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ORDRE. LA REFORME GREGORIENNE


près à la même époque, le dialogue Infensor et defensor. Auxilius oppose aux prétentions du pape Serge III une doctrine théologiquement exacte. Il établit une analogie complète entre le baptême et l’ordination : c’est bien là une idée augustinienne. Aucun de ces deux sacrements ne peut être réitéré. Il prouve cette doctrine par la lettre de saint Grégoire le Grand à l’archevêque de Ravenne : cf. col. 1 "281. La réitération de ces sacrements serait un acte hérétique. Les ordinations conférées en dehors de l'Église sont valides, comme le prouvent l’histoire de Libère qu’Auxilius qualifie, avec la notice légendaire du Liber pontipcalis, d' « hérétique », et les textes de saint Léon I er et d’Anastase II (voir ci-dessus, col. 1280 sq.) ; et les ordinations des évêques indignes ou intrus sont valides, tout comme celles de Vigile, le proscripteur et le remplaçant du pape Silvère. De ordinationibus, xxv, xxvii, xvi, xix, xx, P. L., t. cxxix, col. 1068, 1066, 1069 ; In/ensor, c. v-vi, col. 1082.

Les livres d’Auxilius nous permettent également de situer l’introduction des onctions dans le rite de l’ordination sacerdotale. On peut la fixer à la seconde moitié du ixe siècle. Mais un point doctrinal plus important retint son attention. « Par une argumentation ad hominem, ceux qui niaient la valeur des ordinations faites par Formose, reprochaient à ce pape de s'être fait réordonner évêque à l'époque de son intronisation à Rome ; il aurait reçu alors une seconde imposition des mains. Auxilius répond en niant le fait. Mais, ajoute-t-il, la réitération de l’imposition des mains de l'épiscopat aurait-elle eu lieu, ce serait un fait sans conséquence ; d’après saint Jérôme (Epist., cxlvi, P. L., t. xxii, col. 1192), il y a identité entre l'épiscopat et le presbytérat. Dès lors, la consécration épiscopale n’a pas la signification qu’on pourrait croire ; elle complète seulement le presbytérat. D’une manière analogue, la consécration pontificale de Formose a complété sa consécration épiscopale… Cette question, relative à la différence de l'épiscopat et de la prêtrise, devait occuper longtemps, dans la suite, les théologiens. » Saltet, op. cit., p. 159-160 ; cf. Defensor, col. 1096. Auxilius admet d’autre part qu’une ordination imposée par violence est valide. Id., col. 1075-1076.

Les mêmes principes théologiques de la validité des ordinations faites en dehors de l'Église sont repris, à l’occasion de l’affaire Formose, par un professeur de grammaire de l’Italie méridionale, EugeniusVulgarius, De causa et negotio formosi papæ, P. L., t. cxxix. Ici encore, la condition du baptême et celle de l’ordination sont identifiées, quant à la validité et à la permanence dans l'âme. La réalité qui est l’effet de ces sacrements y est très nettement décrite. A ceux qui prétendent que, par la déposition et par l’excommunication, Formose a perdu le pouvoir d’ordre, Vulgarius répond que l’ordination, pas plus que le baptême, ne peut être enlevée de l'âme : elle en est inséparable. Necesse est ut concludas, sacerdotium ab accepta inseparabile sicut baptismum ; auf si non, aliud esse donum baptismi, aliudque sacerdotii, quod dictu impium est. Col. 1108.

Obscurcissement de l’enseignement traditionnel.


Les luttes politico-religieuses du ixe et du xe siècle, jointes à l’affaiblissement de la théologie, créent dans l’enseignement catholique une véritable méconnaissance de la théologie du sacrement de l’ordre. Il faudra trois siècles de luttes et de controverses pour revenir à la doctrine que nous venons de trouver sous la plume de Vulgarius, que l’ordre, comme le baptême, reste inséparable de l'âme qui l’a reçu et pour affirmer que le pouvoir d’ordre ne saurait jamais être lié par l'Église au point de devenir inefficace et inerte. « Dans l’intervalle se place non un développe ment doctrinal, mais une régression théologique de longue durée et de grande portée… De cette régression, relative à la doctrine sur les conditions de validité du pouvoir d’ordre, on chercherait en vain un équivalent dans quelque autre domaine de la théologie catholique. » Saltet, op. cit., p. 162.

