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PÉCHÉ MORTEL ET PÉCHÉ VÉNIEL. DÉFINITIUN


l’exposé quc nous avons fait de ces trois catégories, où nous avons signalé que le mortel et le véniel s’obtenaient invariablement selon la fin dernière ôtée ou conservée. Nous ne retenons donc pas, comme exprimant la différence formelle du péché mortel et du péché véniel, la contrariété de celui-là aux préceptes, de celui-ci aux conseils ; cette opinion fut celle de Scot, mais elle est communément rejetée. Voir Salmanticenses, disp. XIX, n. (3-7.

2. Analogie de la notion du péché.

On aura déjà remarqué la coïncidence de la présente définition du péché mortel avec la définition plus haut énoncée du péché comme tel. Seul le péché mortel vérifie pleinement la notion de péché. Par rapport à celui-là, le péché véniel est un analogue inférieur, il est bien un péché, mais il ne l’est qu’imparfaitement. Nous entendons donc la division du péché en mortel et véniel comme une division analogique et non point du tout, on le voit, comme celle d’un genre en ses espèces, où péché mortel et péché véniel vérifieraient également la définition du péché, quitte à la déterminer chacun à sa manière selon une différence spécifique. L’analogie dont il s’agit est celle qu’on appelle de proportionnalité, où les divers analogues possèdent intrinsèquement, quoique inégalement, la raison commune, ainsi la substance et l’accident à l’égard de l’être. Mais au surplus, les commentateurs, relevant un mot de saint Thomas, estiment que se vérifie dans le cas même une analogie d’attribution, en ce sens que le péché véniel serait dénommé péché extrinsèquement, à cause de son ordre et de sa dépendance à l’endroit du péché mortel ; ainsi, du leste, l’accident est-il dit être, vu son ordre à la substance, et non seulement parce qu’il possède intrinsèquement l’être. Voir Cajétan, In I* m -II&, q. lxxxviii, a. 1, n. 7 ; Salmanticenses, disp. XfX, n. 45. Sur l’intérêt de ce cas pour la doctrine générale de l’analogie, F. Blanche, Une théorie de l’analogie, dans Revue de philosophie, janv. 1932, spécialement p. 52. Nous devons dire précisément ci-dessous en quel sens le péché véniel est ordonné au péché mortel.

3. Valeur spécifique des deux catégories considérées.

— - On a dit ci-dessus (col. 163) que mortel et véniel ne représentent pas une distinction spécifique des péchés. Ils tiennent en effet à l’aversion, au lieu que l’espèce des péchés se définit selon l’objet où tend l’acte de la volonté. Il advient donc qu’un péché de même espèce tantôt se vérifie comme mortel, tantôt comme véniel ; et dans le cas même où les péchés sont mortels ou véniels selon l’objet, il est aisé de voir que cette qualité est relative aux accompagnements aversifs d’une telle conversion, non à la conversion même. Avec cela, et dépassant la considération de l’objet immédiat du péché, on peut dire que la division du péché en mortel et véniel a valeur essentielle. On y signale en effet un rapport différent à la fin dernière de la vie humaine, selon que l’on rompt ou non avec elle. Or, par-dessus toute autre considération, la fin dernière, en matière d’action morale, fait, peut-on dire, la limite de deux inondes. L’acte mauvais qui la sauvegarde ne peut en ce sens être de même espèce que l’acte mauvais qui la détruit. On n’invoque pas ici autre chose, à propos du péché, que la même preuve où s’établit la distinction spécifique des vertus infuses et des vertus acquises, eussent-elles la même matière : l’ordre différent de leur objet à la fin dernière emporte cette distinction. Disons d’un mot que la fin dernière règne souverainement sur toute la vie morale ; et que, pour la concerner, le péché mortel et le péché véniel prennent une valeur spécifique, sur laquelle du reste l’objet immédiat du péché introduira la dernière détermination : et il se peut, encore une fois, que celle-ci soit semblable en l’un et l’autre péché. Les

Salmanticenses ont expressément défendu la présente thèse, dis]). XIX, n. 35-40, 4*1-5 1 ; mais Cajétan déjà y est favorable, In /m*-// », q, lxxxviii, a. 6, n. 2 ; saint Thomas lui-même déclare que, dans le cas où un péché, mortel de sa nature, devient véniel par imperfection de l’acte, soluitur species. P-II*, q. lxxxviii, a. 6.

