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PAUL (SAINT). LE CHRIST JÉSUS


celui de Seigneur. D’ailleurs, tout cela est dit, non pour exposer une spéculation théologique ou philosophique, mais pour donner aux fidèles le plus grand exemple d’abnégation et d’abaissement que l’on puisse concevoir.

D’un autre côté, à Colosses, les tendances judéophrygiennes avaient pénétré dans l’Église et menaçaient d’affaiblir le sens chrétien en rabaissant la dignité du Christ, seul médiateur et seul auteur du salut. A ces tendances, l’Apôtre op pose, dans l’é pître aux Colossiens, la véritable notion de la vie chrétienne, fondée sur une idée exacte des rapports du Christ avec Dieu, avec l’univers et avec l’Église. Les philosophes cherchaient à pénétrer le plus possible les mystères de la divinité invisible : saint Paul leur propose Jésus-Christ, personnage historique et visible, comme l’image qui représente et fait connaître le Dieu invisible. Ils spéculaient sur les « puissances », regardées comme des agents de la création. Saint Paul montre que ce rôle appartient à Jésus-Christ. Ils se figuraient des êtres célestes, des intermédiaires mettant l’homme en communication avec le Dieu invisible et inaccessible ; saint Paul réserve à Jésus-Christ seul ce rôle de « médiateur » entre Dieu et les hommes. Les Colossiens étaient portés à se soumettre aux « puissances célestes », à faire dépendre d’elles leur perfection religieuse et leur salut ; l’Apôtre montre que le Christ a tout racheté : il a arraché le monde à l’esclavage du péché et des puissances même. Il les domine et siège au plus haut des cieux. Sa mort et sa résurrection ont seules l’efficacité que l’on cherche ailleurs. En lui seul se trouve donc le vrai principe de sanctification et de vie chrétienne. Dans « le mystère du Christ sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ». Col., ii. 2-3.

Ainsi toute la pensée de l’Apôtre se concentre en quelque sorte sur la personne du Christ, sa nature et sa dignité. L’épître aux Philippiens et l’épître aux Colossiens, parcourant une nouvelle étape de la révélation, nous conduisent tout près de l’épître aux Hébreux et du prologue du quatrième évangile.

De son côté, l’épître aux Éphésiens offre des analogies avec l’épître aux Romains, en ce qu’elle donne, elle aussi, un exposé d’ensemble du plan divin ; mais cet exposé est conçu principalement du point de vue christologique. Arrivé au terme de son apostolat, l’Apôtre considère la tâche accomplie : l’empire est évangélisé ; les Églises sont établies et affermies ; Jésus-Christ, ressuscité et glorieux est leur principe de vie et leur lien, après avoir été leur sauveur. Il maintient l’unité de l’Église et en assure la durée. Eph., ni, 20-21. Auteur du salut, il est le chef de l’Église, comme fie toutes choses. Eph., i, 10.

1° Le Christ Jésus, « en la forme de Dieu », a pris lu forme de serviteur ». C’est pourquoi il est devenu « Seigneur » glorieux et tout-puissant, par sa mort et sa résurrection. Phil., ii, 5-11.

Il y avait, dans l’Église de Philippes, des rivalités de personnes. C’est pourquoi l’Apôtre exhorte les fidèles à l’oubli de soi-même : chacun doit regarder les autres comme au-dessus de soi et avoir égard à leurs intérêts non aux siens propres, ii, 1-4. Gomme modèle d’abnégation, il propose le Christ, qu’il montre successivement dans sa préexistence, dans sa vie mortelle et dans sa vie glorieuse, ii, 5-11. Ce texte a une portée ehristologique considérable et, de plus, il suppose que les fidèles connaissaient déjà cette doctrine ; sinon l’exhortation n’aurait eu aucune efficacité.

Le Christ Jésus « existait dans la forme de Dieu, èv |i.opçfj ©sou ÛTCocp/cov », ꝟ. 5, c’est-à-dire en nature ou en essence divine ; comme plus loin « en forme de serviteur » signifiera la nature humaine. C’est ainsi que l’ont entendu les Pères grecs et la plupart des

anciens commentateurs : Œôç yàp îov xai cpùasi. 6sôc, Théodoret, h. 1.

