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PÉCHÉ PHILOSOPHIQUE HISTOIRE I LTÉRIEURE

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pable de celle-ci, mais de la première seulement : en conséquence, il commet un péché philosophique » (p. 122).

4° Les traces de la querelle — Aujourd’hui, et depuis longtemps, le péché philosophique a perdu, grâce a Dieu, de son actualité. Il ne semble pas avoir émules Salmanticenses dans le copieux traité desquels nous n’avons pas trouvé la mention de cette erreur. A peine y rclève-t-on, à propos de l’offense comme essentielle au péché, une objection qui nous rappelle les doctrines ci-dessus rapportées : si quelqu’un, dit-elle, ignorant invinciblement Dieu, commettait un péché, ce péché serait contraire à la loi, faute de quoi il ne serait pas un péché ; et, cependant, il ne serait pas une offense de Dieu, car il est de la raison de l’offense qu’elle soit volontaire ; or, chez qui ignore Dieu, l’offense ne peut être volontaire, puisque l’ignorance Ole le volontaire. La réponse est brève mais décisive : « On nie qu’un homme puisse pécher sans connaître du même coup, au moins in actu exercito, qu’il y a un supérieur commandant légitimement, auquel il est tenu d’obéir : en quoi virtuellement au moins et implicitement, il connaît Dieu législateur et sait, ou peut savoir, qu’en violant la loi il agit contre lui et l’offense. » Op. cit., disp. VII, dub. ii, n. 18. Chez Billuart, et donc chez un théologien français du milieu du xviiie siècle, le péché philosophique laisse à peine plus de traces. On retrouve en son ouvrage, au traité du péché, la difficulté que se faisaient déjà les carmes de Salamanque. Il y est répondu d’une manière un peu différente. Tout d’abord, l’hypothèse est illusoire attendu qu’il ne peut y avoir ignorance invincible de l’existence de Dieu. Ensuite, admis qu’un homme pût ignorer, pour un temps très court, l’existence de Dieu, du fait même qu’il pécherait il connaîtrait qu’il y a un Dieu, car il connaîtrait qu’il pèche contre la loi naturelle, en conséquence contre l’auteur de la loi : et ainsi, dans la connaissance même de la loi, il connaîtrait au moins implicitement le législateur. Et Billuart conclut : d’où il ressort qu’il n’y a point de péché purement philosophique, c’est-à-dire qui ne soit que contraire à la raison, sans être contraire à Dieu ni l’offenser. De peccatis, diss. I, art. 2, fin.

Dans l’enseignement contemporain, le péché philosophique ne trouve plus guère refuge que chez quelques auteurs. Lacroix, S. J., par exemple, dans sa Theologia moralis, 1866, De peccatis, n. 52, en vient à avouer la possibilité absolue du péché philosophique (on peut voir aussi chez cet auteur la manière curieuse dont il accommode la proposition condamnée en vue de la rendre acceptable, n. 58). Équivalemment, Nivard, S. J., Elhica, 1928, c. vi, art. 1, p. 169-170, tient que le péché philosophique ne peut qu'être exceptionnel, comme est exceptionnelle l’ignorance invincible de Dieu ; c’est assez dire qu’il n’est pas absolument exclu. En revanche, Cathrein, S. J., Philosophia moralis, part. I, c. vii, art. 1, bien qu’il restreigne la portée de la condamnation et n'échappe pas à l’idée des deux malices, refuse la notion du péché philosophique. L. Billot, S. J., à son tour, qui professe que la condamnation laisse licite l’hypothèse de la possibilité absolue d’un péché philosophique, accuse fortement, au nom d’un argument rationnel, que cette notion répugne métaphysiquement et il n’invoque rien d’autre que la considération traditionnelle de la meilleure théologie …Quisquis actus humani capax discernit inter bonum et malum morale, eo ipso scit se esse positum sub potestate alicujus Enlis supremi, cujus œquissima volunlas naturalem ordinem servari vult, perturbari vetat. Quin imo, pro lanlo apprehendit aliquid ut prohibilum in conscienlia, pro quanto invisibilis et indeclinabilis superioris legem agnoscit. Op. cit., part. I, c. i, § 4, p. 27. Par ailleurs, le même théologien, appliqué plus tard au

problème du salut des infidèles, fut conduit à p comme condition de la vie morale elle-même une connaissance de Dieu relativement perfectionnée, par quoi il limitait considérablement chez les païens le nombre des adultes spirituels et la faculté de pécher. Voir ses articles dans les Études, 1920-1921 ; ci-dessus art. Infidèles (Salut des), col. 1891-1892, 1907-1911. Il ne versait pas ainsi dans le philosophisme ; mais, maintenant la vraie nature du péché, il eu soumettait l’accomplissement à des exigences insolites et démesurées. On observera que chez certains adversaires du péché philosophique, la raison alléguée n’est point toujours pertinente : par exemple, Prlimmer, O. P., M 'anuale theologiee moralis, t. i, n. 25, déduit l’impossibilité du péché philosophique de ce que l’homme, en fait, est appelé à une fin surnaturelle. Il était peut-être utile que l’on tentât de dégager ici les principes propres de cette erreur.

