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PAUL (SAINT). LA RÉSURRECTION


coup. En outre, et c’est la différence capitale, dans Baruch, la sagesse et la Loi sont le principe de la résurrection : les Juifs identifiaient parfois la Loi et la sagesse, cf. Eccli., xxiv, 22 sq. ; xix, 17-18, 21. Tandis que, pour saint Paul, c’est le Christ ressuscité et glorieux qui joue ce rôle.

Personne ne prétend que saint Paul dépende de Baruch, puisque celui-ci, dans sa forme définitive, ne date pas d’avant la fin du I er siècle. Mais n’aurait-il pas puisé à un fond commun d’idées enseignées par les rabbins au ie siècle ? Les différences que nous venons de signaler montrent que saint Paul ne doit point au milieu judaïque l’essentiel de sa doctrine sur la résurrection. Ces différences ont même fait croire que Baruch, si nettement antipaulinien, avait été écrit pour combattre la doctrine de l’Apôtre. Mais c’est sans doute excessif ; car Baruch ne révèle aucune intention polémique et sa doctrine n’est autre que celle du salut par la Loi. Tel était l’enseignement du judaïsme orthodoxe avant saint Paul, enseignement qui se trouva naturellement en opposition avec celui de l’Apôtre, le jour où celui-ci enseigna que le salut était « par le Christ » et « dans le Christ », et non « dans la Loi ».

Dans les deux sections eschatologiques, les plus importantes, I Thess., iv-v, et I Cor., xv, la résurrection et le jugement sont liés au second avènement du Christ : c’est à ce moment que doit avoir lieu le jugement et être accordée la récompense. Cette eschatologie a un caractère général ou collectif ; le sort de tous les hommes sera fixé en même temps, dans un avenir plus ou moins lointain.

Or, d’autres passages rendent une note un peu différente et ont paru à certains exégètes contenir une autre conception des fins dernières. La doctrine de l’Apôtre aurait évolué sur ce point, sous l’influence à la fois de la pensée grecque et du retard de la parousie. Le retour du Christ avait été d’abord attendu comme prochain ; mais, comme il n’arrivait pas, on le reporta à une époque indéterminée, après la mort de l’Apôtre. L’influence grecque se retrouverait dans la conception d’un bonheur pour l’âme seule, sans la résurrection. L’éloignement de la parousie aurait fait envisager à l’Apôtre un jugement particulier, personnel à chacun et même peut-être une résurrection individuelle, en dehors de la résurrection et du jugement collectifs, héritage de la vieille conception judaïque. Cf. E. Wilson, St. Paul and Paganism, 1927, p. 185 sq.

Les textes sur lesquels s’appuient ces tendances exégétiques méritent d’être examinés de près. C’est d’abord le passage I Cor., iv, 11-v, 10. L’Apôtre expose les tribulations et les espérances des prédicateurs chrétiens : « Vivants, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus-Christ, afin que la vie de Jésus-Christ soit aussi manifestée dans notre chair mortelle. Ainsi, la mort agit en nous, et la vie en vous. » II Cor., iv, 11-12.

Les apôtres voient souvent la mort de près ; ils risquent à chaque instant leur vie. Il s’opère en eux un travail de mort qui aboutira bientôt à la mort corporelle. Saint Paul n’est point assuré d’être au nombre de ceux que la parousie trouvera vivants ; mais, s’il est uni à Jésus-Christ dans sa mort, il le sera aussi dans sa vie. Il est à remarquer que tout ce passage n’est point un exposé systématique de doctrine ; il traduit des sentiments et des espérances personnelles appuyées sur la foi au Christ. Le genre d’exposé est donc assez diiïérent de celui de I Cor., xv, qui traite ex pro/esso de la résurrection.

