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PATRIARCATS 15T SAINTS-SYNODES

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l’on devine ; on le circonvint et, après de multiples tergiversations, il donnait son assentiment à l’érection du patriarcat. Le 23 janvier 1589, on procédait à l’élection ; Job était élu. Le 26, Jérémie le consacrait, et bien que Job fût déjà évêque, lui renouvelait la consécration épiscopale ; cf. à ce sujet Tondini, Le pape de Rome et les papes de l’Église orthodoxe, Paris, 1876, p. 225, note 1 et les références. Au mois de mai suivant, l’on rédigea l’acte officiel de fondation. L’on y répétait le refrain sur la chute de la première et de la deuxième Home ; l’on avait d’ailleurs exprimé plusieurs fois la théorie de Philothée dans la discussion avec le patriarche de Constantinople. Et vraiment la création du patriarchat n’était que le dernier acte du programme tracé par le moine de Saint-Éléazar. Dans le document officiel que durent signer Jérémie et les évêques grecs qui l’accompagnaient, on donnait à Moscou le troisième rang, alors qn’en fait la théorie exprimée dans le document, le concept même de Moscou troisième’Rome, aurait exigé, pour la ville des tsars, le premier rang parmi les patriarcats. Mais l’on n’espérait sans doute point faire reconnaître pareille prétention par les patriarches orthodoxes. En réalité, ceux-ci ne voulurent même pas concéder à Moscou le troisième rang, et, dans deux conciles tenus en 1590et 1593 à Constantinople, pour approuver l’œuvre de Jérémie, l’on se borna à mettre le jeune patriarcat au cinquième et dernier rang, après Jérusalem, d’où les colères de Moscou ; le concept de la troisième Rome ne se réalisait point pleinement. Cf. Schæder, p. 90, 93 ; Spakov, Institution du patriarcat en Russie (en russe), Odessa, 1912 ; Macaire, Hist. de l’Égl. russe, t. x. On trouvera dans Schæder, loc. cit., de plus amples indications bibliographiques. Nous ne pouvons mieux terminer ce paragraphe qu’en citant ces paroles deLeroy-Beaulicu : « La création du patriarcat, comme, un siècle plus tôt, le mariage d’Ivan III avec l’héritière des empereurs d’Orient, cachait-elle de lointaines visées ? Les Russes entrevoyaient-ils la possibilité de succéder aux Grecs dans leur ancienne suprématie religieuse et politique ? On ne saurait l’affirmer ; les peuples, les princes eux-mêmes en pareil cas, obéissent d’ordinaire à un vague instinct. Toujours est-il qu’en faisant conférer à son Église, si longtemps vassale de Byzance, la suprême dignité ecclésiastique, Godounov continuait l’œuvre des Ivans s’appropriant, avec le titre de tsar, l’aigle impériale. C’était le second acte du transfert de l’héritage gréco-romain de Constantinople à Moscou. Moscou était la troisième Rome. » L’empire des tsars et la Russie, t. iii, Paris, 1889, p. 174-175.

2. La conception patriarcale chez les orthodoxes modernes. Autorité du saint-synode. — Parlant de la substitution du saint-synode au patriarcat moscovite, substitution opérée par Pierre le Grand en 1721, Leroy-Beaulieu écrit ces lignes : « La substitution, chez les Églises nationales, d’une autorité collective à une autorité unique était dans les destinées sinon dans l’esprit du christianisme oriental… La forme synodale peut être regardée comme la forme définitive du gouvernement des Églises de rite grec. Le respect de leur antiquité pourra préserver les patriarcats orientaux du sort de celui de Moscou ; ils verront leur autorité effective se réduire à une sorte de présidence du conseil d’administration de l’Église… » L’empire des tsars et la Russie, t. iii, Paris, 1889, p. 190-191. Ces réflexions du célèbre sociologue appellent quelques réserves. Elles semblent supposer que l’institution patriarcale orthodoxe, d’absolument monarchique qu’elle aurait été dans le principe, serait devenue dans la suite plutôt constitutionnelle, si l’on peut s’exprimer ainsi. Et Leroy-Beaulieu présente cette évolution comme le résultat indirect de l’établissement du saint-synode russe. Est-ce absolument exact ?

