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2313 PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA). DÉCLARATIONS DES PAPES 2314

de citoyen qui, plus que le fidèle, se sente plus libre devant les hommes et plus obligé par Dieu d’être parfait.

II. DÉCLARATIONS DES SOUVERAINS PONTIFES.

L’espace étant mesuré, seules seront reproduites ici des affirmations des quatre derniers papes. Elles peuvent être classées sous quatre titres identiques à ceux sous lesquels a été présenté l’enseignement de saint Thomas.

L’homme doit à sa patrie la piété.

1. Dans une

phrase où il parle évidemment des supérieurs légitimes, Léon XIII écrit : « Si les sujets sont une fois bien convaincus que l’autorité des souverains vient de Dieu, ils se sentiront obligés en justice à accueillir docilement les ordres des princes et à leur accorder obéissance et fidélité, par un sentiment semblable à la piété qu’ont les enfants pour leurs parents. » Encycl. Immortale Dei, 1 er novembre 1885. Aussi, faisant sienne une atlirmation traditionnelle qu’il déclare évidente, Léon XIII écrit : « Le sort de l’État dépend du culte qu’on rend à Dieu, et il y a entre l’un et l’autre de nombreux liens de parenté et d’étroite amitié. » Op. cit. Le même pape écrit encore : « Parce que l’Église fait un très grave précepte de pratiquer la piété qui est la justice envers Dieu, par là-même, elle appelle à la justice envers les princes. » Encycl. Sapientiæ christianse, 10 janvier 1890. Le souverain pontife peut donc conclure : « L’Église est la meilleure institutrice des mœurs : sa discipline salutaire donne des citoyens probes, honnêtes, pieux envers la patrie… » Lettre Pastoralis vigilantiæ, du 25 juin 1891.

Semblablement la doctrine de saint Thomas sur la piété envers la patrie a été louée par Pie XL Les évêques belges l’avaient exposée dans une Lettre collective du 27 juin 1930, faisant leur, non seulement la thèse, mais les paroles mêmes de la Somme théologique. Or, le souverain pontife a manifesté, par son secrétaire d’État, son contentement « pour l’opportunité de cette publication » dont il félicita l’épiscopat belge : en l’accomplissant, il a « bien mérité de la religion et de la patrie », 12 août 1930.

Déjà, un peu auparavant (1928), l’évêque de Strasbourg, ayant publié une Lettre pastorale sur la charité /raternelle, où cette même doctrine de saint Thomas sur la piété envers la patrie était expressément rappelée, avait reçu une approbation pontificale destinée à la publicité : une analyse et des extraits de ce document avaient même été, par ordre de la Secrétairerie d’État, reproduits dans VOsservatore romano. Il est à noter enfin que le Catéchisme rédigé par le cardinal Gasparri, s’appuyant sur la phrase de Léon XI11 citée plus haut, fait cette réponse à la question : Quels sont les devoirs des sujets à l’égard de leurs supérieurs légitimes ? « A leurs supérieurs légitimes, soit ecclésiastiques, soit civils, les sujets doivent respect et obéissance, avec une sorte de piété semblable à celle qui lie les enfants à leurs parents. » Catechismus catholicus, 3e éd., Rome, 1930, p„ 156.

2. Inutile de l’ajouter : l’emploi du mot piété n’entraîne nullement une exagération des droits de l’État, exagération que les papes n’ont cessé de combattre et ont, plus que personne, condamnée. Avec une extrême énergie, ils ont repoussé toute tentative d’attribuer à la patrie ou à l’État des attributs de Dieu. Déjà Pie X s’élève contre les théoriciens qui reconnaissent une autorité humaine « aussi absolue qu’illégitime, à savoir la suprématie de l’État, arbitre de la religion, oracle suprême de la doctrine et du droit ». Discours aux pèlerins français, 18 novembre 1909, Acta apostolicee Sedis, t. i, p. 790. Pie XI, à son tour, condamne comme « absolument opposée à la doctrine catholique… la notion de la patrie ou de l’État d’après laquelle ils seraient à eux-mêmes leur

fin dernière, le citoyen n’étant ordonné qu’à la cité, tout devant être rapporté à cette dernière, tout absorbé par elle ». Alloc. consist. du 20 décembre 1926, Acta ap. Sed., t. xviii, p. 523. Voir déjà même condamnation dans l’allocution consistoriale du 14 décembre 1925, ibid., t. xvii, p. 642.

