Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/111

Cette page n’a pas encore été corrigée
207
208
PÉCHÉ. CAUSES EXTÉRIEURES, LE DÉMON


tenté d’accorder deux vérités également certaines : l’inviolable sainteté de Dieu, qui ne trempe dans aucun péché ; l’universel et infaillible gouvernement de Dieu, auquel rien n’échappe de ce qui se passe en ce monde. Elle nous dispense ainsi à sa manière les leçons complémentaires de sécurité et de crainte qu’elle a trouvées d’abord dans les livres sacrés.

2. Le démon comme cause du péché.

En cette matière du péché, le diable s’impose à l’attention des théologiens. La tradition chrétienne reconnaît unanimement en lui l’ennemi du genre humain, et qui se répand dans le monde pour la perte des âmes : voir Démon, Tentation. Nous traitons du diable strictement comme cause du péché.

a) Le diable ne cause le péché que d’une manière restreinte. — Le principe des actes humains qu’est la volonté est sujet à deux motions distinctes, celle de l’objet, celle de l’agent qui intérieurement l’incline. Quant à cette dernière, Dieu seul, outre la volonté même, détient pouvoir sur la volonté. Le diable n’incline donc pas la volonté du dedans ; et ce n’est jamais que de l’extérieur qu’il peut la séduire. Quant à l’objet, en effet, on peut représenter selon trois modes l’action exercée par cet endroit sur la volonté. Agit sur elle, l’objet proposé lui-même, comme un mets appétissant excite de soi le désir d’en manger. Agit sur elle, la personne qui offre cet objet. Agit sur elle, la personne qui signale la bonté de l’objet. Selon les deux dernières manières, le diable agit sur la volonté. Et parce que, du côté de l’objet, seul le bien absolu meut nécessairement la volonté, nous savons déjà que le diable ne sera jamais la cause suffisante d’un mouvement de la volonté. Ia-IIæ, q. lxxx, a. 1.

b) Comment le diable peut agir. — Mais, en ces limites et de cette manière, le diable dispose de moyens propres et redoutables. Il persuade par le dedans. Il n’en est pas réduit à des apparitions ou à de pseudo-miracles. Non certes qu’il agisse en nos facultés spirituelles : nous venons de dire que la volonté lui échappe ; pour l’intelligence, il se garde bien de l’éclairer, n’ayant souci que de l’obscurcir. Il y parvient, grâce à l’action qu’il exerce sur l’imagination et les facultés sensibles.

La théologie médiévale a considéré attentivement cette action des purs esprits sur la nature corporelle, dont nous touchons ici un cas particulier. Le diable donc excite des images dans l’imagination. Saint Thomas justifie ceci en disant que la formation des imagese ; t due au mouvement de certains éléments corporels ; or, le mouvement local est l’un des assujettissements de la nature corporelle aux purs esprits. Sans retenir cette théorie mécanique de l’imagination, on peut agréer la même conclusion, dès qu’on admet une action du diable sur le corporel et un rapport du corporel à cette faculté. De même, dit saint Thomas, le diable excite des passions dans l’appétit sensible ; voire il peut disposer habituellement à quelque passion. Et l’on comprend que les deux actions que nous venons de dire puissent se combiner et s’aider mutuellement. Nos sens extérieurs sont, à leur tour, sujets aux artifices du diable, rendus par lui plus subtils ou plus obtus. En cet ordre de choses, la limite du pouvoir diabolique, outre la permission de Dieu, tient en ce que les purs esprits ne peuvent former aucune matière : ils ont besoin d’éléments à partir desquels agir. La commotion due aux agissements du diable sur cette partie sensible de nous-mêmes peut être si grande que la raison en devienne liée et que l’on commette des actes qui sont des actes de péchés. Mais ils ne sont plus alors des actes humains, et notre première conclusion demeure, que le diable ne peut nous contraindre de pécher. L’homme est coupable qui succombe à la tentation diabolique : il faut seulement

reconnaître que sa faute est amoindrie à proportion que sa volonté fut pressée de la commettre : comme nous avons dit du péché de passion. Mais qui ne se rend pas aux suggestions du diable, et sa sensibilité fût-elle horriblement agitée, ne commet pas la moindre faute : la théologie scolastique distingue couramment entre la tentation de la chair, qui est le péché de la sensualité dont nous avons parlé, et la tentation du diable qui ne comporte de soi aucun péché. Ia-IIæ, q.- lxxx, a. 2, 3.

