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PÉCHÉ. EFFETS : LA TACHE


Les blessures de la nature sont, par excellence, effets du péché originel (voir ce mot). Mais on peut tirer parti du mot et l’appliquer à l’inclination vertueuse diminuée par les péchés actuels. Et, comme la tradition signale quatre blessures, on dira de ces péchés qu’ils émoussent la raison, singulièrement en sa fonction pratique ; qu’ils rendent la volonté moins sensible au bien ; qu’ils aggravent la difficulté des bonnes actions ; qu’ils enflamment la concupiscence. On exploite heureusement ainsi notre déduction philosophique. I a -Il « î, q. lxxxv, a. 3.

Mais on ne transférera point aux péchés actuels les effets de mort et de défauts corporels qui sont attribués au péché originel. Ce dernier les opère en ôtant la justice originelle, ce qui lui est rigoureusement propre. Il se peut qu’un péché actuel soit une faute plus grande que le péché originel et qu’il ôte plus violemment la grâce : mais la grâce, de sa nature, ne remédie point aux défauts corporels, comme faisait la justice originelle. Il est, par ailleurs, assuré que l’acte de certains péchés entraîne des accidents corporels : ainsi la gourmandise, la luxure, etc. Mais ces eilets n’appartiennent point au péché comme péché. I a -II iE, q. lxxxv, a. 5-6.

Tels sont les ravages du péché parmi les biens que possède l’homme naturellement.

II. LA tache DU PÉCHÉ.

Mais le péché souille aussi le pécheur. Non content de porter atteinte à son bien naturel, il le laisse marqué d’une flétrissure ou, selon l’image consacrée, d’une tache, macula. Ces deux effets sont bien différents. Tandis que le premier est obtenu plutôt par l’analyse philosophique, le second procède davantage de données positives. Rien de plus fréquent dans la sainte Écriture et dans la littérature chrétienne que de présenter le péché comme une souillure de l'âme. Le thème a été transmis aux théologiens du Moyen Age, notamment par P. Lombard, IV Sent., dist. XVIII. Saint Thomas entend la tache comme un effet du péché, et qui satisfait à cette nécessité de rendre compte de l'état du pécheur à la suite de son péché, jusqu’au temps de la rémission.

Il considère attentivement l’image traditionnelle. Une tache signifie l'éclat perdu par suite d’un contact de la chose nette avec quelque autre. On transpose aisément ce mot de l’ordre sensible au spirituel. L'âme adhère à ses objets par l’amour ; son éclat est celui de la raison et de la grâce. Par le péché, où elle adhère à des objets contraires à la raison comme à la grâce, son éclat est perdu. Elle contracte une tache. On obtient ainsi un effet du péché, qui se prend de cette propriété lumineuse où l’on se plaît communément à reconnaître l’homme de bien.

Il consiste dans une privation, ainsi que l’annonce heureusement ce mot de tache, tel que dès l’abord nous l’avons entendu. Car, outre la disposition vers des actes pareils qu’engendre l’acte du péché, on ne voit pas que le péché cause en l'âme rien de positif ; cette disposition, néanmoins, ne rend pas compte de l'état du pécheur ; elle est abolie sans qu’on cesse d'être un pécheur, comme lorsqu’un prodigue devient avare : il n’incline plus vers la prodigalité, mais il ne laisse pas d'être souillé par ce premier péché ; ou bien elle subsiste alors qu’on n’est plus un pécheur, car la pénitence peut ne point ôter aussitôt cette inclination contractée. Si l’on disait néanmoins qu’il reste chez le pécheur l’attachement à l’objet de son péché, lequel est positif et rend compte de son état, il faudrait répondre qu’un tel attachement, qui se termine au bien propre du pécheur, ne suppose en lui rien d’autre que la nature de sa volonté, laquelle y suffît sans le concours d’aucune inclination supplémentaire : donc on ne peut voir là rien qui soit dû au péché ; cet attachement caractérise le pécheur pour autant qu’il est

