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PÉCHÉ PHILOSOPHIQUE


commencement de la vie raisonnable et l’on y introduit une grande responsabilité. La thèse se réclame d’une analyse du moment même où l’enfant devient un petit homme et sur le sentiment de l’urgence d’une décision morale. Elle ne porte rien que de grave et de beau.

En dehors de l'école thomiste, elle est loin, bien entendu, d’avoir gagné tous les suffrages. Parmi les opposants, Vasquez, op. cit., disp. CXLIX, c. ii, éd. cit., p. 792 : Mihi vero (salua pace et reverenlia lanlo doclori débita) semper visa est probabilior opposita sententia… nempe posse esse veniale peccalum solum simul cum originali ; mais à la première partie de la thèse, savoir qu’avant l’usage de la raison l’enfant ne commet ni péché véniel ni péché mortel, ce théologien a déclaré se rallier, c. i. Suarez, De peccalis, disp. II, sect. viii, éd. cit., p. 539 sq.

On trouvera un ample exposé historique et un examen critique des opinions relatives à cette « théorie de l’enfant » dans l’article Infidèles (Salut des), t. vii, col. 1863-1894 ; l’exposé est commandé par le dessein propre de l’article. Sur la doctrine de saint Thomas lui-même, une étude à la fois théologique et psychologique de Hugueny, L'éveil du sens moral, dans Revue thomiste, 1905, p. 509-529, 646-668. Sur une relectio de Fr. de Victoria consacrée à ce sujet, qu’elle ne traite d’ailleurs formellement qu’en une de ses parties, et tenue par la tradition postérieure comme un des documents notoires du débat, une récente analyse, fournie de copieuses citations, par de Blic, Vie morale et connaissance de Dieu d’après Fr. de Victoria, dans Revue de philosophie, 1931, p. 581-610. L’effort des historiens et des théologiens s’appliquerait opportunément au problème dont nous venons de marquer les lignes essentielles.


IX. Le péché philosophique.

On espère avoir représenté jusqu’ici le système doctrinal où l’idée de péché a reçu, par les soins de la théologie catholique, son développement et son organisation. Données chrétiennes, pensées traditionnelles et matériaux philosophiques y ont été portés à leur point de perfection intelligible. Mais, depuis l'âge où ce système fut formé, il serait surprenant que les esprits n’eussent plus rien conçu sur le sujet du péché. La nature du mal moral et les problèmes que cette réalité entraîne ont retenu l’attention de maints philosophes ; il serait avantageux aux théologiens de s’en informer et d’en retirer fût-ce un modeste amendement pour leur système. L’entreprise déborde les limites d’un article où il suffit d’enregistrer l'état des doctrines, tout au plus de proposer quelque suggestion pour leur avancement. Nous croyons que la communion avec les efforts de la pensée philosophique est l’un des devoirs du théologien, étant l’une des conditions qui sauvent de l’inertie les systèmes que ses ancêtres ont construits.

Dans le cercle même de la pensée théologique, l'épisode le plus notable qui concerne l’histoire de la doctrine du péché, telle que nous la connaissons, tient dans la notion qu'énonce le titre de ce paragraphe. Il est important de remarquer dès l’abord que le péché philosophique est une notion tardive ; elle n’est point une pièce organique du système que nous avons représenté. Et cette observation justifie que nous en placions l'étude à cet endroit, dégagée de l’exposition du système. Par ailleurs, elle n’est point sans toucher à plusieurs des éléments doctrinaux relatifs au péché ; et, pour cette seconde raison, il importait que nous la considérions ici. La critique que doit appeler de notre part la notion de péché philosophique historiquement établie, achèvera, nous l’espérons, de nous faire entendre la doctrine ci-dessus représentée.