Quelques versets plus loin, l’Apôtre poursuit : « Nous ne perdons pas courage ; au contraire, alors même que notre homme « extérieur » (l’homme avec son corps mortel et ses sens, l’homme psychique) « dépérit, notre homme intérieur », c’est-à-dire l’es prit, l’âme avec ses puissances, sous l’action de l’Esprit-Saint, « se renouvelle de jour en jour ». Ibid., ꝟ. 16. « Nos regards ne s’attachent point aux choses visibles, xà pXc7rou.sva, mais aux invisibles, zà 8k (i.r) pXe7r6[i.eva ; car les choses visibles ne sont que pour un temps, les invisibles sont éternelles. » Ibid., t. 17-18. — « Si cette tente, notre demeure terrestre, vient à être détruite, nous avons une maison qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’est pas faite de main d’homme, i’/eiponoiriTov, dans le ciel. » Ibid., v, 1 ; cf. Heb., ix, 11 : « le tabernacle non fait de main d’homme, et n’appartenant pas à celle création ». — « Aussi, nous gémissons dans cette tente (dans ce corps mortel), dans l’ardent désir que nous avons d’être revêtus de notre demeure céleste, si du moins nous sommes trouvés vêtus et non pas nus (c’est-à-dire encore dans cette vie corporelle et non séparés du corps). Tant que nous sommes dans cette tente, nous gémissons accablés, parce que nous voulons, non pas ôter notre vêtement (ne pas mourir) mais revêtir l’autre par-dessus afin que ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie (nous voulons être de ceux qui seront transformés, comme dans I Cor., xv, 52-53, et non de ceux qui seront morts). » II Cor., v, 1-5.

Dans cette situation, on est « loin du Seigneur », on marche « par la foi et non par la vue », cf. I Cor., xiii, 12 ; il vaut donc mieux « déloger, lxSr J |i.Y)aai, de ce corps et habiter près du Seigneur », ꝟ. 8. En toute hypothèse, il faut s’efforcer d’être agréable à Dieu en cette vie, car « soit que nous demeurions dans ce corps, soit que nous le quittions, nous tous, il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son corps (pendant sa vie mortelle), selon ses œuvres, soit bien, soit mal », t. 9-10.

Dans ce long développement, les aspirations à l’incorruptibilité, cf. Rom., viii, 19, ne sont plus dans le ton de I Cor., xv. L’homme intérieur, ou « l’esprit » qui se « renouvelle de jour en jour », par opposition au corps qui se désagrège ; les « choses invisibles », les seules auxquelles il faille s’attacher ; la « demeure éternelle », par opposition au corps, demeure terrestre ; le « vêtement céleste » que l’on doit revêtir, — notons que le mot « corps », en parlant de la vie future, n’est pas prononcé ; — « déloger du corps » pour habiter près du Seigneur ; tout cela ne nous transporte-t-il pas dans une atmosphère de pensée hellénistique, rappelant sur plus d’un point la manière de l’épître aux Hébreux et envisageant la vie future comme un état de l’âme auprès de Dieu, abstraction faite de la résurrection des corps ? La parousie n’est-elle pas rejetée au second plan, ou même ne disparaît-elle pas complètement ?

Dirons-nous que saint Paul, impressionné par la méthode alexandrine qui avait valu à Apollos tant de succès, jugea opportun, lui aussi, d’en faire usage ? Avons-nous là un changement de direction dans la doctrine eschatologique de l’Apôtre ? Nous ne le croyons pas. D’abord, ce serait méconnaître son caractère et son génie que d’en faire un esprit flottant au gré des circonstances. La véritable explication nous semble tout autre.

Dans le passage que nous venons d’analyser, saint Paul veut traiter non de la résurrection des corps comme telle — il l’a fait dans la I re épître — mais du salut individuel et personnel, comme objet d’espérance et motif de consolation. Il n’avait jamais eu la certitude de ne pas mourir avant la parousie. Pour ceux qui doivent mourir avant ce temps, il envisage l’état de l’âme séparée du corps : être avec le Christ, avoir la connaissance immédiate des choses invisibles, marcher « par la vue, Sià sl’Souç », non par la foi. Quant à ceux qui seront vivants, au moment de la