Que la conception actuelle du patriarcat chez les orthodoxes soit un peu différente de celle des époques plus reculées, nul ne peut en disconvenir. Canonistes et théologiens orthodoxes modernes s’accordent généralement pour affirmer que l’autorité suprême de toute Église autocéphale réside dans le synode. Ils font ce raisonnement : les évêques sont égaux en droit ; donc « une réunion d’évêques peut seule avoir autorité sur un évêque. En second lieu, si chaque Église particulière n’est soumise qu’à un évêque, plusieurs Églises particulières ne peuvent suivre d’autres dispositions que celles de tous leurs évêques réunis. » Macaire, Théologie dogmatique orthodoxe, traduction française, t. ii, Paris, 1860, p. 268-269. Et un théologien plus récent, Chrestos Androutsos, affirme que « de toute Église autocéphale, la base administrative est le système synodal, les patriarches ne se distinguant des métropolitains et ceux-ci des évêques que par la préséance et quelques privilèges ». ÀoYEi-afod) -njç ôpOo86£ou àvocToXixîjç’ExxX^ataç, Athènes, 1907, p. 285. Même doctrine chez les canonistes. Milasch, Das Kirchenrecht der morgent àndischen Kirche, 2° édit., Mostar, 1905, p. 320-329. Cette doctrine est surtout développée par les théologiens russes modernes. On trouvera sur cette conception, quelques pages dans Jugie, op. cit., t. iv, p. 249-255. Le patriarche n’apparaît plus comme le véritable chef de son Église ; le synode jouit effectivement de l’autorité, le patriarche étant réduit au rôle d’un primus inter pares, ce qui vaut tant pour les patriarcats d’origine ancienne que pour ceux formés récemment aux dépens de Constantinople. Cf. lvanovitch, Statuts du patriarcal serbe, dans Échos d’Orient, 1922, p. 186-203. Il faut noter que la théorie actuelle du pouvoir patriarcal n’est qu’une application et une conséquence d’une théorie plus générale qui conçoit le gouvernement ecclésiastique à tous les degrés comme essentiellement synodal. Et canonistes et théologiens s’efforcent de prouver qu’il en était ainsi dès la plus haute antiquité chrétienne. Cf. Milasch, op. cit., p. 231-235. Il semble que nous sommes loin de la conception pentarchique de Balsamon, avec ses patriarches de droit divin, possédant chacun la plénitude du pouvoir dans son Église particulière. Il est certain que Balsamon et les auteurs byzantins du Moyen Age mettaient bien plus en relief le rôle personnel des patriarches que ne le font les orthodoxes modernes, mais cette différence de conception est-elle suffisante pour que l’on puisse affirmer que dans le principe l’autorité patriarcale s’exerçait à peu près comme s’exerce l’autorité dans une monarchie abso-’lue ? Il ne semble pas ; car, même dans les tout premiers débuts du patriarcat, à Constantinople principalement, il y avait à côté du patriarche un synode qui partageait avec lui l’autorité et aucune décision importante n’était prise par le patriarche seul. Qu’on parcoure le Ve volume de la collection canonique de Rallis et Potlis, SûvTay(Ji.a tûv ôeiôiv xal tepwv xav6vcov, Athènes, 1856, on y trouvera de nombreuses ordonnances émanées du patriarcat de Byzance durant tout le Moyen Age. Or, ces décisions sont synodales, signées par le patriarche sans doute, mais aussi par plusieurs évêques, douze, quinze ou davantage. Donc, dès le principe, l’autorité personnelle du patriarche était déjà tempérée, à Constantinople surtout, par le synode. A Byzance ce synode fut permanent dès l’origine. Dans les autres patriarcats, il ne le devint que plus tard. Milasch, op. cit., p. 321. Mais là, même où il n’y avait que des conciles périodiques, tenus une ou deux fois chaque année, l’autorité personnelle du patriarche était limitée par ce pouvoir voisin qui contrôlait son action et sans lequel le patriarche ne pouvait prendre de décisions graves ; donc on ne peut pas dire que l’autorité personnelle des patriarches se soit exercée d’une