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PÉCHÉ. PÉCHÉS DE LA RAISON

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nient à ce qu’un seul et même péché se trouve répandu en plusieurs puissances.

Pour l’ignorance qui est péché ratione sui, des théologiens comme les Salmanticenses, ibid., n. 45-46, cf. n. 23, l’opposent à la vertu de sludiosité. Mais cette vertu est dans la volonté et ce péché dans l’intelligence. Pour cette raison, reconnaissant que la négligence, d’où vient à L’ignorance sa condition volontaire, s’oppose à la sludiosité, n : >us estimons que ce péché s’oppose dans l’intelligence, comme l’erreur elle-même, voir in/ra, aux différents habitus bons préposés à la rectitude des connaissances requises de nous. La morale de saint Thomas nomme l' hébétude et la cécité, qui sont des ignorances contraires au don d’intelligence, Sum. theol., II a -II a ;, q. xv ; mais, d’une façon générale, on opposera l’ignorance au don de science, ainsi que l’indique saint Thomas lui-même, ibid., prol. quæst. ; cf. q. ix, a. 3 : si l’ignorance concerne les choses de la foi, elle s’opposera au don de science directement ; si elle concerne des matières étrangères à la foi, elle s’y opposera d’une manière qu’on peut appeler réductive. Cajétan, ne découvrant point à'habitus moral à quoi s’opposât formellement l’ignorance, en était venu à dire que l’ignorance n’est pas un péché par elle-même : secundum se non est peccaturn. In 7 am //*, q. lxxvi, a. 2. Si l’on voulait dire par là que le mal de ce péché, d’origine volontaire assurément, ne siège point dans l’intelligence, la conséquence serait irrecevable ; et bien plutôt devrions-nous taxer de défaillante une morale dépourvue d’un tel habitus. La morale de saint Thomas le mentionne, encore qu’elle ne s’attarde pas sur cette considération. Les théologiens postérieurs ont débattu ce problème et se sont répandus en des opinions divergentes. Outre les commentateurs que nous avons nommés, on peut voir : Vasquez, op. cit., disp. CXVIII-CXIX, éd. cit. p. 640644 ; Suarez, tr. cit., disp. V, sect. ii, éd. cit. p. 557-558. Dans tous les cas, on prendra garde que l’ignorance, qui est un péché, est l’ignorance actuelle. Il est vrai que ce mot d’ignorance évoque plutôt cette condition ou cet état où l’on se trouve de ne pas savoir. Un tel état, néanmoins, ne peut être que l’effet d’un péché et non pas le péché lui-même. Celui-ci est encouru au moment où il était requis de considérer cela dont l’ignorance constitue le péché ; on l’appellerait assez heureusement du nom d’inconsidération. Sum. theol., I^-II 86, q. lxxvi, a. 2, ad 5um, ad 3um. On peut préciser que, pour l’ignorance ralione operis, le moment de considérer est celui-là où l’on doit commencer de régler l’action ; pour l’ignorance ratione sui, le péché est encouru quand on a la faculté d’apprendre ce que l’on est tenu de savoir ; et si l’occasion s’en renouvelle, le péché lui-même se multiplie à proportion. Salmanticenses, ibid., n. 40.

6. Le péché d’erreur.

L’homme commet un péché d’erreur quand il se trompe alors qu’il pouvait ne passe tromper. Tandis que l’ignorance consiste dans la privation de la connaissance, l’erreur consiste dans un jugement faux qu'énonce l’esprit.

Cette différence entraîne aussitôt la conséquence que le péché d’erreur se vérifie en toute matière, et non pas seulement en cela que l’on est tenu de savoir. On pèche certes par erreur si, non content d’ignorer ce que l’on est tenu de connaître, on en vient à juger ce qu’on ignore ; mais l’on pèche aussi par erreur quand l’ignorance d’où celle-là procède n'était en rien coupable. La raison en est que le faux, objet de l’erreur, est proprement le mal de l’intelligence, comme la vérité est proprement son bien. Or, ce mal de l’intelligence, qui lèse l’homme en l’un de ses biens naturels, s’il est volontaire, ne peut manquer de déterminer un péché. Nous n’avons point le droit de cultiver l’erreur, non plus que nous n’avons le droit de nous donner la

