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PÉCHÉ. EFFETS : LA PEINE


conséquent, fut celui d’une volonté excessivement répandue sur son objet ; il lui fut trop accordé, dit ordinairement saint Thomas, on lui fut trop indulgent. Contre ce dérèglement, la peine s’applique. Aussi longtemps qu’il n’est point rétracté, il fait encourir à son auteur un reatus. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’un repentir véhément opère équivalemment cette rétractation et absolve le pécheur de toute peine en même temps que de sa faute. Mais il semble que le cas en soit exceptionnel. A la peine méritée, dès lors, il appartient de rétablir en sa parfaite intégrité l’ordre une fois violé de la justice. Ainsi justifie-t-on la nécessité communément reconnue d’acquitter une peine temporelle, le péché pardonné. Salmanticenses, disp. XVII, n. 18-20. Il est loisible d’adjoindre à celle-là d’autres raisons, prises des caractères ultérieurs de la peine : édifier par le châtiment ceux qu’a scandalisés la faute ; corriger le délinquant, en ses puissances diverses, pal' un remède énergique ; prévenir de nouveaux péchés, etc. Dans le cas des péchés remis par le baptême, il ne subsiste plus la moindre obligation à quelque peine que ce soit ; la cause en tient à la nature propre du baptême, lequel opère l’application totale au baptisé de la passion du Christ, suffisante de soi à ôter tout reatus. Mais la justice a été contentée quelque part : dans le corps et l'âme affligés du Sauveur.

La peine due au pécheur pardonné obtient chez lui un caractère distinctif. Cet homme, désormais, s’accorde à la volonté de Dieu. Il est donc soumis au bon ordre de la justice divine. Mais celle-ci demande qu’il soit remédié strictement à l’entier désordre du péché. Cet homme agrée donc la juste peine, soit qu’il aille jusqu'à assumer spontanément quelque affliction, et la peine alors est satisfactoire, soit qu’il accepte de bon cœur les tribulations que Dieu lui envoie, et la peine est alors purgative. Dans les deux cas, la peine ainsi endurée opère la réparation du désordre qu’elle réprime. Mais en ce qu’elle est agréée par la volonté, elle n’obtient plus parfaite raison de peine. Elle la conserve, en ce que, même agréée, elle s’oppose à l’inclination naturelle de la volonté. Ia-IIæ q. lxxxvii, a. 6.

Contre les doctrines de Luther spécialement, le concile de Trente a promulgué une doctrine de la satisfaction qui consacre cette persistance d’une peine après le péché remis. Sess. xiv, c. viii, et can. 1215, Denz., n. 904-906, 922-925. Deux études sur la question, Ch. Journet, La peine temporelle due au péché, dans Revue thomiste, 1927, p. 20-39, 89-103 ; B. Augier, Le sacrifice du pécheur, ibid., 1929, p. 476488.

5° Toute peine a-t-elle le péché pour cause ? — En complément de cette étude, qui assigne la peine pour effet au péché, on peut rechercher si toute peine a le péché pour cause : n’est-on malheureux que pour avoir été méchant ? Le problème en est complexe, mais très humain, et il se situe bien à cet endroit de la théologie.

1. Il le faut distribuer aussitôt en deux questions, dont la première est celle-ci : toute peine est-elle infligée à cause de quelque péché? A quoi l’on répond comme il suit : La peine proprement dite est toujours encourue par le pécheur pour son propre péché, soit actuel, soit originel. Cette doctrine est théologique et seule la rend certaine la foi au péché originel. On ne pourrait philosopher avec cette assurance : combien de maux dont on dirait seulement qu’ils sont des suites de la nature et sans qu’ils eussent d’autre mystère ! Il est seulement vrai qu’indépendamment de la foi le spectacle des peines et de leur répartition fournit un argument probable en faveur du péché originel. Cont. Gent., t. IV, c. lu.

