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PECHE MORTEL ET PECHE VENIEL. DIFFERENCE


Soil d’abord un objet de péché véniel, comme une parole oiseuse ou le soin démesuré de son bon renom. La manière de l’adopter peut convertir cet acte en péché mortel. Saint Thomas signale deux voies de cette conversion : ou bien l’on ordonne cet acte à quelque objet mortel, dire une parole oiseuse à des fins d’adultère ; ou bien l’on fait de cet acte même sa fin dernière, vivre pour la vanité au point que l’on ferait tout, même offen-ser Dieu, pour la contenter. Dans les deux cas, l’acte humain, nonobstant sa matière immédiate et propre, s’est donné un objet exclusif de la charité. On rejoint la règle précédente.

Soit ensuite un objet de péché mortel, comme l’adultère ou l’infidélité. La manière de l’adopter peut faire de cet acte un péché véniel, en ce sens, explique saint Thomas, que l’acte humain reste imparfait, c’est-à-dire propre de l’acte mauvais. Et l’on appelle un tel péché véniel ex imperfectione aclus.

Les actes non délibérés, quel qu’en soit l’objet, ne sont donc jamais que des péchés véniels. En cet endroit de la doctrine systématique du péché véniel est assumée, on l’aura reconnu, une catégorie de péchés qu’avait obtenue pour son compte la distribution traditionnelle des péchés selon les parties de l'âme. Nous avons traité plus haut (col. 179 sq.) de la culpabilité assignable à l’acte non délibéré. Mais des actes humains, quoique délibérés en quelque mesure, peuvent n'être encore qu’imparfaitement des actes humains : il y a lieu de rechercher ici quelles conditions de perfection sont requises en l’acte humain endeçà desquelles, quel que soit son objet, il ne sera jamais que péché véniel. Saint Thomas, là-dessus, n’abonde point. Nous reproduirons l’enseignement des Salmanticenses (non sans signaler les opinions discordantes) qui, en ceci, sont plutôt des auteurs que des commentateurs. Disp. X, dub. iv-v. Ils le proposent au sujet des mouvements déréglés de l’appétit sensible, où ces imperfections de l’acte humain sont les plus fréquentes, mais leurs règles ont une valeur générale. Elles intéressent distinctement l’imparfaite advertance et l’imparfait consentement. Quand on vérifie celle-là, le consentement est lui-même imparfait ; mais elle peut-être parfaite, sans que le consentement le devienne à son tour. (Le mot d’advertance manque fâcheusement à notre vocabulaire : nous nous excusons d’y recourir, et sur la nécessité que nous en avons, et sur l’exemple d’un théologien du xviie siècle dont les écrits sont un modèle de la meilleure langue française ; cf. Ant. Arnauld, Cinquième dénonciation du philosophisme… Avertissement, dans les Œuvres, t. xxxi, Paris-Lausanne, 1780, p. 298-299.)

a) Qualité de l’adverlance. — Voici les conclusions relatives à l’advertance de l’intelligence :

a. — * Aucun mouvement de l’appétit ne peut atteindre au degré du péché mortel s’il n’y a de la part de l’intelligence pleine advertance et pleine délibération relative à ce mouvement, lit c’est pourquoi à chaque fois que l’advertance n’est qu'à demi-entière, fût-ce en une matière très grave, le mouvement susdit ne dépassera point la malice du péché véniel », n. 140. Comme ils l’ont expliqué, ils entendent par « advertance imparfaite celle d’une raison en possession imparfaite de ses moyens, comme il advient dans l'état de demiivresse ou de demi-sommeil. Tandis que la connais lance pleinement délibérée est celle où l’on juge d’un jugement ferme et sain les mérites de l’objet et son Indifférence, la connaissance à demi-délibérée est privée de cette al tention H de cette fermeté du jugement, alors même qu’il s’introduit en elle quelque discours. On peut donner de la conclusion énoncée plusieurs preuves. Celle i i semble la plus décisive : tout péché mortel ftte à Dan la raison de fin dernière pour la

reporter sur quelque bien créé ; or, une délibération imparfaite ne peut procéder à l’appréciation qu’un tel déplacement suppose.

