans autre appui que soi. » Histoire des dogmes, t. i, 5e éd., p. 57.

Avec de pareilles vues, Philon ne peut voir dans la mort un malheur et un châtiment. Si le corps est le « tombeau », Quod Deus sit immutab., 250, et la « prison » de l’âme, De ebrietate, 101, la mort est un bien, une délivrance. Déjà avant la chute, Adam est mortel ; cela résulte de ce qu’il a un corps : « Il est naturel pour l’âme d’être séparée du corps. » De opif. mundi, 134.

La Genèse, il est vrai, parle de la mort comme d’un châtiment ; mais pour l’allégoriste Philon, il s’agit ici de la mort au sens moral, de la mort à la vertu, la seule véritable mort. « Il y a une double mort : celle de l’homme, qui se fait par la séparation de l’âme et du corps, et celle de l’âme qui consiste dans la perte de la vertu… Il est naturel pour l’âme d’être séparée du corps, mais la mort, qui est un châtiment, consiste en ce que l’âme meurt à la vie de la vertu. » Legum alleg., i, 105-107. C’est de cette mort véritable dont furent menacés les premiers parents : voilà celle qui est un châtiment et non un fait naturel. Les seules conséquences que reconnaisse Philon au péché originel sont des conséquences physiques : peines de la vie, travail pénible, soucis multiples, douleurs de l’enfantement, sacrifices de l’éducation.

Philon dit bien : « A tout ce qui naît, si bon qu’il soit, par le fait même qu’il naît, il est naturel de pécher. » De vila Mosis, ii, 147 ; mais c’est simplement constater la propension au péché ; cf. Lagrange, Épître aux Romains, p. 115. Nulle part « cette tendance au mal n’est mise dans une dépendance quelconque vis-à-vis du premier péché ; loin d’en être une suite, elle en donne l’explication. Les théories de Philon sont en opposition formelle avec toute croyance au péché originel ». J.-B. Frey, art. cité, p. 530.

Aussi n’est-on point étonné de lire dans le Quis rerum div. hères sit, 294 : « L’enfant qui vient au monde a jusqu’à l’âge de sept ans une âme pure, semblable à une cire molle, qui n’a encore reçu l’empreinte, ni du bien, ni du mal, et tout ce qu’on croirait pouvoir y graver serait effacé sans laisser de traces. » Ce n’est que lorsque les sens s’éveillent que s’éveille avec eux la propension au mal. Malgré cette inclination au péché, certains hommes conservent leur âme dans la sainteté et la rendent comme « une sainte libation à celui qui la leur donna et la conserva à l’abri de tout mal ». Ibid., 184.

En définitive, Philon s’éloigne de la pensée juive, comme de la pensée de son contemporain, saint Paul. La désobéissance du premier homme, pour lui, est un péché charnel. Elle n’entraîne pas la mort qui est naturelle à l’homme ; elle produit seulement chez Adam la mort à la vertu ; elle a valu à l’homme les douleurs physiques. Encore le premier homme pourrait-il s’en délivrer par un retour à la vertu. Elle n’entraîne aucune conséquence morale pour l’humanité, puisque, loin de causer la propension au péché, elle en est le premier résultat.

Il nous est inutile d’interroger la Mischna (voir sur ce point J. Freundorfer, loc. cit., p. 93-104). Elle a pu spéculer sur la chute, enseigner avec les anciens que la mort nous vient d’Adam, que la corruption a sa source dans la mauvaise tendance qu’Adam possédait, disait-on, avant son péché ; jamais elle n’a dit que la culpabilité d’Adam ait été transmise à ses descendants. Paul a pu entendre aux pieds de Gamaliel enseigner l’idée de la mort héréditaire, sa doctrine d’une culpabilité transmise par Adam à ses descendants ne vient pas de là.

De plus en plus s’imposent ces conclusions proposées par les exégètes contemporains : « Il n’y a, dans toute la littérature apocalyptique, aucun enseignement précis sur Adam, source de péché pour tous les hommes, leur transmettant une nature qu’on pût dire contaminée par le péché. » Lagrange, op. cit., p. 117 ; et Frey : « Nous arrivons à la conclusion que les documents juifs du temps de Notre-Seigneur, et même les grandes apocalypses de la fin du ie siècle, ne connaissent pas le péché originel au sens propre du mot. » Cf. Freundorfer, op. cit., p. 93.

Conclusion générale : l’idée de la chute et de ses conséquences dans l’ensemble de la littérature juive jusqu’à Notre-Seigneur.

1. L’idée de la chute avec ses conséquences pénales (souffrances et mort) se trouve affirmée dès le début de la révélation dans les premiers chapitres de la Genèse. Mais cette idée reste comme isolée et sans écho pendant longtemps au cours de la révélation prophétique.

2. Ce n’est que dans les derniers siècles avant J.-C. que l’attention se reporte avec curiosité vers les origines. Sur la foi du récit de la Genèse, l’Ecclésiastique et la Sagesse enseignent que l’homme était fait d’abord pour l’immortalité et le bonheur. Par l’envie du diable, le péché est entré dans le monde. Nos premiers parents sont, par leur faute, cause des souffrances et de la mort pour leurs descendants. Ces idées transmises par la révélation sont alors le bien commun de la pensée juive presque tout entière. Nous les retrouvons en dehors des livres canoniques dans YHénoch slave, l’Apocalypse de Moïse, le 1 Ve livre d’Esdras, une partie de l’Apocalypse de Barucli, les Jubilés.

3. A cette époque on spécule aussi sur l’origine de la corruption humaine. On s’accorde généralement sur l’universalité de cette corruption ; on reconnaît toute-