Mais il faut prendre garde que tout ce qui semble

être une peine ne l’est pas véritablement. Par où, sans préjudice de notre première affirmation, nous rendons compte, pour une part, de cette expérience, si souvent relevée dans l’Ancien Testament, de la prospérité des méchants et de l’infortune des justes : voir ce thème notamment dans le livre de Job ; son étude dans P. Dhorme, Le livre de Job, introduction, p. ci-cxx et tout le c. ix. La peine n’en est une qu'étant un mal ; mais certaines afflictions ne sont pas des maux. Elles nous frappent dans un moindre bien, en vue de nous mieux assurer quelque bien supérieur. Ainsi, la Providence divine distribue-t-elle aux justes les biens et les maux de ce monde au bénéfice de leur vertu ; tandis que l’abondance temporelle qu’elle concède aux méchants tourne à leur dommage spirituel. Ceux-ci ne sont donc point véritablement récompensés, comme ceux-là ne sont point véritablement punis. Plutôt que de les nommer « peines », qu’on appelle « médecines » ces tribulations des justes, car les médecins font malàleurs clients en vue de leur donner le bien souverain de la santé. Comme elles ne sont pas de vraies peines, elles ne répondent non plus à aucune faute, sauf que cette nécessité où nous sommes d'être ainsi traités tient à la corruption de la nature qu’a opérée le péché originel : cù c’est la foi qui discerne un rapport entre ces médecines et le péché. On ne confondra point celles-là avec la peine considérée comme médicinale, qui est une peine véritable. Ia-IIæ, q. lxxxvii, a. 7.

2. La seconde question est de savoir si quelqu’un ne peut subir une peine pour le péché d’un autre. Les exemples, en effet, ne manquent pas dans la sainte Écriture où Dieu semble punir sur des innocents les crimes des pécheurs. On peut dire d’abord qu’en vertu de l’amour qui l’unit à celui qu’il aime, un homme peut prendre sur soi la peine qui revient à celui-là pour son péché, mais la peine devient alors satisfactoire. Le Christ a fait ainsi pour nous. Dans quelle mesure et avec quelle efficacité un homme peut satisfaire pour un autre, voir l’art. Communion des saints. On doit dire ensuite que la peine proprement dite, infligée en répression du péché, n’atteint que le coupable et ne peut atteindre que lui, car le péché est un acte personnel et incommunicable. Le péché originel lui-même, en tant qu’il est volontaire, doit être puni chez le sujet. Cf. Sum. theol., II » -II æ, q. cviii, a. 4. Mais les médecines dont nous avons parlé, et que rend nécessaires pour chacun son péché originel, on peut concevoir en outre quelles soient infligées à l’un pour les péchés de l’autre. Car elles ne causent pas, à qui en est atteint, un dommage véritable. C’est ainsi que les péchés du père peuvent être punis dans son enfant. En ce cas l’affliction de l’enfant prend raison de peine véritable pour le père qui a péché et qui, atteint dans son enfant, est tourmenté dans son bien le plus cher ; raison de pure médecine pour l’enfant innocent du péché de son père.

Saint Thomas s’est plu à signaler quelques raisons de cette économie des peines : elle recommande, dit-il, l’unité de la société humaine, en vertu de laquelle chacun doit être soucieux pour les autres qu’ils ne pèchent pas ; elle rend le péché plus détestable puisque le châtiment de l’un rejaillit sur tous, comme si tous ne faisaient qu’un seul corps. Ibid., ad 1°". Il arrive néanmoins que le châtiment reçu pour le péché d’un autre atteigne chez celui qu’il frappe quelque participation à ce péché : l’enfant a pu imiter la faute de son père, le peuple imiter les fautes de son prince, les bons tolérer à l’excès les crimes des méchants ; il prend alors chez celui-là même raison de peine véritable. Pour les peines spirituelles, on voit assez qu’elles ne peuvent en aucun cas être des médecines : car il n’est point de bien supérieur auquel soit ordonné le détriment qu’elles causent. Elles n’attei-