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PÈCHE MORTEL ET PECHE VENIEL. RAPPORTS


chef de deux façons : ou bien l’on choisit de fait à cette fin un péché mortel, comme si, pour étaler vainement sa force, l’on tuait injustement quelqu’un, comme si, pour manifester son excellence, l’on refusait de se soumettre à un commandement d’ailleurs grave (ce dernier exemple est de saint Thomas lui-même, Sum. theol., IIMI 33, q. cv, a. 1, ad 2um) : l’appréciation interprétative dont nous parlions est alors manifeste. Ou bien la volonté, bien que, de fait, elle ne commette point un péché mortel, est à ce point attachée à l’objet du péché véniel que, l’occasion offerte, elle lui donnerait la préférence sur tout. Il faut alors, pour que soit vérifiée cette appréciation interprétative, qu’il y ait jugement et consentement exprès d’une telle préférence ; faute de quoi, rien n'étant commis qui soit mortel ou qui expose au mortel, on ne voit pas comment justifier en ceci un verdict grave, et quelque attachement qu’il y ait pour l’objet du péché véniel : à moins que le pécheur n’aperçoive, au moins confusément, poursuivant cet objet, qu’il risque le péché mortel et ne laisse pas cependant d’accomplir son dessein : la chose n’est point rare chez certains qui sont à ce point engagés dans leur affaire que rien ne compte plus qui pourrait les retenir. Resterait à déterminer à quelle espèce appartiennent les péchés ainsi devenus mortels : on voudra bien se reporter à nos commentateurs.

Au mode de disposition que l’on vient d’analyser peut se rattacher cette considération que le péché véniel possède une certaine efficacité propre à détruire les vertus acquises. Elle a été développée ex professo par les mêmes commentateurs dans leur disp. IV ; nous ne reproduisons ici que leurs conclusions, qui se répartissent selon les trois catégories connues de péchés véniels. Les péchés véniels selon l’objet, souvent recommencés, détruisent la vertu acquise opposée ; les péchés véniels dus au défaut de la pleine délibération, si répétés qu’ils soient, ne détruisent pas la vertu opposée ; les péchés véniels par insuffisance de matière, multipliés autant que l’on voudra, pourvu qu’ils restent des péchés véniels, ne corrompent point absolument la vertu acquise et selon sa substance.

Par son effet indirect, reprend saint Thomas, c’est-à-dire en écartant l’obstacle, des péchés véniels selon l’objet peuvent disposer à un péché mortel selon l’objet. Car, s’accoutumant à transgresser l’ordre dans les petites choses, on en viendra à ne plus le respecter dans les grandes. On voit que, dans ce cas, le péché mortel commis n’est point nécessairement de la même espèce que les péchés véniels qui y ont disposé.

Les commentateurs (Cajétan, les carmes de Salamanque ) ont remarqué que saint Thomas, en son article, ne considère que les péchés véniels selon l’objet : c’est sans doute, disent-ils, que pour les péchés véniels par défaut de délibération, il est assez manifeste que, directement et de soi, ils disposent au péché mortel de même espèce, et les péchés véniels par insuffisance de matière en sont au même point.

On rapprochera de ce qui précède la doctrine de saint Thomas selon laquelle le péché véniel en lui-même ne diminue pas la charité, bien que, indirectement, il puisse être dit la diminuer, en ce sens, précisément, qu’il dispose au péché mortel, lequel ruine la charité. Sum. theol., II B -II », q. xxiv, a. 10. Ce qui précède justifie assez l’avertissement de Cajétan, qu’il nous plaît de reproduire : El htnc habemus quantum a ventalium consueludine cavendum sit. cum (<>l modut, el îllis periculosis, disponant ad mortale. l’roptrr quod frequenlibus contrtlionibus, non ëuperftcietenas, singula secunuiim sua » sprrirs distlnguendù sunt : ne habitualis no bis in mis occurrenles tentationes animas disposttot proplnque ad mortale Inventant. In / am /L q. i. xxxviii, a. 3.

