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PAUL (SAINT). L’ÉGLISE


une portée chrétienne. En possession de ses idées sur le salut par le Christ, il les exprime dans un langage philosophique teinté de gnosticisme, non pour s’inspirer de la gnose naissante, mais pour lui infuser un sens chrétien, conforme à l’Évangile. Ainsi, il donne à sa pensée des nuances nouvelles, tout en sauvegardant la vérité de l’Évangile. Ce fait, loin de fournir un argument contre l’authenticité de l’épître, en est plutôt une preuve. L’Apôtre n’accepte point une philosophie humaine, il la remplace par la sagesse chrétienne, comme il l’avait fait dans I Cor., ii, 6-16. Pour lui, le principe de perfection c’est non Une connaissance spéculative de Dieu, mais celle de sa volonté considérée comme ligne de conduite. L’idée est celle de l’Ancien Testament. La vie religieuse et morale est fondée sur la dépendance de l’homme envers Dieu. Mais, pour saint Paul, la volonté de Dieu n’est plus représentée par la Loi, mais par l’Évangile. La vie chrétienne, nous l’avons vu plus haut, découle de l’union au Christ sous l’action de l’Esprit-Saint, cf. Col., i, 9.

Or, le Christ occupe la première place dans l’ordre du salut, comme dans l’ordre de la création. En elïet. Dieu nous a délivrés de la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le royaume de son Fils bienaimé, dans lequel (var. : dans le sang duquel), nous avons la rédemption, la rémission des péchés », Col., i, 13-14.

Là encore il ne faut point perdre de vue que saint Paul combat des idées répandues par les docteurs judéo-phrygiens. Ceux-ci devaient exalter le rôle des anges et rabaisser celui du Christ. L’Apôtre rappelle ce que Dieu a fait par le Christ : il a arraché les hommes à la puissance des ténèbres, c’est-à-dire à l’empire de Satan, opposé à celui de Dieu ; cf. I Cor., xii, 24 ; Eph., iv, 27 ; vi, 11. 12, 16, et ii, 2 ; cf. Act., xxvi, 18. Il les a transportés dans le « royaume de son Fils bien-aimé ». Ce n’est pas au futur, c’est un fait accompli. Le Christ est donc chef d’un royaume dont les fidèles sont les membres.

En général, le royaume ou règne de Dieu n’est pas identique au royaume messianique : ce dernier n’est qu’une phase, un aspect du premier ; cf. Ps. ex. Le Messie, après avoir rempli son rôle en remportant la victoire sur les ennemis de Dieu, a remis le commandement au Père. I Cor., xv, 24 sq. Mais, en détruisant par sa mort le royaume ennemi, celui de Satan, Col., ii, 14-15, il a établi un royaume dont il est devenu le chef, Col., i, 13 ; Eph., i, 20-23 ; ce royaume, c’est l’Église ; cf. Eph., i, 22 ; Col., i, 18. Ainsi, tout en remettant au Père le « pouvoir », il ne cesse point d’être le chef du royaume qu’il a conquis et organisé. En sa qualité de Fils de Dieu, il est égal au Père pour l’autorité et la puissance. C’est pourquoi son royaume, appelé « royaume du Fils, » dans Col., i, 13, est le « royaume de Dieu et du Christ » dans Eph., v, 5.

Les fidèles qui appartiennent à ce royaume possèdent, » dans le Christ », Iv &, « la rédemption, la rémission des péchés ». Col., i, 14. Cette expression êv o>, signifie non seulement « par lequel » mais « dans lequel » : comme membres du corps dont il est la tète, cf. Col., i, 18 ; Eph., i, 22-23, les chrétiens ont

la rédemption, la rémission des péchés » ; cf. Eph., i, 3-14.

