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PAUL (SAINT). LE ZÉLATEUR DE LA LOI


plaire à ses lecteurs. Un grec cultivé, possédant toutes les ressources de la rhétorique, aurait traité les sujets différemment. Voir le jugement d’Origène sur le style de saint Paul, dans Eusèbe, H.E..VI, xxv, P. G., t. xx, col. 584. Mais l’influence de la langue grecque a donné à la pensée de l’Apôtre une souplesse inconnue chez les Sémites. La marque la plus frappante de la pensée sémitique, à savoir le parallélisme synonymique ou répétition symétrique des mêmes mots ou de la même pensée, se rencontre rarement chez saint Paul, en dehors des citations. Il offre beaucoup plus de finesse et de nuances que n’en aurait apporté un Sémite de pensée. Sans doute, sa méthode rappelle assez souvent celle du rabbinisme ; mais elle est aussi très près du genre adopté de son temps chez les Grecs pour l’enseignement de la morale ou de la philosophie populaire. Cf. Bultmann, Der Stil der paulinischen Predigt und die kynisch-stoische Diatribe ; Lagrange, L’épître aux Romains, intr., p. xlii sq. En outre, l’Apôtre connaît les milieux païens et adopte parfois le vocabulaire des religions de « mystères ». Les trois citations de poètes qui se rencontrent dans ses écrits : Ménandre, I Cor., xv, 33 ; Aratus, Act., xvii, 28 ; Épiménide, Tit., i, 12, ne prouvent nullement qu’il ait beaucoup étudié les auteurs classiques. Ces passages sont comme des proverbes d’un usage courant, que chacun était à même de répéter sans avoir beaucoup de lettres. Mais, à la lecture des épîtres, on constate que la pensée grecque, dont la langue était le véhicule, a profondément marqué l’esprit de l’Apôtre.

A quelle époque dut se faire ce travail ? On se plaît à nous montrer Paul, dès l’âge le plus tendre, subissant l’influence et respirant l’atmosphère religieuse païenne des cultes officiels et des religions de mystères, dans sa ville natale. Cette hypothèse est en contradiction avec tous les textes qui nous renseignent sur son origine et son éducation. Ne confondons point sa première éducation avec le développement de sa pensée par la réflexion et le travail personnel, dans la maturité de l’âge, soit après qu’il eut terminé son éducation à Jérusalem, soit même après sa conversion. Lorsqu’il reviendra à Tarse, il pourra observer de près les milieux religieux, réfléchir sur le caractère des rites païens, entendre des maîtres réputés donnant l’enseignement de la morale et de la philosophie, comparer l’efficacité des diverses pratiques religieuses s’elïorçant de rapprocher l’homme de la divinité. Mais, lors de ces retours à son pays natal, il aura déjà subi de multiples influences : d’abord celle de sa formation rabbinique à Jérusalem, et de son contact avec les divers éléments religieux de la capitale juive, spécialement celle des « hellénistes » ; puis celle de ses révélations et de son séjour dans les milieux chrétiens, principalement à Antioche. Avant de rechercher l’apport de ces diverses causes, nous devons le suivre à Jérusalem où il va compléter son éducation.

2. A Jérusalem.— On n’est pas renseigné d’une façon précise sur l’époque où Paul quitta sa ville natale pour aller à Jérusalem suivre les leçons de rabbi Gamaliel. Act., xxii, 3 ; xxvi, 4 ; cf. v, 34 sq. Un passage du Pirkê Abboth, v, 27, nous a conservé un programme de vie humaine d’après les traditions rabbiniques : à cinq ans, le jeune Israélite devait lire l’Écriture, à dix ans étudier la Mischna, à treize ans observer les préceptes, à quinze ans étudier le Talmud, c’est-à-dire les commentaires de la Loi. Cf. Pirkê Abboth, v, 27, édit. Charles, dans The apocrypha and pseudepigrapha of the Old Testament, Oxford 1913, t. ii, p. 710. Ce programme nous permet de tirer une double conclusion : saint Paul dut faire sa première éducation par la lecture de la Bible et l’étude de la Loi ; à l’âge de treize ou quatorze ans, il avait terminé ce que nous

pourrions appeler son instruction élémentaire. A ce moment, ses parents l’envoyèrent à Jérusalem se préparer à la carrière de scribe.

