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ORDRE. LA REFORME GRÉGORIENNE


et la condamnation ne sont pas connus peuvent administrer validement les sacrements. Dans le cas où leur situation vient à être connue, ils ne peuvent plus administrer validement les sacrements. La thèse est appuyée de plusieurs documents. Mais Bernhard a fort bien vu la difficulté de sa thèse : un même ministre administrerait les sacrements ou non, suivant que sa situation serait connue ou non ! Pareille assertion ne laisse rien subsister de la valeur objective des sacrements et de l’efficacité ex opère operato. C’est, répond Bernhard, le mystère de la foi, loc. cit., p. 40.

Bernold ne se tint pas pour satisfait. Dans une lettre (Libelli, t. ii, p. 47, et P. L., t. cxlviii, col. 1166), il montre combien il répugne que les mêmes espèces eucharistiques soient consacrées ou non, suivant qu’elles sont données à un chrétien averti de la situation irrégulière du ministre ou à un autre qui ne le serait pas. Quant aux ordinations, il y a des divergences entre les témoins de la tradition : les uns les déclarent valides, les autres invalides. Comment accorder les décisions contraires ?

Ici, Bernold s’inspirera de la thèse esquissée par le cardinal Humbert à propos du baptême et la transportera à l’ordre. Il évoque ainsi la théorie de la forma sacramenti : Harum igitur sententiarum repugnantiam eoncordare nescimus, nisi hoc auctoritati Sedis apostoliav, cum consensu sanctæ matris Ecclesiæ, licitum fore dicamus, ut, pro aliqua lemporis necessitate, ordinatos ab hærelicis, per invocationem sanctæ Trinitatis in ordine suo non reconsccrandos suscipiat ; quos tamen a’Jquando, ad evidentiorem hæreticæ ordinationis proscriplionem, reconsecrari pracipiat… Hinc igitur conjicitur ordinatos ab hæretico non consecra TIONEM ALIQUAM ACCEPISSE, SED SOLAM FORMAM

consecrationis, absque virtute sanctiftcationis — quæ utique forma, sive accepta virtute sanctificationis, ex consensu sanctæ Ecclesia', a conversis retineatur sive per iteralionem penitus proscribatur, ad præsens non occurrit quid rationabiliter objici possit. Op. cit., p. 56. Bernold ne connaissait pas l’ouvrage d’Humbert. Il est remarquable qu’il interprète, comme le cardinal, la forma sacramenti dont ont parlé saint Augustin et saint Léon. Cette forma n’est qu’une apparence, un rite extérieur. Cette interprétation n’est qu’un soupçon très lointain de la doctrine du caractère. Mais elle laisse admettre la possibilité des réordinations. Ainsi, Bernold transformait une question de dogme en une affaire de discipline. Selon lui, il dépendait de l'Église d’admettre ou non une ordination faite en dehors d’elle. Il ajoutait que, de fait, les simoniaques et les excommuniés dont la condamnation n’est pas connue, peuvent validement administrer les sacrements per consensum Ecclesite. Ainsi expliquait-il les décisions d’Anastase II. Enfin, Bernold émet une dernière opinion. Se préoccupant des ministres qui, sans devenir hérétiques, sont pourtant, en raison de quelque -faute, remoti ab officio, c’est-à-dire, comme nous dirions aujourd’hui, suspens ou déposés, il lui semble que la permanence du pouvoir d’ordre est garantie en eux par saint Augustin. Il désigne ces clercs comme quondam catholice ordinati ou ordonnés dans l'Église, par opposition à ceux qui sont ordonnés par des hérétiques. « C’est là, ajoute M. Saltet, op. cit., p. 211, une distinction qui, bien des années plus tard, allait avoir la plus grande fortune, au point de commander toute la théologie des sacrements. Entre les deux théories opposées, dont l’une déclarait nulles et l’autre, valides. les ordinations conférées en dehors de l'Église, une opinion intermédiaire trouva d’illustres patrons. Ils déclarèrent valides les ordinations faites, en dehors de l'Église, par les seuls évêques quondam catholice ordinati. »