c) Opinions sur le rôle du diable. — Certaines opinions chrétiennes imputeraient volontiers au diable l’origine de la multitude de nos péchés. Origène, par exemple, qui tantôt incrimine le diable, tantôt nos seules passions déréglées, semblerait s’arrêter plus fréquemment sur l’intervention diabolique, d’où viennent tous nos péchés, non d’ailleurs sans la complicité de notre liberté. En d’innombrables passages, il décrit les ruses et les attaques de l’ennemi. Tertullien, De pænitentia, 5, saint Cyprien, De domin. orat., 25, sont aussi très attentifs à cette hostilité dont pâtit la vie chrétienne. Cf. Cavallera, art. cit., p. 35. Il appartient à la théologie de traduire sagement tant d’invectives et d’émois. Occasionnellement et indirectement, concède saint Thomas, le diable est la cause de tous les péchés, car il a fait pécher nos premiers parents, de qui nous avons hérité notre inclination au mal. Mais que tout péché soit dû à une persuasion particulière du diable, on ne peut l’accorder. Il n’est pas besoin que le diable, à tout instant, s’en mêle : et du dehors et du dedans nous sommes assez pressés d’offenser Dieu ! D’autant que Dieu et les saints anges le retiennent d’entreprendre tout ce qu’il voudrait : le diable nous tente moins qu’il n’en a l’envie. On voit que, pour cette théologie, la lutte de l’homme contre le péché ne consistera pas seulement à se mettre à l’abri du diable. I a -ir E, q. lxxx, a. 4.

Sur le propos du diable et de la tentation, il faut signaler l’erreur de Jovinien, combattue par saint Jérôme, Adv. Jovinianum, t. II, P. L., t. xxiii, col. 281 sq., selon qui le démon ne tente point ceux qui ont été baptisés dans l’eau et l’Esprit, mais seulement les infidèles et les pécheurs ; voir l’art. Jovinien ; celle d’Abélard, qui intéresse seulement le mode de la tentation, et qu’a combattue saint Bernard, Epist., clxxxix-cxci, qu’a condamnée le concile de Sens, en 1140, Denz., n. 383, voir Abélard, t. i.col. 43-48 ; enfin, les opinions qui ôtent la responsabilité aux péchés issus d’une tentation ou qui préconisent la passivité sous les suggestions du diable, dont un exemple est la doctrine de Molinos (voir ce mot). Le sujet de ce paragraphe nous donne l’occasion d’évoquer ici une doctrine qu’ont tenue bon nombre de Pères latins et particulièrement saint Augustin, et qui reconnaît au démon précisément un droit sur les pécheurs, remis de par Dieu à son empire, d’où les retire la rédemption du Christ : on étudiera cette question dans les travaux de J. Rivière sur l’histoire du dogme de la rédemption.

3. L’homme comme cause du péché.

L’homme induit son semblable à pécher. Il le fait soit en proposant l’objet, soit en signalant sa bonté. S’il n’a pas tous les moyens du diable, il en a d’autres, et qui peuvent être très persuasifs, mais non jamais irrésistibles. Leur étude donnerait lieu à abondante description. On la trouve pour l’essentiel dans la question du scandale (voir ce mot), qui est justement le péché de ceux qui font pécher les autres.

Mais l’homme se trouve être cause du péché d’une manière singulière, à savoir par la voie de la génération. C’est à cet endroit de son traité et par cette transition que saint Thomas, dans la Somme théologique, introduit l’étude complète du péché originel. Ia-IIæ, q. lxxxi-lxxxiii. Voir l’art, suivant.