On remarquera que cette conclusion n’atteint en rien la doctrine des péchés d’ignorance, et que l’imparfaite considération actuelle, non plus que le défaut de toute considération actuelle, n’emporte point infailliblement l’impuissance de pécher, et mortellement ; qu’elle laisse entière la responsabilité de la délibération interprétative : car si l’advertance et la délibération imparfaites dont nous parlons ont été précédées d’une parfaite advertance, grâce à quoi l’on pouvait parfaitement délibérer de l’objet en cause, et qu’on ait négligé de le faire, on ne tombe point sous le bénéfice de la conclusion énoncée, laquelle s’entend des cas où, sur l’objet en cause, aucune advertance plénière n’a eu lieu non plus qu’aucune délibération parfaite n’a été possible.

Cette première conclusion est commune chez les théologiens. On ne cite contre elle que l’opinion d’Occam et des nominalistes, pour qui ne sont point requises au péché mortel une connaissance ni une liberté plus grande qu’au péché véniel ; il n’y a donc point pour eux de péché véniel ex imperfectione actus, mais seulement ex génère (ci-dessus) ou ex parvitate materiæ (ci-dessous). Les auteurs réfutent aisément cette opinion singulière. Salmenticenses, n. 166-169.

b. — « Pour qu’il y ait péché mortel, il ne suffit pas que l’intelligence connaisse expressément et délibérément l’entité ou l’agrément physique de l’objet ou de l’acte coupable ; s’il n’y a aussi une certaine advertance actuelle et expresse de la malice morale ou d’un péril d’ordre moral, soit qu’on les connaisse avec certitude ou probabilité, soit au moins qu’on en ait doute, scrupule ou soupçon ; et c’est pourquoi où, dans le cours entier du mouvement de l’intelligence ou dans l’une de ses parties, aucune mention de la malice ne se serait présentée, le mouvement de l’appétit n’aurait point la culpabilité mortelle. » N. 148. La première partie de cette conclusion s’impose dès qu’on admet que la parfaite connaissance d’un objet ou d’un acte peut coïncider avec une parfaite ignorance de leur malice morale ou du danger moral qu’ils font courir. La dernière signale que l’on se tient ici entre ces deux extrêmes dont l’un est qu’il y a péché là seulement où il y a attention actuelle au péché même (méconnaissant l’extension du volontaire), et dont l’autre est que l’on peut pécher sans qu’on ait pu s’aviser jamais que cet acte fût un péché (méconnaissant le lien du volontaire à la connaissance). Pour la partie intermédiaire, en la retrouvera dans la troisième conclusion.

c. — « L’advertance suffisante au péché mortel n’est point nécessairement la connaissance de la malice moi telle, connue précisément comme mortelle ; ni non plus la connaissance de l’objet mauvais en luimême ; ni non plus une connaissance certaine ou probable : mais il suffit de se rendre compte d’une malice en général, ne discernant pas qu’elle est seulement vénielle ; que cette connaissance soit celle d’une telle malice en sa cause, et que de cette malice ou de son péril il y ait doute, soupçon ou scrupule, pourvu qu’on n’ait point un jugement au moins probable en sens contraire ». n. 160.

De cette conclusion, la première partie, savoir qu’il suffit de se rendre compte d’une malice en général, etc. se fonde sur cette raison que l’homme <| ui poursuit un objet mauvais dans ces conditions s 'expose au péril d’une malice mortelle et se trouve disposé à 1 encourir. La seconde partie, savoir que n’est point requise

la connaissance de l’objet marnais en lui-même mais seulement dans sa cause, tient à ce qu’il suffit pour

qu’un acte soit formellement humain, et donc péché,

qu’il soit volontaire dans sa cause : on entend bien la