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ORDRE. THÉOLOGIE DU XII ? SIÈCLE
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7. Les théologiens du début du XIIe siècle. — Les décisions du concile de Guastalla (1106) ; cf. Denz.Eannw., n. 358, avaient marqué un retour très net en faveur des doctrines augustïnierines : elles proclamaient équivalemment la validité des ordinations schismatiques et même simoniaques. Mais il s’en faut que la pensée théologique soit éclaircie

A cette époque, en efîet, Alger de Liège, dont la dépendance doctrinale à l'égard d’Yves de Chartres est assez nettement accusée, est encore fort hésitant. Dans son Liber de misericordia et justifia, il est d’accord substantiellement avec Pierre Damien, bien qu’il range les simoniaques parmi les hérétiques. Sans doute, leurs sacrements et leurs ordinations sont valides, mais elles ont tout juste le minimum de valeur que la théologie ne permet pas de refuser aux sacrements des ariens, P. L., t. clxxx, col. 936, 946. Alger, contrairement à Pierre Damien, reconnaît les sacrements des ariens comme valides. II ne rejette que les sacrements administrés par des sectes antitrinitaires.

Hugues d’Amiens, abbé de Reading, dans une première réponse à son parent Mathieu, prieur de SaintMartin-des-Champs à Paris, puis cardinal-évêque d’Albano, avait déclaré que, sauf dispense de l'Église, les peines ecclésiastiques dont peuvent être frappés les prêtres ou les évêques, laissent subsister le sacrement de l’ordre chez le coupable, mais suppriment en lui tout pouvoir sacramentel actif, sauf celui de baptiser. Il distingue entre sacramentum et officium, possession du sacrement et pouvoir de le transmettre. Textes dans Martène et Durand, Thésaurus novus anecdotorum, t. v, Paris, 1717, col. 958, 981. Plus tard, obligé de défendre sa doctrine qu’il présente comme l’enseignement de l'Église, il n’admet même plus la réserve de la dispense de l'Église : pour lui, un prêtre ou un évêque, déposé ou excommunié, voit son pouvoir d’ordre supprimé par le fait même.

Sous Innocent II, qui déploya tant de sévérité à l'égard des schismatiques partisans d’Anaclet II, Gerhoh, prêtre du diocèse d’Augsbourg, en vint à affirmer que les prêtres excommuniés par le SaintSiège ne pouvaient consacrer validement. Cette doctrine est, pour lui, la conséquence d’une théorie générale. Il distingue les sacrements dont le sujet est une personne humaine, comme c’est le cas du baptême et de l’ordination, et ceux dont le sujet est un objet inanimé, comme le pain eucharistique et l’huile du chrême. Epist. ad Innocentium papam, dans Mon. Germ., Libelli…, t. iii, p. 221-227 ; cf. Liber de simoniacis, ibid., p. 267. Les sacrements de la première catégorie sont toujours réels, bien qu’il soit nécessaire de les compléter par le rite catholique de l’imposition des mains ; ceux de la seconde catégorie sont nuls. Ce système se justifie par la théorie de l’intention. Dans certains cas, dit-il, le baptême et l’ordination peuvent être reçus en dehors de l'Église, mais mente catholica, sans aucune faute d’hérésie ou de schisme, par exemple par suite d’ignorance ou de nécessité. Or, cette intentio ne peut jamais se trouver dans les sacrements dont le sujet est la matière inanimée. Argumentation bien défectueuse et qui revient finalement à distinguer sacrement et sacrement. Au fond, la validité des ordinations reçues en dehors de l'Église ne fait pas de doute pour Gerhoh. Il y a donc progrès sur la théologie de l'époque précédente. Mais ce n’est pas encore la vérité parfaite.

Lent retour à la vérité catholique.

Cette vérité

ne se ferait jour qu’après un long siècle de discussions, dont le Décret de Gratien allait être le point de départ.

