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ORDRE. INTERPRETATION DU DÉCRET


il ne faut pas perdre de vue que l’objet matériel de cette intention du Christ possède nécessairement une certaine amplitude. Cette amplitude ne peut-elle comprendre des rites aussi dissemblables matériellement que l’imposition des mains et la tradition des instruments ? A. priori, nous n’en savons rien ; a posteriori, certaines analogies suggèrent que ce n’est pas impossible. « Le nom d' « essence du sacrement » ne doit pas ici faire illusion ; car dès qu’on descend sur le terrain des réalisations concrètes, on se trouve en présence d’une véritable multiplicité. Donnons un exemple. Il a plu au Christ d’instituer le sacrement de baptême sous forme d’ablution faite avec de l’eau naturelle, en invoquant la Trinité. Absolument parlant, il aurait pu établir que le seul baptême valide serait le baptême conféré dans l’eau du Jourdain, comme le baptême que lui-même reçut des mains de Jean. De fait, l’amplitude de l’institution est plus grande : toute eau naturelle est propre au baptême : eau douce ou eau marine, eau de fleuve ou eau de pluie, eau froide ou eau tiède. Cela, nous le savons, nous ne pouvons le savoir que par la pratique et l’enseignement de l'Église, qualifiée pour nous dire que ces diversités secondaires ne touchent pas à l’essence du sacrement. On pourrait imaginer des raffinements semblables pour l’essence de tous les sacrements, sans en excepter l’eucharistie. L’institution requiert une certaine détermination de la matière et de la forme ; mais cette détermination a des bornes essentielles : elles ne descend pas nécessairement aux dernières distinctions imaginables, in ultima specie, èv àTÔfvw. Et c’est ici qu’intervient l'Église, interprète autorisée de la pensée du Christ. Je n’examine pas la question ultérieure de savoir si le ministère de l'Église est ici purement déclaratif, ou renferme l’exercice d’un pouvoir effectif de détermination. L’essentiel est qu’il convoie jusqu'à nous la pensée authentique du Christ. « La notion d’essence d’un sacrement, que ce soit l’ordre ou tout autre, comporte donc nécessairement une certaine relativité : il appartient à l'Église, gardienne des sacrements, d’en fixer officiellement les bornes, et ces bornes ne sont pas nécessairement partout et toujours les mêmes à travers la diversité des temps et des lieux. Sera valide le sacrement déclaré tel par l'Église, à laquelle appartient l’appréciation des conditions concrètes et. de leur conformité à l’institution du Christ. Cette appréciation peut, dans une certaine mesure, varier selon les temps et les lieux… f.e sacrement de l’ordre n’est pas le seul à propos duquel nous soyons amenés à la formuler. On a cité l’exemple du sacrement de mariage, et l’exemple peut ne pas paraître décisif, car, si l’appréciation de la validité du contrat matrimonial relève du jugement de l'Église, il reste vrai qu’il y a mariage là seulement où il y a contrat valide entre les époux. Néanmoins, on pourrait représenter que les mêmes actes matériellement, les mêmes consentements échangés, auront ou non la valeur d’un sacrement selon qu’ils réaliseront ou non les conditions de validité posées par l'Église. Et donc, il appartient à l'Église de déterminer, en dernière analyse, les conditions concrètes de l’existence du sacrement. On aurait pu citer l’exemple du sacrement d’extrème-onctibn, pour lequel se présente une diversité non dépourvue d’analogie avec celle du sacrement de l’ordre. Le décret aux Arméniens assigne, comme matière de l’extrêmeonction l’huile bénite par l'évêque : or, les prêtres grecs l’administrent couramment avec une huile dépourvue de bénédiction épiscopale. Le décret aux Arméniens assigne encore, comme matière du sacre ment de confirmation, le chrême bénit par l'évêque. L’onction, aujourd’hui tenue pour essentielle, l’a-t-elle toujours été ? C’est extrêmement douteux. Nous voyons, dans les Actes des Apôtres, saint Pierre et saint Jean confirmer les fidèles de Samarie par l’imposition des mains ; nous retrouvons la confirmation à Éphèse. Il n’est fait nulle mention d’une onction quelconque. Et cependant personne ne doute que le sacrement de confirmation ne fût dès lors dans l'Église ce qu’il est encore de nos jours. Il faut donc nécessairement admettre quelque amplitude laissée à l'Église dans la détermination de ce qui constitue l’essence du sacrement. « Je ne veux pas faire état d’une concession consentie par saint Thomas à l’argumentation qui prétendait trouver dans les Actes des Apôtres la trace d’un baptême conféré « au nom du Seigneur Jésus », sans la formule trinitaire prescrite au dernier chapitre de saint Matthieu. Cette argumentation partait, sans doute, d’un faux supposé… ; mais ce qu’if faut observer, c’est la réponse de saint Thomas. Devant cette difficulté pressante, il ne craint pas de faire appel à l’hypothèse d’une dispense temporaire accordée par le Seigneur, Sum. theol., III a, q. lxvi, a. 6, ad lum, et en vertu de laquelle les apôtres auraient baptisé d’abord sans l’invocation de la Trinité. En recourant à cette hypothèse, le docteur angélique ne croit pas faire brèche au principe de l’unité du baptême chrétien. C’est pourtant une brèche considérable à l’essence du baptême, non seulement selon la lettre du décret aux Arméniens, maisselon la définition dn concile de Trente. Saint Thomas était donc disposé, pour faire face à l’objection, à reconnaître à l’essence du sacrement plus d’amplitude que ne lui en accorde présentement l'Église. « Ces considérations nous paraissent frayer la voie à une conception de l’essence du sacrement un peu plus élastique que celle dont le cardinal van Hossum s’est fait l’avocat avec tant de science et d’autorité. Le concile de Trente, en affirmant le pouvoir de l'Église sur les sacrements, a pris soin de déclarer que ce pouvoir n’en saurait toucher la substance. Sess. xxi, c. ii. Déclaration fondamentale, qu’il ne faut pas perdre de vue, mais dont l’interprétation exige beaucoup de circonspection. La substance — ou l’essence — du sacrement n’est déterminée que par l’intention du Christ, et l’on vient de voir que sous ce mot « essence du sacrement », une équivoque peut se glisser si, au lieu de s’en tenir à l’intention du Christ, on descend sur le terrain des réalisations concrètes… Théoriquement au moins, il ne répugne pas que certains rites, homologués par l'Église, constituent, relativement à certains temps et à certains lieux, l’essence du sacrement, tandis que d’autres rites, également homologués par l'Église, constitueront cette essence relativement à d’autres temps et à d’autres lieux. Cette conclusion n’est point particulière à une école ; elle rallie la grande majorité des théologiens depuis le concile de Florence, et parmi eux, plusieurs de ceux qui ont le plus contribué à promouvoir la doctrine de l’imposition des mains, rite unique de l’ordination sacerdotale (par exemple, Jean Morin, Commentarius…, part. III, exerc. 7, c. vi. n. 2). Elle nous paraît renfermer la seule justification possible de l’indulgence témoignée par l'Église aux doctrines, autrement irréconciliables, qui se font concurrence quant au sacrement de l’ordre. Effectivement irréconciliables au point de vue de la matière et de la forme entendues au sens le plus matériel, ces doctrines pourraient se réconcilier dans l’unité supérieure de l’institution du Christ ». Cf. S. Harent, La part de l'Églisedans la détermination du rite sacramentel, dans les