Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée
251
252
PÉCHÉ VÉNIEL CONSIDÉRÉ EN LUI-MÊME


l’intention. Et c’est pourquoi ce temps est celui pour lequel il est obligé par le précepte allirmatif de Dieu où le Seigneur dit : Convertissez-vous à moi et je me convertirai à vous, Zac, i, 3. » Ibid., ad 3um.

2. Éclaircissement de sa doctrine.

Telle est la documentation thomiste sur la doctrine dont il s’agit. Deux points sont à comprendre :

a) Le premier est qu’avant l’âge de discrétion on ne serait capable ni de péché mortel ni, à plus forte raison, dit saint Thomas, de péché véniel. Où notre théologien semble méconnaître cette période de transition où, la discrétion n’étant pas encore atteinte, la raison cependant commence de se produire ; n’est-ce point alors le temps par excellence des péchés véniels, s’il en est un, dans la vie humaine ? L’argument de saint Thomas s’entend fort bien pour le cas où, la discrétion manquant totalement, l’enfant commet des actes qui, de leur nature, seraient chez un adulte des péchés mortels ou des péchés véniels. Mais n’y a-t-il point place chez l’enfant pour des discernements imparfaits et pour des premiers mouvements indélibérés qui, portant sur quelque matière déréglée, constitueraient autant de péchés véniels ? Là-dessus, la lettre de saint Thomas est muette. Il faut tâcher de pénétrer sa pensée. Et l’on peut estimer qu’en nous déclarant pour cet âge l’impossibilité d’un péché véniel selon son genre, saint Thomas a entendu signaler l’impossibilité de tout péché véniel, et de celui-là même qui serait dû à l’imperfection de l’acte. En effet — et Cajétan interprète ainsi son maître — bien qu’une moindre liberté soit requise à de tels actes, ils doivent supposer une égale faculté libre, et telle que la demande aussi le péché mortel : peccatum veniale ex parte actus præsupponil liberlalem sufficienlem ad peccatum mortale : quia præsupponil quod possit a libéra ratione impediri… Licet ad peccandum venialiler minus libertatis sufficiat in exercitio quam in mortali, quia absque deliberatione peccatur venialiler, non tamen minus sufficit in facultale. Cajétan, In 7 am -// « , q. lxxxix, a. 6, n. 4-5. L’enfant n’a pas de quoi critiquer ses discernements imparfaits ni retenir ses mouvements indélibérés : il en va comme d’un homme à demi-endormi ; mais, tandis que chez ce dernier une responsabilité peut se retrouver dans leur cause, chez l’enfant tout tient au défaut de l’âge, et donc demeure sans culpabilité. Il n’y a donc point de péché véniel chez l’enfant aussi longtemps qu’il n’est pas en état de commettre un péché mortel. Par là, on ne méconnaît point chez lui un lent développement psychologique ; mais on marque une condition de la valeur morale des actions parties d’une raison imparfaitement dégagée, et ce rôle appartient aux moralistes. On ne renonce point davantage à toute discipline de l’enfant en cet état car il faut songer à l’avenir, et nous dirons ci-dessous combien ce temps préparatoire est précieux. Pour les carmes de Salamanque, ils préfèrent dire que l’enfant, avant l’usage plénier de la raison, ne connaît pas la raison du bien honnête et la règle de la moralité ; donc, il ne peut percevoir la disconvenance ou la convenance d’un objet par rapport à la règle de raison ; donc, il ne peut pécher véniellement. Tandis que l’homme à demiendormi, par exemple, qui a connu la règle morale, s’en souvient assez en son état pour commettre un péché véniel. Disp. XX, n. 50-59, spécialement 54. On voit du reste qu’ils s’accordent avec Cajétan pour refuser la possibilité du péché véniel au cours de ce temps où l’enfant n’a pas encore atteint à la vie proprement raisonnable. Il est vrai que cette pensée n’est guère commune, mais elle n’est pas négligeable, et elle attire opportunément l’attention sur la différence des actes imparfaits de l’enfant d’avec ceux de l’homme accompli. Le moraliste n’en peut juger pareillement.