Ce n’est pas à dire cependant qu’il n’y ait plus aucun défenseur de la bonne doctrine. On peut citer Luitprand dans son Antapodosis, i, 30, qui affirme nettement la validité des ordinations conférées hors de l'Église : Benedictio siquidem qu ; v ministris Christi impenditur, non per eum qui videtur sed qui non videtur, sacerdolem infunditur. Neque enim qui rigat est aliquid sed qui incrementum dat, Deus. P. L., t. cxxxvi, col. 804. Mais ces affirmations deviendront de plus en plus rares au fur et à mesure que la papauté ellemême souscrira à la thèse de la nullité des ordinations simoniaques et schismatiques. Ce que l’on pourra recueillir, dans l'étrange théologie qui prétend appuyer cette tradition nouvelle, ce sont des points de vue particuliers, des arguments nouveaux, dont la théologie traditionnelle tirera, le moment venu, quelque précision heureuse ou quelque occasion de progrès.

1. Problème de la consécration épiscopale du diacre : Rathier de Vérone. — Il s’agissait de la validité des ordinations sacerdotales conférées par l’intrus Milon. Conformément aux décisions du synode romain de 769 touchant les ordinations de l’intrus Constantin, Rathier tenait pour nulles les ordinations faites par Milon. On lui objectait : des prêtres ordonnés par Milon ont été ensuite, par d’autres, consacrés évêques ; c’est donc que le sacerdoce reçu des mains de Milon est réel et valide. A quoi Rathier répond : cet argument ne vaut rien, car la consécration épiscopale conférée à un simple diacre lui donne, par le fait même, le sacerdoce, P. L., t. cxxxvi, col. 477. C’est, sous une forme nouvelle, la question de l’identité substantielle de l'épiscopat et du presbytérat. Les théologiens s’empareront de cette donnée pour y apporter une solution.

2. La théologie de saint Pierre Damien.

Sous saint Léon IX, la thèse de la nullité des ordinations simoniaques a fait de grands progrès. En général, les partisans de la réforme, soutiens de la papauté et chrétiens exemplaires, estiment que ces ordinations sont invalides : dans ce jugement, en soi erroné, ils sont poussés beaucoup plus par le dégoût que leur inspirent les clercs simoniaques que par le souci de la vérité théologique. Les adversaires de la réforme et les simoniaques eux-mêmes tiennent pour la validité et, sans grand souci de la vérité sans doute, en sont les défenseurs. Le pape Léon IX n’a pas de doctrine bien nette. En général, il considère comme valides les ordinations gratuitement reçues de prélats simoniaques et comme nulles celles reçues à prix d’argent. Voir t. ix, col. 325.

C’est dans ces conditions que saint Pierre Damien essaie de construire une théologie sur le pouvoir d’ordre, théologie traditionnelle dans ses lignes principales, et pourtant mélangée d’idées moins acceptables. Cette théologie est exposée dans le Liber gratissimus, dans Mon. Germ. hist., Libelli…, t. i (et P. L., t. cxi.v, col. 90). Damien établit certains principes, dont il fait ensuite l’application aux simoniaques. Le pouvoir d’ordre, dit-il, est un pouvoir ministériel. Dieu a fait les clercs non auctores baptismi, sed ministros. Ainsi en est-il des autres sacrements. Or, le ministre est un canal qui transmet la grâce. Les mauvais ministres ne sont donc pas un obstacle à cette transmission : Fons ille vivus non restringitur quominus, usque in fmem secculi, per nemus Ecclesise projluat, ut non solus ille sacerdotalis ordo, sed et omnes in Christo renali salutis suæ poculum hauriant. Op. cit..