De même était déclarée « inconciliable avec la doctrine catholique et avec le droit naturel de la famille » une conception qui fait « appartenir à l’État les jeunes générations entièrement et sans exception, depuis les premières années jusqu’à l’âge adulte ». Encyclique Non abbiamo bisogno, du 20 juin 1931, ibid., t. xxiii, p. 305.

Pour les papes comme pour saint Thomas, le culte envers la patrie est uniquement motivé par le fait qu’elle représente Dieu, dont elle est l’instrument, un des organes pour nous transmettre la vie sociale et pour la gouverner par un pouvoir venu de lui.

2° La piété envers la patrie nous ordonne de la respecter. — Léon XIII a souvent rappelé qu’à l’autorité légitime était due par les sujets une religieuse déférence : or, s’il est une puissance civile dont les droits ne sont pas contestés par l’Église, c’est celle de la patrie sur ses propres membres. A elle donc s’applique tout ce qu’affirme le pape sur le droit au respect que possèdent les supérieurs, en qualité de représentants de Dieu.

Puisque de Lui dérive l’autorité de la patrie, il lui communique une « grandeur véritable et solide » ; « un surcroît considérable de dignité », « plus qu’humaine » : un caractère « auguste, immuable » et « sacré ». Léon XIII, encycl. Diuturnum, 29 juin 1881 ; Humanum genus, 20 avril 1884 ; Immortale Dei. 1 er novembre 1885 ; Au clergé de France, 16 février 1892 ; Les devoirs des catholiques, 19 mars 1902.

Dans un pouvoir, en effet, qui, comme celui de la patrie, vient du pouvoir tout-puissant lui-même, force est bien de le reconnaître « comme une image de la divine majesté ». Léon XIII, encycl. Sapientiæ christianse, son « apparition » aux yeux des peuples. C’est ce que soulignait la cérémonie du sacre instituée par l’Église. Encycl. Diuturnum.

Aussi impose-t-elle à l’égard des supérieurs légitimes — et ceux de la patrie le sont — « non seulement l’obéissance, mais le respect ». Encyclique Libertas, 4 juin 1888. C’est un « devoir », Lettre sur les devoirs des catholiques ; « un grand devoir ». Encycl. Au clergé de France. Refuser l’honneur aux supérieurs légitimes, c’est le refuser à Dieu. Il n’est pas plus permis de mépriser le pouvoir que de résister à la volonté du Très-Haut. Encycl. Diuturnum ; Immortale Dei. Aussi les chrétiens « entourent-ils d’un respect religieux la notion du pouvoir, même quand il réside en un mandataire indigne ». Encycl. Sapientiæ.

L’Église s’est fait gloire d’enseigner cette doctrine, de la rappeler quand il le faut et de combattre les erreurs contraires. Renouvelant l’acte accompli maintes fois par ses prédécesseurs, Pie X censure la « licence effrénée d’opinions et de mœurs qui ne respecte aucune autorité ni divine ni humaine. L’Église la condamne. » Alloc. consist., 9 novembre 1903.

3° La piété envers la patrie fait un devoir au citoyen de lui accorder un amour de prédilection. — 1. Les textes sont nombreux, et d’une clarté qui ne laisse rien à désirer. Léon XIII présente cet amour non seulement comme licite, mais comme digne d’éloge et obligatoire de par la loi de nature. Déjà, dans l’encyclique Libertas, il avait prononcé le nom de cette vertu. Dans un autre document où il étudie les principaux devoirs civiques du chrétien, on relève ces mots : « …La loi naturelle nous ordonne d’aimer d’un amour de prédilection et de dévouement le pays où nous sommes nés et où nous avons été élevés, à tel point que le bon