2. Une autre formule de la théologie est que le péché véniel peut devenir mortel. — Elle prêterait à trois interprétations. Selon une d’elles, le même acte, qui était d’abord péché véniel, deviendrait ensuite mortel. Il se peut assurément qu’un acte demeurant physiquement le même passe du véniel au mortel ; mais il a fallu que la volonté changeât ; donc, il n’est plus moralement le même acte. On obtiendrait alors deux péchés, le premier véniel, le second mortel ; l’on n’aurait point un seul péché ayant évolué du véniel au mortel. La formule peut aussi signifier qu’un péché véniel selon l’objet devienne mortel en ce sens que l’on traite cet objet comme fin dernière, et nous rejoignons les cas ci-dessus distingués ; ou qu’on mette ce péché au service d’un objet de péché mortel. Elle s’entendrait enfin en ce sens qu’un grand nombre de péchés véniels constituent un péché mortel. Dans son acception propre, où des péchés véniels en grand nombre seraient considérés comme les parties intégrantes d’un péché mortel qui serait comme leur somme, cette proposition est fausse, car tous les péchés véniels du monde ne peuvent entraîner le reatus qui caractérise le péché mortel : la multitude des peines temporelles n'équivaut point à la peine éternelle ; de la peine du dam aucune autre ne peut être rapprochée ; quant à la peine du sens, celle du péché mortel n’est point comparable à celle des péchés véniels, du moins si on la restreint au « ver de la conscience » car, pour le feu, il se peut que les peines de ces péchés ne soient pas sans proportion. Et le tout vient de ce que des désordres multipliés en-deçà de la fin respectée ne sont pas comparables à un seul désordre allant jusqu'à ôter la fin. Ainsi en va-t-il notamment des péchés véniels par insuffisance de matière ; s’ils sont véritablement distincts, ils ne deviennent pas un péché mortel. Mais il advient que les matières légères des actes successifs doivent être considérées comme s’ajoutant l’une à l’autre au point qu’elles constituent bientôt la matière suffisante d’un péché mortel ; on ne fait alors que s’y prendre à plusieurs fois pour commettre ce qui est à la fin un péché mortel. Ce que nous avons dit ci-dessus de cette catégorie de péchés véniels le fait comprendre aisément. Pour la casuistique relative à ce thème, voir les Théologies morales. Mais si l’on entendait seulement, interprétant comme on a dit la formule, que des péchés véniels en grand nombre constituent la disposition à un péché mortel, en ce cas la proposition serait recevable et l’on rejoindrait notre première considération. Saint Thomas prend soin d’expliquer que tel texte de saint Augustin doit s’entendre en ce sens dispositif. Les historiens, cependant, avouent que la pensée de ce Père est loin d’avoir en ceci la distinction des doctrines théologiques et que maints passages de ses œuvres, spécialement les oratoires, attribuent au grand nombre des péchés véniels les mêmes effets qu’au péché mortel ; voir Mausbach, op. cit., t. i, p. 239-241. On dira la même chose de son fidèle disciple, saint Césaire d’Arles.

3. La théologie enfin a demandé si, du fait d’une circonstance, un péché, de véniel qu’il eût été, peut devenir mortel. — Saint Thomas l’a décidé comme il suit. Seule la circonstance qui prend rang de différence spéciflque peut rendre mortel un péché de véniel qu’il eût été. Cal il est nécessaire, pour passer du véniel au mortel, de passer aussi d’un désordre respectant la tin a un désordre qui la détruit : qu’une circonstance le détermine, et elle n’est plus proprement une circonstance, il est aise de vérifier cette conclusion sur les diverses manières dont un péché véniel devient mortel. Pour le CBS OÙ il le devient (^ràcc à la perfection de l’acte même, il faut dire que l’acte imparfait n'était point encore constitué dans l’espèce morale par défaut

de s ; i raison : ou. considérant les choses comme nous