Sans nous arrêter longuement aux Apologeticæ rationes (Libelli, t. ii, p. 99 ; P.L., t. cxlviii, col. 1067) où Bernold, s’appuyant sur les autorités de saint Grégoire, de Pelage, d’Innocent I er, de saint Léon que nous connaissons déjà, et sur Prosper d’Aquitaine, Sent, ex Augustino, xv, P. L., t. li, col. 430, entend démontrer que les sacrements administrés par les excommuniés sont nuls, il est plus intéressant de constater que, peu de temps après, Bernold en arrive à une théologie tout à fait exacte. Celle-ci 'est contenue dans le traité De sacramentis cxcommunicatorum. Libelli, t. ii, p. 89, et P. L., t. cxlviii, col. 1061. Bernold a découvert ici la véritable doctrine de saint Augustin. Il mentionne d’abord les autorités qui semblent déclarer nuls les sacrements administrés en dehors de l'Église : ce sont les quatre textes déjà rappelés. Puis, il indique les autorités qui se prononcent pour la validité des sacrements administrés dans les mêmes conditions : la lettre d’Anastase II et un texte de saint Augustin, Epist., xciii, n. 46, P. L., t. xxxiii, col. 343. Ce qui a ouvert les yeux de Bernold, c’est le texte tiré du 1. VI du De baptismo d’Augustin contre les donatistes, où le Docteur d’Hippone distingue entre le sacramentum et Veffectus sacramenti (voir col. 1279). D’après saint Augustin, c’est parce que saint Cyprien n’a pas vu cette distinction qu’il a eu une doctrine erronée. Bernold a fort bien compris l'évêque d’Hippone et montre comment les textes qui paraissent divergents conduisent à la même théologie. Superiores sententiæ ad effectum sacramenti referantur, qui nusquam extra Ecclesiam esse posse veraciter asseritur, et inferiores ad veritatem sacramentorum referantur, quæ eadem integritate et bonis et malis adesse creduntur ac si uno ore ipsi sancii Patres nobis communiter dicerent : Extra Ecclesiam nec sunt, nec fiunt sacramenta effective, id est cum salute animæ, ubi tamen eadem inutiliter, imperniciose et esse et fieri non denegamus. Bernold est d’autant plus assuré de tenir la bonne voie qu’il constate que plusieurs papes, saint Léon, Innocent I er, saint Grégoire, ont finalement accepté les sacrements de ministres sur le compte desquels il s'étaient exprimés de la manière la plus négative. Il cite de plus une série de textes de saint Augustin fort bien choisis ; il démasque la supercherie qui attribue à Pascal I er une lettre de Guy d’Arezzo ; cf. Saltet, op. cit., p. 1791sq. ; enfin, il écarte de propos très délibéré la prétendue autorité des synodes romains de 769 et 964 dans lesquels les ordinations des papes Constantin et Léon VIII étaient déclarées nulles : précédents peu anciens, écrit Bernold, in quibus temporibus mulla contra fas et jus usurpata reperiuntur. Il ne faut pas transformer les abus en règles.

Il ne faut pas d’ailleurs exagérer le mérite théologique de Bernold ; c’est grâce à la doctrine du Liber graiissimus de Pierre Damien et à la collection canonique d’Anselme de Lucques junior qu’il doit son évolution dans le sens de la vérité traditionnelle. « Bernold, écrit M. Saltet, doit passer uniquement pour un compilateur intelligent et sans parti pris. » Op. cit., p. 217.

5. Les innovations théologiques sous Urbain II. — La théologie qui a inspiré les décisions d’Urbain II n’a pas encore été complètement mise à jour. Au xiie siècle, toute une école de canonistes de Bologne a attribué à Urbain II la doctrine suivante : En fait de sacrements administrés en dehors de l'Église, c’està-dire dans le schisme ou dans l’hérésie, sont seuls réels ou valides ceux qui ont été conférés par un ministre précédemment ordonné dans l'Église, c’est-à-dire par les catholiques ; sont nuls les sacrements des ministres ordonnés par des évêques qui ont reçu leur consécration en dehors de l'Église. C’est, en somme, la thèse