mort. A cet argument tiré du bien naturel de l’homme, on peut ajouter cette considération spéciale que la connaissance de la vérité, fût-ce même des vérités participées, représente une anticipation de notre béatitude, laquelle consiste dans la connaissance de la première vérité. Il ne semble pas que nous puissions contrarier cette béatitude anticipée, puisque la béatitude, en définitive, ne fait que représenter la suprême exigence de notre nature, que nous ne pouvons d’aucune façon offenser. En quelque matière donc que ce soit, nous n’avons point la liberté de juger à notre gré, sans souci du vrai ni du taux. Le bien de la vérité est loin d'être le moins impérieux qui s’impose à nous. Et parce, que l’erreur est la ruine de la vérité, elle ne peut manquer, étant volontaire, d'être un péché.

Saint Thomas allègue en maints endroits le péché d’erreur. Il signale un péché dans l’erreur relative à ce que l’on peut et doit savoir. Sum. theol., I a -II a q. xix, a. 6 ; q. lxxiv, a. 5. L’infidélité n’est que le plus considérable des péchés d’erreur. II » - II*, q. x, a. 2. Le péché de sottise consiste dans un jugement inepte et grossier sur les choses divines qu’un précepte exprès nous fait obligation de connaître. IIa-IIæ q. xi.vi. Mais saint Thomas reconnaît aussi un péché dans l’erreur, indépendamment de la matière qu’elle touche. De malo, q. iii, a. 7. Et il n’excuse expressément que l’erreur relative aux qualités morales du prochain : car il demande qu’en cas de doute l’on en juge en bien, dût-on se tromper. II*-II æ, q. lx, a. 4, ad 2um. Les commentateurs n’ont fait sur ce point qu’accuser la pensée du maître. Pour Cajétan, qui est net à souhait, l’erreur a raison de péché quand on pouvait savoir ou ne point juger : « Il n’est pas en effet sans péché que l’on ait sciemment une opinion fausse au sujet du triangle cependant qu’on peut l’avoir vraie ou n’en pas avoir du tout, en suspendant l’adhésion, puisque c’est un mal de l’intelligence qu’une fausse opinion en quelque matière que ce soit. » In l* m -IIæ, q. lxxiv, a. 5. Selon les carmes de Salamanque, dont la décision n’est pas moindre, « l’erreur actuelle, à moins qu’elle ne soit invincible, est toujours formellement un péché, non seulement quand elle concerne ces matières dont nous avons dit que l’ignorance est un péché, soit d’elle-même, soit à raison de l’effet ; mais, en quelque matière que ce soit, fût-elle même purement spéculative ». Disp. XIII, n. 47. Ces derniers commentateurs ajoutent que l’erreur précisément spéculative, à moins qu’elle ne touche les choses de la foi, n’excède point la faute vénielle, puisqu’elle ne s’oppose pas à la charité de Dieu ni du prochain, et qu’elle n’apporte pas un grand dommage à celui qui se trompe. Ibid. Nous croyons que saint Thomas se fût montré plus sévère ; à propos du mensonge, il taxe de mortel en lui-même le mensonge portant sur quelque chose dont la connaissance intéresse le bien de l’homme, pula quæ pertinent ad perfectionem scientiæ et in/ormalionem morum : car un tel mensonge, in quantum infert damnum falsæ opinionis proximo. contrariatur caritati quantum ad dilectionem proximi. II 1 - II*', q. ex, a. 4. Ne peut-on s’infliger aussi à soimême un grave dommage en versant dans de certaines erreurs ? Pour autant qu’elles sont volontaires, ces erreurs-là contrarient la charité que l’on doit à sa propre personne et sont des péchés mortels.

Sur cette question du péché d’erreur, les théologiens en général n’abondent pas : l’ignorance a retenu tous leurs soins. La plupart se contentent de la nommer en passant, et sans en faire l’objet d’un débat spécial. Outre les commentateurs de saint Thomas allégués ci-dessus, on peut citer l’opinion de Durand de Saint-Pourçain favorable au péché d’erreur : In II" m Sent., dist. XXXIX. q. ii, éd. cit., p. 169 b-c ; et ce passage de Suarez, où se trouve confirmée la doc.