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PÉCHÉ VÉNIEL ET FIN DERNIÈRE


par mode négatif. On verra ci-dessous que cette interprétation a de qui se réclamer.

Nous avons dans cette analyse adopté le cas du péché véniel commis par le juste, comme étant le plus net. Mais nos discernements sont applicables au péché véniel du pécheur, qui déjà n’a plus la charité. Avec sa fin dernière, son péché véniel n’a point de rétérence actuelle ni virtuelle : il deviendrait autrement péché mortel ; mais il possède une réiérence habituelle, encore qu’elle s’exprime, peut-on dire, à l’inverse de la même référence chez le juste : chez celui-ci, la fin bonne empêche que le péché commis ne soit mortel ; chez celui-là, la fin mauvaise tolère que le péché commis ne soit que véniel ; dans les deux cas, on demeure de quelque façon sous l’influence de la fin dernière. Quand même le pécheur fait des actes bons, il faut dire qu’il est sous l’influence négative de sa fin dernière mauvaise, en ce sens qu’il ne va point jusqu’à adopter une fin dernière bonne qui ruinerait celle-là.

2. Autres théologiens.

Il peut être avantageux de confronter les explications que l’on vient de lire avec les opinions connues d’un choix de théologiens.

Pour un Scot, la difficulté que nous nous sommes proposée n’existe pas. Car il n’est pas nécessaire que l’appétit de la béatitude agisse en tous nos actes, et il advient que l’on s’attache à quelque bien pour la bonté qu’il a en lui-même, indépendamment de toute fin voulue : on ne l’aime ni propter se, ni propter aliud, mais absolute. In /Vum Sent., dist. XLIX, q. x ; cf. In Ium Sent., dist. I, q. m. La métaphysique entière de saint Thomas proteste contre cette dénégation.

Mais la distinction de celui-ci entre l’actuel et l’habituel ne s’est pas imposée d’emblée ni uniformément aux théologiens postérieurs. Il est remarquable que Cajétan n’en essaie point l’éclaircissement dans son commentaire de Ia-IIæ, q. lxxxviii, a. 1-2, qui est le lieu de cette doctrine. Il y vient seulement IIa-IIæ, q. xxiv, a. 10, ad 2um, où il entend la formule de saint Thomas, que nous avons ci-dessus rapportée, en ce sens que le juste possède un habilus capable de lui faire aimer cet objet pour Dieu, mais la nature de l’objet même s’y oppose, qui n’est pas susceptible d’une ordination vers Dieu. Cajétan a raison en ce qu’il écarte, et il est vrai qu’il ne faut point ici songer à quelque ordination actuelle ni virtuelle vers Dieu de l’objet du péché ; mais la formule de saint Thomas emporte certainement davantage que la simple concomitance de V habitas de charité chez le juste commettant un péché véniel.

Sinon. Vasquez a raison (op. cit., q. i, disp. Y, c. m. Sur la distinction de saint Thomas, qui lui paraît admodum difjlcilis, Cajétan, estime-t-il, a dit ce que l’on peut dire de mieux : mais ne parlons plus en ce cas d’une référence du péché véniel à Dieu. Par ailleurs, certains thomistes ont interprété leur maître comme ceci : savoir que le péché véniel peut être référé au bien de celui qui le commet, et celui-ci, qui est juste, se réfère à son tour à Dieu ; ainsi, par la voie de Vhabitus de charité en son auteur le péché véniel est référé à Dieu. Vasquez, pour son compte, D’agréé pas cette opinion, et on ne peut que l’en louer. Mais il propose ainsi la sienne. Dans le péché véniel, la créature, objet du péché, est constituée la fin dernière de l’œuvre, n’étant référée à rien d’autre ni actuellement, ni virtuellement, ni habituellement ; mais à une telle fin dernière, on ne réfère rien d’autre, est elle ne l’est point de l’opérant. En ces conditions, elle s’oppose non à la charité, mais à la seule ferveur de la charité. On voit sans peine que cette position, qui soustrait l’acte « lu péché véniel à l’influence de la fin dernière de l’opérant, rejoint le scotisme. et nous ne pouvons l’agréer. Pour Suarcz, de qui l’opinion rencontre en ceci « elle de Vasquez, op. cit. [ 1 1’, tr. i,