Ce passage de l’épître a été invoqué contre les ariens. Plusieurs commentateurs modernes entendent par « forme », la manière d’être ou d’exister, la condition. Même ainsi entendu, le texte est encore l’expression de la dignité et, par suite, de la nature divine.

Or, dans cet état, au moment de l’incarnation, le Christ « n’a pas regardé l’égalité à Dieu comme un avantage auquel on s’attache jalousement, où-/ àpTcay".ôv YJYYjcraxo t6 sîvai l’rja 0eà> », ꝟ. 6, « mais il s’est anéanti en prenant la forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes, reconnu comme homme par son extérieur ». Théodoret explique : tt)v 7tpôç t6v IlaTspa îaÔTTjTa ëx <ov » °ù P^ya toùto ÛTréXa6e.

Étant égal à Dieu, il n’a pas regardé sa divinih comme incompatible avec l’incarnation. Il s’est anéanti, èxfvwasv, non au sens métaphysique ou gnostique. mais par l’incarnation. C’est uniquement en s’incarnant que le Verbe fait chair a quitté, par sa vie terrestre, in natura assumpta, la condition de la vie divine. Tout cela, il l’a fait en faveur de l’homme et a donné ainsi le plus grand exemple d’abnégation. Il est donc le modèle des chrétiens et il leur enseigne les sentiments dont ils doivent être animés. « Devenant semblable aux hommes » marque la similitude de nature, cf. Rom., viii, 3. Cependant, Jésus n’était pas seulement homme, mais" il ^agissait exté rieurement comme un homme, ne s’en distinguant en rien par la nature ou la condition de « serviteur », in exleriore conversatione. quia esuriil ut homo, fatigatus fuit et hujusmodi. S. Thomas, h. I. Cf. Rom., i, 3 ; Heb.. iv, 14-15.

Le fait de l’incarnation est déjà une grande leçon : se faire serviteur alors qu’on est le maître. Mais, après avoir accepté volontairement cette condition de serviteur, obéir et se soumettre à la volonté du maître est un autre aspect de l’abnégation. Or, le « Christ s’est abaissé lui-même en se faisant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix », ꝟ. 8. La mort sur_la croix a donc été un acte suprême d’obéissance ; elle entrait dans le rôle du « serviteur ». Saint Paul ne dit rien ici sur la valeur expiât rice de cette mort, si ce n’est qu’elle fut acceptée par obéissance.

Or, cette obéissance poussée jusqu’à ses dernières limites a été pour le Christ le principe de son exaltation. En retour. Dieu l’a souverainement élevé, et lui’a donné « un nom au-dessus de tout nom », c’est-à-, dire auquel est attachée une autorité qui domine tous’les êtres, « supraterrestres, terrestres et infernaux ». Ce nom incommunicable est celui de Jésus, ꝟ. 10..’mais à titre de Seigneur, ꝟ. 11. C’est pourquoi toute langue doit confesser, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur. Sur les souffrances du Christ, principe de son exaltation, cf. Luc, xxiv, 26 ; Heb.. ii, 9 ; cf. Is., un, 11-12 ; Apoc, v, 12 ; Eph., i, 21.

G rtains exégètes ont cru que cette doctrine sur la préexistence du Christ était en opposition avec celle des épîtres antérieures, notamment avec le passage I Cor., xv, 47-49, où saint Paul enseignerait la préexistence du Christ à titre « d’homme céleste, àtvOpwTtoç ETroupâvLoç », homme idéal, antérieur à la mission terrestre de Jésus.

Mais il est clair qu’il y a là une équivoque sur le mot È7TOopâvi.o< ;. Ce terme ne signifie nullement le Christ préexistant, mais bien le Christ ressuscité, élevé au ciel avec son humanité glorifiée. Cf. I Cor., xv, 47-49 ; Eph., iv, 8 ; Phil., ii, 9 ; iii, 20-21. Il se rapprocherait plutôt, sans lui être strictement parallèle, du passage de Philon, De spec. legibus, i, 116.

D’autres, à la suite de Raur ont pensé que la mention du Christ préexistant supposait chez les lecteurs la connaissance des spéculations gnostiques. La Sophia.