Hors le monde des théologiens, qu’on lise sur notre sujet la page badine de Sainte-Beuve : il trouve qu’Arnauld s’est donné beaucoup de mal à propos de cette doctrine « à laquelle il faudrait changer si peu de chose pour la rendre agréable au sens commun ». Port-Royal, t. v, p. 301. Sainte-Beuve pour cette fois divertit, mais n’enseigne pas.

Notre tâche fut de représenter et de défendre un système doctrinal du péché. Autre chose est d'éprouver ce que l’on appelle communément le sens du péché, où le péché originel du reste a pour le moins autant de part que le péché actuel. Autre chose même est de décrire la psychologie qu’engage ce sentiment ou d’en suivre les traces parmi l’histoire humaine. Cette dernière étude serait passionnante comme l’objet en est chose en elle-même enviable. Notre exposé théologique aurait trouvé sa récompense si, outre sa fin propre, il favorisait chez plusieurs le sens du péché et suscitait chez quelqu’un le goût d’en essayer l'étude.

I. Introduction.

1° Sur les mots, voir : E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1873 ; A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, 1928 ; A. Forcellini, Tolius latinitatis lexicon, Prato, 18581860 ; H. Etienne, Thésaurus græcæ linguæ, Paris, Didot, 1831-1856 ; J. Grimm, Abslammung des Wortes Sûnde, dans Theologische Sludien und Kriiiken, t. ii, 1839, p. 747 sq.

2° Sur le péché dans les religions et la philosophie, voir J. Hastings, Encgcloptedia of religion and elhics, art. Sin, t. xi, 1920 (avec bibliographie) ; E. Westermack, L’origine et le développement des idées morales, trad. franc., 2 vol., t. ii, Paris, 1928, c. xlix-lii et passim (avec bibliographie) ; G. Mensching, Die Idée der Sùnde, Leipzig, 1931 (avec bibliographie) ; W. Sesemann, Die Ethik Plalo und dos Problem des Bôsen, dans Phil. Abhandl. Herm. Cohen dargebr., Berlin, 1912, p. 170-189 ; Aristote, Éthique à Nicomaque, passim ; P. vanBraam, Aristoleles useof à(j.ac.T ; 'a, dans Classical Quarterlg, 1912, p. 266 sq. ; A.-M. Festugière, La notion de péché présentée par saint Thomas (Ia-H 83, q. lxxi) el sa relation à la morale aristotélicienne, dans The new scolasticism, 1931, p. 332-341 ; W. D. Ross, Aristote, trad. franc., Paris, 1930, c. vii, Éthique ; M.-D. Roland-Gosselin, Aristote, Paris, 1928, c. vii, Le moraliste ; E.-V. Arnold, Roman Stoicism, Cambridge, 1911, c. xiv, Sin and lœakness ; Marin O. Liscu, Étude sur la langue de la philosophie morale chez Cicéron, Paris, 1930 ; Fr. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, 4e éd., Paris, 1929 (avec bibliographie) ; V. Brochard, Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne, Paris, 1912, c. La morale ancienne et la morale moderne, cf. A.-D. Sertillanges, dans Revue philosophique, t. i, 1901, p. 280 sq.

3° Sur le péché dans l'Écriture sainte et chez les Pères ou écrivains ecclésiastiques, voir F. Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, art. Péché, t. v, 1912 (avec bibliographie) ; J. Hastings, A Dictionarg o/ the Bible, art. Sin (avec bibliographie) ; J. Hastings, Dictionarg of Christ and the Gospels, art. Sin, t. ii, 1909 (avec bibliographie) ; P. Dhorme, Le livre de Job, Paris, 1926 ; Hauck, Prolest. Realencgklopàdie, art. Siïnde, t. xix, 1907 (avec bibliographie) ; Cavallera, La doctrine de la pénitence au IIIe siècle, dans Bulletin de lillé-