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PÉCHÉ. CAUSES DU PÉCHÉ

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Quodlibel, iii, a. 10. Nous avons ainsi retrouvé le jugement commun des théologiens et de saint Thomas qui distinguent l’erreur coupable et l’erreur innocente selon que ce jugement est volontaire ou involontaire. Il suffisait de signaler que la volonté peut s’introduire ici comme partout en des conditions qui sauvent l’involontaire. Ainsi est dénoncé le péché d’erreur. sans que soient incriminées cependant nombre de nos erreurs. Il est superflu de recommander la belle discipline intellectuelle qui ressort de cette morale, où règne, par dessus tout, le sentiment de l’excellence de la vérité.


VI. Les causes du péché.

Nous avons considéré jusqu’ici le péché en lui-même, dans sa conversion, dans son aversion, dans les régions de l'âme où il se répand. Reste à savoir d’où il vient. Sous le nom de « causes », on entend ici les causes efficientes, telles que l’idée d’ailleurs s’en vérifie dans l’ordre volontaire, d’où le péché procède comme un effet de son agent. Il est naturel d’entreprendre cette recherche, d’abord en général ; d’où l’on procédera ensuite à l'étude spéciale de la matière considérée.

I. LES CAUSES DU PÉCHÉ EN GÉNÉRAL. —

1° // Il y a lieu de rechercher des causes au péché. —

Sommesnous d’abord assurés que le péché ait des causes ? On n'émet point ce doute à propos de la vertu, par exemple, ou de l’acte humain comme tel. Mais le péché est un mal. Du mal en général, on s’informe justement s’il a des causes ; de ce mal qu’est le péché, saint Thomas le demande aussi.

Il le fait dans les termes mêmes qui conviennent au mal en général et il aborde ici le péché par l’endroit où il comporte une privation. Comment, demande-t-il, cette privation tient-elle à une cause ? Il observe aussitôt qu’il y a cette différence entre la privation et la négation, que celle-ci, qui est pur défaut, est suffisamment expliquée par l’absence de cause ; tandis que la première, qui est le défaut de ce qui était naturellement requis, n’est expliquée que moyennant une intervention positive, laquelle a tenu en échec la requête naturelle. L’obscurité de la nuit tient au défaut de la lumière ; mais une éclipse du jour suppose quelque agent sans quoi la lumière n’eût pas cessé de se répandre. Dès lors, à la privation du péché, il y a lieu d’assigner une cause. Comme elle affecte l’acte humain, la cause n’en peut être que le principe même de cet acte à l’efficience duquel rien ne concourt que l’agent lui-même. Et, dans l’agent, c’est proprement la volonté dont l’acte humain est l’effet. Il faut donc chercher dans la volonté l’origine de cette privation dont souffre le péché. On remarquera avec quel soin et quelle fermeté saint Thomas traite le péché formellement comme acte volontaire. De la privation du péché, la volonté cependant n’est pas la cause par soi : une cause n'émet pas une privation comme elle émet un effet positif. La volonté, comme tout agent, par soi émet son acte, lequel se trouve, dans le cas, affecté de privation. Elle est ainsi cause par accident de la privation. Reste à déceler d’où vient ici l’accident et pourquoi la volonté, causant un acte, en même temps cause sa privation. D’une façon générale, et mis à part les empêchements extérieurs qui n’interviennent pas ici, le mal d’une action tient au défaut de l’agent. Pour définir ce défaut, regardons de quelle sorte est le mal. Celui du péché est la privation de la rectitude raisonnable, de la bonté d'être conforme à la loi éternelle. Le défaut de la volonté sera donc celui de la direction qu’elle eût reçue de la raison et de la loi divine. Parce qu’elle est ainsi disposée, l’acte, dont elle est par soi la cause, ne peut manquer d'être frappé de la privation caractéristique du péché. La formule suivante de saint Thomas conclut ces analyses : Sic igitur, volunlas carens directione régulée rationis ri

legis divinæ, inlendens aliquod bonuin commutabile, causal aclum quidem peccali per se, sed inordinationem actus per accidens et prseler intentionem : provenit enim dejectus ordinis in actu ex defeetu direclionis in volitntate. Sutn. theol., I » - !  ! *, q. i.xxv, a. 1.