Saint Paul, de son propre aveu, suivit à Jérusalem les leçons de Gamaliel le Pharisien. Act., xxii, 3 ; cf. xxvi, 4 ; v, 34 sq. Gamaliel était un des maîtres les plus en vogue à cette époque. Petit-fils du célèbre rabbi Hillel, il jouissait d’une grande autorité. Comme son grand-père, il était libéral et assez large d’idées ; cf. Act., v, 34-40. Il savait le grec et en recommandait même, disait-on, l’étude à ses élèves. Il n’avait donc point au même degré que certains de ses compatriotes la haine de l’étranger. A ses leçons se pressaient une foule d’étudiants venus de tous les points du monde juif. Saint Paul dut y nouer des relations ; il y vit peut-être pour la première fois Barnabe et Silas, et il se joignit au groupe ou parti des « hellénistes ». Les leçons se donnaient dans les salles du temple ou sous les portiques de la « cour des païens ». Saint Paul se familiarisa non seulement avec l’Ancien Testament, mais avec les règles de l’exégèse juive et les méthodes des rabbins. Il y apprit les idées et les traditions du judaïsme. Malgré les autres influences qui contribuèrent dans la suite au développement de sa pensée, il ne s’affranchit jamais entièrement des méthodes apprises dans sa jeunesse.

L’instruction de saint Paul était vraisemblablement terminée lorsque Jésus commença son ministère. L’Apôtre ne connut pas le Seigneur pendant sa vie terrestre ; ses ennemis le lui reprocheront assez dans la suite. Il leur opposera que, lui aussi, il a vu le Christ glorieux, condition indispensable pour être vraiment apôtre. Cf. I Cor., ix, 1 ; xv, 8 ; Act., i, 15-22 ; ix, 17 ; xviii, 9 ; xxii, 17 sq. ; xxvi, 15 ; cf. II Cor., xii, 1. Son éducation terminée, il quitta Jérusalem, probablement pour revenir à Tarse. Il n’avait pas plus d’une vingtaine d’années.

Le zélateur de la Loi.

 Malgré le libéralisme_d£

son maîtrx J _T^aul_devint un pharisien fanatique, un zélateur ardent de la Loi. Gal., i, 14. A ce moment, rien ne fait encore soupçonner en lui la lutte psychologique révélée par le chapitre vu de l’épître aux Romains. Dans ce passage, la Loi lui apparaît comme une source de fautes : elle lui impose des obligations sans lui donner la force de les remplir. Seule la « grâce du Christ » peut le délivrer de cet état.

Nous retrouvons Paul à Jérusalem peu après la mort de Jésus. Le rôle qu’il commence à jouer dans le parti pharisien suppose qu’il est établi dans la capitale juive. Quelques-uns des siens l’y avaient probablement accompagné. Cf. Act., xxiii, 16. Nous le> voyons associé au meurtre de saint Etienne le Diacre, Act., vii, 58-60, et dans la violente persécution qui éclata à cette occasion à Jérusalem : « Il ravageait l’Église ; pénétrant dans les maisons, il en arrachait les hommes et les femmes et les faisait jeter en prison. » Act., viii, 1-3. Plus tard, il avouera lui-même qu’il persécutait « l’Église de Dieu », Gal., i, 13-14 ;, I Cor., xv, 9 ; Act., xxvi, 10-11. Quelque temps après, il reçut des autorités religieuses la mission d’aller à Damas arrêter les chrétiens pour les amener à Jérusalem. Act., ix, 1, 5. En accomplissant cette mission, il eut la vision qui détermina sa conversion, vers l’an 35. Il pouvait avoir à ce moment une trentaine d’années, car son activité, son influence et la mission qu’on lui confie supposent déjà une certaine maturité. Cf. Act., vii, 58.

Entre la fin de son éducation et son retour à Jérusalem, il s’écoula donc une dizaine d’années. A quoi furent-elles employées ? Il n’est pas téméraire de supposer que le jeune pharisien compléta son instruction, à Tarse, soit en fréquentant quelque école, soit surtout par l’observation, le travail personnel et la ré-