connexe à une privation, où se marque précisément la trace du péché. Par ailleurs, la tache ainsi entendue est attribuable a chacun des péchés que commet un pécheur, car chacun d’eux s’oppose à l'éclat de l'âme et dans la mesure même où il est péché. Il en va comme d’une ombre, dont la figure dépend exactement du corps interposé. Nous entendons la tache en liaison avec le péché même. Elle ne dit point absolument absence de l'éclat spirituel, mais sa perte, en tant que due à un certain péché. C’est pourquoi la tache du péché relève du mal de faute et n’est d’aucune façon imputable à Dieu. Peu importe, en outre, que le péché nouveau trouve chez le pécheur la grâce absente, car, sans compter qu’il prive pour sa propre part de la lumière permanente de raison, il est propre à exclure la lumière de grâce et fait à celle-là un nouvel obstacle, en sorte qu’elle ne se lèvera de nouveau sur l'âme que ce péché disparu, et non pas seulement le premier. Pour mieux comprendre que la privation dont nous parlons subsiste une fois passé l’acte du péché, plutôt qu'à la comparaison de l’ombre, on recourra à celle de l'éloignement. Cessant de pécher, on n’est pas du même coup remis sous l’influence de la lumière spirituelle. Il y faut un acte positif défaisant ce que le précédent a fait ; il reste que l’on revienne d’où l’on est parti. La chose est sûre ; il suffît que les mots s’y conforment. I a -II « , q. lxxxv.

Nous voyons donc dans la tache un effet propre du péché. Des théologiens ont préféré l’entendre du reatus pœnæ, que nous trouverons ci-dessous, avec lequel, disent-ils, la tache se confond : tels Scot et Durand de Saint-Pourçain. D’autres, tel Vasquez, la réduisent à une dénomination extrinsèque dérivant du péché commis et bel et bien passé. Les thomistes ont critiqué ces opinions, qui sont en effet discordantes de la doctrine de saint Thomas. Contre la première, ils invoquent de surcroît la condamnation des propositions 56 et 57 de Baïus. Denz., n. 1056, 1057. Voir là-dessus : Salmanticenses, disp. XVII, n. 2, et In J 8 ™-//*, q. lxxxvi, a. 2, n. 10 sq. ; en plus bref, Billuart, diss. VII, a. 2.

Sous ce terme de tache du péché, les anciens théologiens reconnaissaient la chose même qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de péché habituel. Dans les deux cas, on entend dénoncer l'état du pécheur et l’on satisfait à cette pensée que le péché commis demeure en quelque façon chez son auteur. Le mot de « péché habituel » évoque seulement de préférence cette disgrâce où se maintient l’homme qui a offensé Dieu ; celui de « tache » la souillure de son âme. Mais l'état du pécheur dans les deux cas ne peut se prendre autrement que de la privation que nous avons dite.

Nous dirons ci-dessous en quel sens le péché véniel cause une tache. On prendra garde à la corrélation de la présente notion avec celle de la grâce guérissante, gratia sanans.

m. l’ohlioation a la PEisE. — Par cette formule, nous traduisons le reatus pœnæ de la théologie. Le mot de reatus appartient à la doctrine du péché originel, duquel on dit que chez le baptisé transit reatu, manel aclu : il est alors synonyme de culpabilité. Mais on désigne aussi par lui l’un des effets du péché actuel, à savoir cette condition où le péché établit son auteur d'être en dette d’une peine : reatus pœnæ. En vertu du péché, une obligation est contractée de la part du pécheur dont il n’est acquitté que par une peine subie. Il est passible de peine. Un texte de saint Thomas définit à souhait le sens du vocable ainsi que son extension, qu’il serait intéressant de comparer avec l’usage qu’en faisait la langue juridique des Romains : Reatus dicitur secundum quod aliquis est reus pœnæ ; et ideo proprie reatus nihil est aliud quam obligatio ad pœnam ; et quia hœc obligatio quodammodo est média