En cette détermination de la cause du péché, se retrouve l’avantage qu’offre la doctrine thomiste de la cause du mal en général, et qui est de respecter l’essentielle ordination de tout agent au bien ; il est ici d’autant plus appréciable que la volonté, entre tous les agents, excelle pour son amour du bien. La notion de cause par accident assure cet avantage ; toute l’insistance de saint Thomas est de montrer que la volonté ne cause le mal du péché qu’accidentellement et non par soi. On prendra garde aussi que nous avons assigné au péché une cause qui n’est pas elle-même un péché, faute de quoi nous n’aurions rien expliqué. Car le défaut auquel nous recourons, antérieurement à l’action, n’a point raison de mal, ni de peine, ni de faute. Ne pas appliquer la règle est alors pure négation. En cet état, la volonté est bonne. C’est une telle volonté, dont nous disons qu’elle est la cause du péché, en ce que, passant à l’acte, on ne pourvoit pas à la rectifier ; mais, en dehors de l’acte, il n’y avait pas à la rectifier. Saint Thomas là-dessus est formel : Si enim ratio nihil consideret vel consideret bonum quodeumque. nondum est peccalum quousque oolunlas in finem indebitum lendat, quod jam est voluntatis actus, Cont. gent.. t. III, c. x, et encore : Unde, secundum hoc, peccati primi non est causa aliquod malum, sed bonum aliquod cum absentia alicujus allerius boni. Sum. theol., I^-II 38, q. lxxv, a.l, ad 3um ; cf. I », q. xlix, a. 1. Avec ce défaut de la volonté, est atteinte la cause prochaine et universelle du péché. Reste sans doute à rechercher d’où vient que la volonté soit ainsi établie en condition défectueuse : en cette recherche précise, se prolonge l'étude des causes du péché. Voir ci-dessous.

Saint Thomas a donc conduit son analyse en vue de signaler l’origine et la cause de jette privation où se consomme le mal du péché, où l’acte humain mauvais rejoint le genre du mal absolu. Sa pensée en ce sens est assurée. Pour nous, qui avons expressément reconnu que le mal du péché n’est point seulement privation mais déjà tendance positive (et des commentateurs comme les Salmanticenses lisent cet enseignement jusque dans l’article que nous venons de rapporter), nous pouvons préciser que la privation est consécutive à cette adhésion de la volonté au bien déréglé où se vérifie déjà le mal du péché, positivement : qu’elle ne dérive du défaut de la volonté qu’en tant que celle-ci s’est portée de soi vers un objet contraire a la règle de raison, en quoi déjà est constitué le péché. Ainsi obtenons-nous une formule synthétique de la causalité du péché, attribuable à une cause par soi ; la privation, accidentellement causée, étant étrangère à la constitution même du péché. Les Salmanticenses optent nettement pour ce parti. Mais l’on pourrait dire aussi que la contrariété même de l’acte volontaire à la règle de raison, en quoi se vérifie sa malice positive, est déjà l’effet d’une cause accidentelle, en ce sens qu’elle tient à l’adhésion de la volonté à la bonté même de l’objet, seule voulue par soi, son agrément, par exemple, ou son utilité. Et. dans ce cas, serait maintenue la formule disjonctive de la causalité du péché, qui est celle de saint Thomas. où le péché n’est point simplement attribué à sa cause. mais distribué en ses parties, lesquelles soutiennent avec la cause des rapports divers. Dans l’un et l’autre cas, la malice positive s’insère à l’intérieur de l’analyse expresse de saint Thomas, où elle introduit une complication, mais qui est aussi un surcroît de connaissance. Elle ne substitue pas une théorie à une autre.