disp. III, sect. iv, il ne répugne en rien que l’on soit en même temps attaché à la fin absolument dernière par rapport à l’opérant, et que cependant, dans une œuvre déterminée, on s’en tienne à une fin qui soit la dernière négativement, c’est-à-dire ielativement à cette œuvre seule ; il en donne cette preuve, où l’exigence métaphysique est méconnue avec toute la clarté désirable : quia in hoc nuila est repugnantia ex parte ipsorum objectorum seu finium, et alioquin voluntas est libéra ad operandum prout voluerit. Du reste, Suarez démontre expressément, ibid., sect. v, qu’il n’est pas nécessaire pour que l’homme fasse quelque chose volontairement qu’il ait d’abord l’intention d’une fin dernière pour laquelle il agisse ; et que, dans le cas même où il a une telle intention, il n’est pas nécessaire que toutes ses actions y soient ordonnées et en soient dépendantes.

Entre les disciples de saint Thomas, Jean de Saint-Thomas nous paraît en ceci avoir au mieux pénétré la pensée du maître : op. cit., l a -II æ, disp. I, a. 7, n. 33 sq. L’influence de la fin dernière sur tout acte volontaire est pour lui, bien entendu, comme pour tout thomiste, une doctrine inamovible. Mais il estime qu’elle se distribue en deux manières bien différentes selon que l’objet de l’acte volontaire est ou non susceptible d’être ordonné à cette fin. Dans le premier cas, l’influence est positive et la fin dernière communique à l’objet son motif de bonté. Dans le second, elle est négative ou permissive : si l’objet est attrayant, ce n’est point que la fin dernière lui ait communiqué sa bonté ; néanmoins, le péché véniel respecte la prééminence de la fin dernière, et l’un des motifs intervenant dans la délibération du péché véniel est que, dans ce péché, l’on n’offense pas Dieu gravement. Nous avons donc affaire ici, non à une simple concomitance de Vhabitus de charité avec le péché véniel, non à cette référence curieuse et irréelle qu’avaient imaginée certains thomistes, mais à une intervention véritable de la fin dernière dans l’élaboration et la structure de l’acte du péché véniel. Et notre commentateur en signale cette justification : Hoc autem est peculiare in fine quia, cum operetur in quantum bonum, etiam ipsse negaliones et carentiee. mali et ipsum non destruere finem habilualiler, aliquo modo ad bonum pertinent, et sic non tollere lotaliler finem aliquale bonum est (n. 54). On voit de qui peut se réclamer l’explication que nous avons ci-dessus avancée.

On retrouve très exactement les pensées de Jean de Saint-Thomas dans le commentaire des carmes de Salamanque, de qui tout le soin, en bons thomistes, est d’élucider cette référence habituelle du péché véniel à Dieu qu’énonce saint Thomas. Voir le tr. De ultimo fine, disp. IV, dub. iv. Ils ajoutent pour leur part que le juste se trouve disposé par sa charité à référer le péché véniel à Dieu, car il est disposé à l’omettre, ce qui représente une certaine information du péché véniel par la charité. Une façon nouvelle et intéressante de circonscrire la réalité, assurément subtile. mais si proprement humaine, que nos analyses t entent de rejoindre. Mais ces commentateurs ont enrichi leur étude d’autres considérations dont l’origine est en une opinion historique, que nous dcons d’abord rapporter.

Elle procède de moindres théologiens, mais elle a connu, et de nos jours mêmes, une certaine fortune qui fera pardonner à notre insistance. Curiel († 1’Lecturtr in <l. Thomæ Aquin. / am -//a l, q. i, a..">, dub. unie, § 6 ; et Martinez (+ 1( » 37), Commrntaria super /am.//, T, / Thomæ, q. LXXXVIII, a. 1, dub. iv circa finem. semblent en être les auteurs responsables. Ils se fondent sur cette considération que le péché véniel,

sous peine qui’I on remonte à l’Infini dans l’ordre det Ans, doit être actuellement référé, soit explicitement