4. Rapport de cette division avec la doctrine générale du péché. — En cette élaboration d’une division traditionnelle, la théologie de saint Thomas accueille, comme nous l’annoncions, les diverses données de la pensée chrétienne, en même temps qu’elle en dégage la signification la plus exacte. Entendus comme nous venons de dire, il faut bien voir quelle place déterminée occupent le péché mortel et le péché véniel dans le traité systématique du péché, et reconnaître notamment qu’ils ne se confondent pas avec la gravité du péché, déjà considérée ci-dessus. Ils intéressent la définition même du péché, seul le péché mortel vérifiant pleinement celle que nous avons énoncée au terme de notre recherche sur la nature du péché ; le péché véniel n’est qu’imparfaitement péché. Mais, comme nous avons dit alors que le péché offense Dieu, il faut préciser ici que le péché véniel, pour son compte, n’a pas proprement raison d’offense de Dieu, cf. Demalo, q. vii, a. 2, ad 10um ; disons néanmoins qu’il est de quelque façon offense de Dieu, comme il est de quelque façon contraire à sa loi. Cette offense-là n’est pas infinie, car elle ne prive pas Dieu absolument de sa raison de fin, de la part du pécheur, mais elle exclut de cette primauté divine le seul acte du péché, en sa limite rigoureuse d’acte, le pécheur conservant Dieu comme sa fin dernière : sur ce point, voir ci-dessous, col. 237 sq. L’offense du péché véniel ne demande donc qu’une satisfaction finie et limitée. Cf. Salmanticenses, In /™-// « , q. lxxxix, a. 1, n. 8-10.

Mortel et véniel représentent une division essentielle du péché, et jamais un péché mortel, de quelque catégorie qu’il soit, n’est en définitive de même espèce qu’un péché véniel ; on signale ainsi la fonction prépondérante de la fin dernière en matière morale, et qui laisse entier par ailleurs le rôle immédiatement spécificateur de l’objet de l’action. Ils comportent d’euxmêmes, le péché mortel une gravité plus grande, le péché véniel une gravité moindre, car la gravité s’évalue d’une part sur la proximité de l’objet désordonné à la fin dernière, et il est un point de proximité à partir duquel le désordre ne peut être que contrariété ; d’autre part sur le degré volontaire de l’action, et il est une quantité de volontaire en deçà de laquelle le péché ne peut être que véniel. Mais il faut bien voir que ces notions diffèrent ; on désigne par gravité la malice intrinsèque du péché, dont nous savons qu’elle ne va jamais jusqu’à ôter l’entière bonté fondamentale de cette action humaine ; par les péchés mortel et véniel, le rapport du péché avec la fin dernière qui tantôt s’en trouve totalement détruite, tantôt est sauvegardée. Aussi la gravité des péchés, prise de l’objet comme du volontaire, se distribue-t-elle en des graduations infinies, au lieu que mortel et véniel épuisent la raison qu’ils divisent, tous les péchés mortels d’ailleurs l’étant également, tous les péchés véniels également. Une consultation récemment adressée à L’Ami du clergé (3 janvier 1929, p. 6-8) nous persuade qu’il n’est pas superflu de rappeler cet enseignement, que nous avions allégué déjà ci-dessus, au chapitre de la gravité des péchés. Par rapport aux origines et historiquement, cette distinction entre la gravité d’une part, et les qualités de mortel et véniel d’autre part, représente le dédoublement d’une pensée d’abord confuse, où mortel et véniel exprimaient les deux grands ordres de gravité ; on voit quel avantage en résulte et combien est plus souple notre notion de gravité.

La dissociation du mortel et du véniel d’avec la