b) Le second point litigieux en la doctrine de saint Thomas que nous avons rapportée est cette obligation de se tourner vers Dieu dès l instant où l’on possède sa raison, sous peine d’un péché mortel d’omission. Il est bien assuré que saint Thomas ne conçoit pas cet instant de la discrétion comme un événement soudain et inattendu ; il achève un travail psychologique, et nous conservons toute la liberté de concevoir celui-ci en sa mobile multiplicité..Mais un moment vient, — il faut aussi en convenir, — où l’enfant se trouve capable de bien délibérer, où il assume la responsabilité de son action, ou commence enfin sa vie morale. Là se joue, si l’on peut dire, la partie dont nous parlons.

Voici comment les Salmanticenses analysent ce moment et y introduisent la responsabilité dont te réclame saint Thomas. Disp. XX, n. 7. Il n’est pas un instant physique et indivisible, mais un temps, ordinairement très bref, que l’on peut tenir pour un instant moral. Le premier acte qui se présente alors à l’enfant est un jugement de l’intelligence sur le bien en général, considéré comme convenant au sujet, abstraction faite de la raison d’honnête ou de délectable, de conforme ou de contraire à la règle raisonnable. Cet acte de l’intelligence est suivi dans la volonté d’un acte d’amour du même bien en général, selon ladite raison de bien physique. Ces actes sont naturels et ne comportent point de discours ; ils ont lieu dans le premier instant physique de l’instant moral dont nous parlons : par eux s’inaugure l’usage de la raison. Un autre acte de l’intelligence les suit, où l’enfant discerne entre le bien et le mal moral, c’est-à-dire entre ce qui convient à la droite raison et à la nature de l’homme, en tant qu’il est homme et raisonnable ; et ce qui ne convient pas à cette raison ni à cette nature, mais ne plaît qu’à l’appétit sensible ou n’appartient qu’à la défectibilité de la nature. Et c’est en cet acte que nous disons ordinairement que consiste le premier usage de la raison ; car là brille, pour la première fois, le discernement du bien et du mal moral, qui est l’office de la raison pratique. Cet acte existant dans l’intelligence, l’homme aussitôt est touché de la sollicitude intérieure de délibérer et de déterminer au sujet de soi-même vers lequel de ces biens il s’ordonne, ou lequel de ceux-là il choisit et adopte. Cette délibération achevée, ou le temps écoulé où elle devait s’achever, se termine l’instant moral dont nous parlons, qui aura été plus long ou plus bref, plus précoce ou plus tardif, selon les cas.

On n’invoque en cette analyse que des événements naturels ; et c’est une telle psychologie sur quoi se fonde l’obligation que nous a dite saint Thomas. La première chose, déclarait-il, dont l’enfant alors a le souci est l’ordre de sa propre personne ; il est naturellement touché de la sollicitude de soi-même. Cajétan, pour son compte, a justifié, et en termes excellents, cet élément de l’analyse du premier moment de la vie raisonnable. In I &m -II&, q. lxxxix, a. 6, n. 7. Dans le bien qui se propose pour la première fois au sujet, il y a deux éléments : ce qui est désiré, celui à qui on le désire. L’un est aimé d’amour de concupiscence, l’autre d’amour d’amitié. Et parce que l’amour de soi est le principe de tout autre amour, ce que l’on aime d’abord d’amitié est soi-même. Or, le bien convoité est ordonné au bien aimé d’amitié, et non inversement. La première fin qui se présente ainsi au sujet n’est pas autre que lui-même. Et parce que la fin est première dans l’intention, le premier objet dont soit sollicitée la volonté de l’enfant est sa propre personne. Quel bien se voudra-t-il à soi-même ? Et il ne peut s’agir que du bien convenant à tout ce qu’il est, car il s’aime tout entier avant d’aimer quelqu’une des parties de soi-même. Quelle fin donc adoptera-t-il ?

Il fallait accuser d’abord cette sollicitude naturelle