1. Le Décret de Gratien, donne en effet le signal d’un renouveau de la théologie sacramentaire ; cf. Gratien, t. vi, col. 1747 sq. La valeur des ordinations conférées en dehors de l'Église est discutée dans la causa I a et

les effets de l’excommunication dans la causa IX a. Tout en acceptant la base patristique de discussion d’Alger, Gratien l'élargit considérablement ; il cite non seulement les Pères dont Alger invoque l’autorité, mais il indique encore les décisions récentes, notam ment celles d’Urbain II. Exposé forcément incohérent, souvent contradictoire, et duquel on a cru pouvoir proposer l’interprétation suivante : l’ordination conférée par des évêques excommuniés, mais précédemment ordonnés dans l'Église serait valide ; mais l’ordination faite par des évêques consacrés par des excommuniés serait nulle. Cette exégèse des décrets d’Urbain II (voir ci-dessus, col. 1291), a accrédité pour longtemps une doctrine erronée dans l'École de Bologne.

Gratien nie qu’il y ait parité entre les conditions de transmission du baptême et celles de l’ordre. Un ministre déposé peut conférer le baptême, tandis qu’il ne peut pas consacrer l’eucharistie ou conférer les ordres validement. Nous retrouvons ici une théorie conforme à celle d’Hugues d’Amiens. On distinguera de plus en plus sacramentum et officium, la possession du sacrement de l’ordre et le pouvoir de le transmettre. Ainsi, les évcques actuellement hors de l'Église, mais précédemment consacrés par des catholiques, peuvent conférer l’ordre. Ceux qui ont été consacrés en dehors de l'Église ne le peuvent pas.

Cette solution, toute une école de théologiens et de canonistes de Bologne va la développer et l’appliquer avec suite.

2. L’enseignement de l'école de Bologne. — a) Maître Roland (Alexandre 111). — Dans la Summa Decreti, édit. Thaner, Innsbruck, 1874, p. 15 (dont M. Saltet rétablit le texte intégral et authentique, p. 298-299), Roland Bandinelli, ayant à s’occuper de la valeur d’ordinations conférées par des évêques hérétiques, distingue trois éléments de la question : la qualité du consécrateur hérétique, qui a pu être consacré, avant de tomber dans l’hérésie, par un évêque catholique, ou bien qui a été consacré par un évêque hérétique, c’està-dire n’ayant pas le même pouvoir d’ordonner ; le mode d’ordination, qui peut être selon la forme prescrite par l'Église ou en dehors d’elle ; les dispositions de l’ordinand, qui peut recevoir de l'évêque hérétique l’ordination, soit de plein gré, soit contraint. Roland apporte trois solutions : 1° L’ordination est valide quand l'évêque consécrateur a été ordonné par des catholiques et que la cérémonie s’est effectuée dans la forme prescrite ; 2° elle est invalide, si le prélat consécrateur a été ordonné par des hérétiques ou si la forme prescrite n’a pas été observée ; 3° si l’ordinand se soumet librement à l’ordination d’un évêque hérétique, mais ordonné par des catholiques, il pèche très gravement, mais, par miséricorde, on peut lui permettre d’exercer l’ordre reçu. L'évêque ordonné par des hérétiques est appelé ici non ordinalus, c’est-à-dire vraisemblablement non ordinalus a catholicis.

La doctrine de Roland est en partie exacte, en partie fausse. Il est exact que la forme prescrite par l’Eglise est nécessaire à la validité de l’ordination. Mais il est faux qu’une ordination soit nulle, si elle a été faite, suivant la forme prescrite, par un évêque hérétique, quel que soit l'évêque qui l’a consacré ; les ordinations faites par des évêques hérétiques, suivant la forme prescrite, sont indéfiniment valides. La doctrine de Roland est exposée à plusieurs reprises ; à propos de la validité de la consécration eucharistique, dans les Sentences ; cf. M. Gietl, Die Sentenzen Rolands, p. 217 ; à propos du pouvoir d’absoudre, dans la Summa Decreti, édit. cit., p. 100. Le principe de cette doctrine est celui d’Hugues d’Amiens, la distinction entre sacramentum et officium : « Notandum