Le péché philosophique est communément signalé à l’attention des théologiens par la condamnation qu’en

a portée Alexandre VIII, par décret du 24 août 1690, et qui définit bien, au demeurant, le sujet de la présente étude :

Peccatum philosophicum Le péché philosophique ou seu morale est actus humasimplement moral est un nus disconveniens naturæ acte humain en désaccord rationali et rectse rationi ; avec la nature raisonnable theologicum vero et mortale et la droite raison ; par oppoest transgressio libéra divina : sition, le péché théologique legis. Philosophicum, quanet mortel est une transgrestumvis grave, in illo qui sion libre de la loi divine. Deum vel ignorât vel de Le péché philosophique, si Deo actu non cogitât, est grave qu’il soit, est (bien), grave peccatum sed non est chez celui qui ignore Dieu offensa Dei neque peccatum ou ne pense pas actuellemortale dissolvens amiciment à Dieu, un péché gratiam Dei neque rcterna peena ve, mais il n’est point offense dignum. de Dieu, ni un péché mortel

détruisant l’amitié de Dieu, ni (une faute) digne de la peine éternelle.

Telle est la proposition que le pape déclare :

scandalosam, temerariam, piarum aurium offensivam et erroneam, et uti talem damnandam et prohibendam esse, sicuti damnât et prohibet ita ut quicumque illam docuerit, défendent, ediderit aut de ea etiam disputaverit publiée seu privatim tractaverit nisi forsan impugnando, ipso facto incidat in excommunicationem, a qua non possit (præterquam in articulo mortis) ab alio, quacumque etiam dignitate fulgente, nisi a pro tempore existente romano pontifice absolvi. Insuper districte in virtute sanctse obedientiae et sub interminatione divini judicii prohibet omnibus christifidelibus cujuscumque conditionis, dignitatis ac status, etiam speciali et specialissima nota dignis, ne prædictam thesim seu propositionem ad praxim deducant. Du Plessisd’Argentré, Collectio, judiciorum, t. m b, p. 365 sq. ; Viva, Damnatarum thesium…., pars III a, p. 3.

Le même décret condamnait comme hérétique une proposition relative aux actes d’amour de Dieu non nécessaires ; cf. Denz., n. 1289, 1290.

I. la condamnation romaine.

1° Circonstances qui l’ont provoquée. — La proposition condamnée évoque une thèse qu’avait soutenue publiquement, au collège de la Société de Jésus à Dijon, le P. F. Musnier, en juin 1686. Tous en conviennent. Mais certains ont prétendu qu’elle ne reproduit pas de la thèse le texte exact : l’histoire que nous devons raconter permettra d’en juger. Comment une thèse de collège atteignit-elle à la célébrité d’une condamnation en cour de Rome, à plus de quatre années d’intervalle ? L'éclatante intervention d’Antoine Arnauld en fut la cause prépondérante.

La thèse de Dijon connue à Louvain y avait d’abord suscité des débats : ils portaient notamment sur les conditions de culpabilité du péché d’ignorance. Ce n’est qu'à la suite de ce premier engagement, où il lui semblait que les jésuites, dont le P. de Reux était le protagoniste, méprisaient, comme il dit, les avis des docteurs de Louvain, qu’Antoine Arnauld, pour lors réfugié à Bruxelles, se décida à faire usage des écrits de Dijon qu’on lui avait communiqués et composa, en juillet 1689, une dénonciation du péché philosophique, qui parut en septembre de la même année sous ce titre : Nouvelle hérésie dans la morale dénoncée au pape et aux évêques, aux princes et aux magistrats. Dans les Œuvres d’A. Arnauld, t. xxxi ; on trouve un historique des interventions d’Arnauld dans la Préface historique et critique de ce volume, art. 1. Dans cet écrit, et sous l’impression des débats de Louvain, Arnauld signale, au principe de cette opinion d’un péché philosophique, la fausse doctrine qui requiert à la culpabilité du péché l’advertance actuelle du mal que l’on commet : en quoi l’on confond des états de l’esprit que les théologiens ont de tout temps soigneusement discernés, l’ignorance vincible et l’ignorance invincible, l’ignorance actuelle et l’ignorance dans la