Nous avons exposé plus haut la notion de rédemption. Ici, il faut se demander si la « rédemption » suivie de la « rémission des péchés » vise une fausse doctrine répandue chez les Colossiens. C’est l’opinion de Lightfoot, et la chose est assez vraisemblable. D’après saint Irénée, Cont. heer., i, xxi, 4, P. G., t. vii, col. 664-665, les marcosiens enseignaient que la rédemption parfaite consiste dans la connaissance, STriyvcoaiv de la « Majesté ineffable », et ils avaient

comme formule de baptême : « Au nom, sic ôvojxx, du Père inconnaissable, àyvtôaTOij, de toutes choses ; à la vérité mère de tout, à celui qui est descendu dans Jésus ; en l’unité, sic evwchv, et la rédemption et la communion des puissances, xal àTtoX’jTpcoa’.v xai, xrjivawtav tûv Suvxlascov », ibid., i, xxi, 3, col. 661 ; et ailleurs : « Ils disent qu’elle (la rédemption) est nécessaire à ceux qui ont reçu la connaissance parfaite, pour être régénérés dans la puissance qui est au-dessus de toutes choses, sîç ttjv Û7tèp Trxvra 8’jvau.w. Autrement, il est impossible d’entrer à l’intérieur du Plérôme ; car c’est elle qui les fait descendre dans la profondeur (l’abîme). » Ibid., 2, col. 657.

De son côté, saint Hippolyte affirme : « Ils prononcent quelque chose d’une voix mystérieuse (formule secrète) en plaçant la main sur celui qui reçoit la rédemption », Elenchos (Philosophoumena), éd. Wendland, p. 172 ; et un peu plus loin : « Après le baptême, ils font connaître autre chose qu’ils appellent rédemption, à7roXuTpcoat, v, et en cela ils pervertissent ceux qui s’attachent à eux dans l’espoir de la rédemption, comme s’ils pouvaient, après avoir été une fois baptisés, obtenir de nouveau la rémission. » Ibid., p. 173.

Au iie siècle, les gnostiques avaient sans aucun doute une théorie de la rédemption bien différente de celle de saint Paul. En était-il de même chez les Colossiens au I er siècle ? On ne peut, sans anachronisme, leur prêter un système gnostique, mais on peut parler de tendances gnostiques : par la « connaissance » ils s’elTorçaient de se rapprocher de la divinité et ils y voyaient une garantie de salut et d’immortalité. Ils cherchaient, en outre, à se rendre favorables les puissances, regardées comme intermédiaires entre Dieu et l’homme. Saint Paul leur oppose que c’est « dans le Christ » que l’on obtient la rédemption et la rémission. C’est en lui seul qu’il faut chercher le salut ; il est la « tête » de l’Église, le principe de la résurrection, la cause de la réconciliation. Col., i, 18-23.

4° Le Christ, « tête de l’Église » : le « plérôme » ou plénitude. — « Il est la tête du corps de l’Église », cf. i, 24 ; Eph., i, 23 ; I Cor., xii, 12 sq. Dans les premières épîtres, le mot Église désigne d’ordinaire les communautés locales ; voir les adresses de I et II Thess., Gal., I et II Cor. Cependant, déjà dans Gal., i, 13 (cf. Act., vi, 3 ; Phil., iii, 6), et I Cor., x, 32 ; xii, 28, « l’Église de Dieu », « l’Église » désignent l’ensemble des fidèles formant un peuple unique, à la manière du peuple d’Israël. Le passage Gal., vi, 16, accentue spécialement cette idée : « Paix et miséricorde sur tous ceux qui suivront cette règle, et sur l’Israël de Dieu. » Il s’agit du nouvel Israël, le peuple chrétien, les fidèles formant une société par opposition à l’Israël selon la chair.

Or, cette notion du peuple chrétien formant un tout, un corps, un organisme, prédomine dans les épîtres de la captivité.’L'Église est le corps du Christ. les chrétiens en sont les membres. Elle s’identifie d’une façon mystique avec le Christ, dont elle est en quelque sorte l’extension. En persécutant « l’Église », Saiil persécutait « le Christ ». Act., ix, 4. La doctrine de saint Paul sur l’union des fidèles au Christ l’a naturellement conduit à cette conception de l’Église, conception qui avait par ailleurs son fondement dans l’enseignement évangélique. Cf. Matth., xvi, 16-18 ; xin, 24-30 ; 36-43 ; 47-50 ; xxii, 1-14 ; Joa., xv, 1-18.

Cette doctrine, déjà énoncée dans Phil., iii, 6, et Col., i, 18, 24, est spécialement développée dans l’épître aux Éphésiens. Dieu a voulu réunir « en Jésus-Christ toutes choses, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre ». Eph., i, 10. « Il a tout mis sous ses pieds, il l’a fait chef suprême de l’Église qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit