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PATRIARCATS ORTHODOXES


dans ses lettres au prince de Pskov, Michel Munekhim, à Basile III et à Basile IV (1553-1584), un moine du couvent de Saint-Éléazar, Philothée ; cf. Jugie, Theol. dogmat., t. i, p. 556 ; Malinin, Le moine Philothée du couvent d’Éléazare et ses lettres, Kiev, 1901 ; Schæder, op. cit., p. 53, 59.

D’autres causes de désunion existaient entre Moscou et Byzance. Dans cette dernière Église on ne chantait que deux alléluias à la messe, tandis que beaucoup de Russes en ajoutaient un troisième et s’en allaient répétant que les Grecs, par leur pratique, avaient fait défection à l’orthodoxie. Sur cette controverse, cf. Jugie, op. cit., t. i, p. 554-555.

Bref, l’Église russe se détachait de plus en plus de Constantinople. En fait, depuis le concile de Florence, elle ne demanda plus ses métropolites au patriarche œcuménique. Pouvait-on décemment se soumettre à la deuxième Rome qui venait de faire défection comme la première ? Mais la vue de cette défection éveillait une autre idée. « La pensée moscovite se reportait vers une cité inébranlablement fidèle à l’orthodoxie. » Pierling, t. i, p. 104. Pourquoi Moscou ne serait-elle pas appelée à remplacer la deuxième Rome tombée ? L’idée était tentante. « Déjà un Russe, enrôlé dans l’armée ottomane pendant le siège de Constantinople, avait eu des intuitions patriotiques de triomphe. Les Russes, écrivait Iskander, succéderont aux Grecs et vengeront la vraie foi. » Pierling, p. 105. Voilà la théorie dans son germe : Moscou est appelée à recueillir l’héritage de Byzance. Mais que comporte cet héritage ? C’est ce qu’il nous est surtout important de connaître. La dignité de Byzance est à la fois religieuse et civile, comme l’était celle de la première Rome. En effet, Rome c’était l’empire romain, empire d’abord païen, il est vrai, mais qui n’en constituait pas moins la suprême autorité. Puis le catholicisme a fixé son centre dans la capitale de l’empire romain ; elle devenait par le fait même la tête du monde chrétien ; de ce moment les deux suprématies civile et religieuse s’unissaient pour toujours. Et ne croyons pas que cette union ne consistait que dans la coexistence des deux pouvoirs dans une même cité ; non, il y avait plus. Avec Constantin, l’empire était devenu chrétien ; mais le cachet sacré qui marquait l’empereur dans la Rome païenne et qui en faisait le pontife suprême n’était pas disparu pour autant. L’empereur, même dans le monde chrétien, conservait quelque chose de divin, il se considérait comme le protecteur-né de l’Église, ayant reçu de Dieu une mission et une consécration spéciales à cet effet, il était l’évêque du dehors et cela allait parfois loin. On pourra lire à ce sujet Gasquet, De l’autorité impériale en matière religieuse à Byzance, Paris, 1879, p. 183, bien qu’il y ait certaines réserves à faire sur quelques affirmations de l’auteur.

Bientôt l’empire avait émigré de Rome à Constantinople. Mais, en vertu de l’union intime qui, dans la première Rome, unissait les deux pouvoirs, il fallait que l’autorité religieuse suivît, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’émigration du pouvoir civil ; il fallait que la dignité religieuse de Constantinople correspondît à sa dignité civile. La deuxième Rome devait, pour mériter son titre, égaler la première sous les deux points de vue. C’est l’idée maîtresse qui a présidé à l’agrandissement des pouvoirs de l’évêque de Byzance ; elle est exprimée dans le 3e canon du IIe concile œcuménique et dans le 28e du IVe concile. Cf. Schæder, op. cit., p. 9-15 ; Jugie, t. i, p. 48, 77. Elle se réalisa dans l’accession de l’évêque de Constantinople à la dignité patriarcale.

Et maintenant l’empire de Byzance est détruit ; la religion n’a plus son protecteur naturel. Mais il reste un pays indemne des erreurs latines et libre du joug ottoman ; c’est la Russie. Son prince est donc le seul qui soit à même de remplir le rôle dévolu aux empe reurs chrétiens, à être l’évêque du dehors ; mais, s’il parvient à cette dignité, il faut nécessairement que le métropolite de sa capitale prenne rang parmi les patriarches, qu’il soit, autant qu’il sera possible, à la tête de l’Église orthodoxe tout entière. Voilà brièvement condensée la théorie de la troisième Rome. On en pourra lire l’expression chez les disciples de Paphnuce de Borosk : Vassian de Rostov, Joseph de Volokolamsk, etc. ; cf. Schæder, p. 42-47. On la retrouvera dans une « chronographie russe de 1512°. Schæder, op. cit., p. 47-52, et surtout chez le théoricien classique de l’idée de Moscou, troisième Rome, le moine Philothée, du couvent de Saint-Éléazar.

Déjà auparavant, un moine d’origine serbe, Pakhome († 1485), avait exprimé les mêmes idées. Voici comment Jugie résume sa théorie : Juxla Pakhomium christianorum Ecclesia stare non potest sine tsaro seu imperatore. Apud Russos est Ecclesia, débet esse et tsarus. Theol. dogm., t. i, p. 555-556 ; cf. Macaire, Histoire de l’Église russe, t. vii, p. 144, 170. Le même concept se retrouve dans les légendes russes de cette époque dont le fond revient toujours à ceci : Moscou doit prendre dans l’Église orthodoxe la place de Constantinople. Pierling, t. i, p. 227-228 ; Schæder, p. 63, 84.

De la théorie passons maintenant à la réalisation ; en fait, Moscou obtiendra la dignité impériale avant le titre patriarcal ; ne perdons pas de vue toutefois qu’en droit, les deux choses étaient connexes et s’appellaient l’une l’autre.

Un des pas les plus importants vers l’obtention de la dignité impériale fut le mariage d’Ivan III avec Zoé, l’héritière des Paléologues. Voir Paul II, col. 8 ; Pierling, t. i, p. 108, 253 ; Schæder, p. 37 sq. Zoé arrivait à Moscou le 12 novembre 1472, événement d’importance, car la princesse était considérée comme l’héritière de l’empire byzantin. Sur cette question historico-juridique, cf. Pierling, 1. 1, p. 229-236, et dès lors l’héritage passait à Ivan III et le kniaz par ce mariage persuadait tout son peuple encore plus profondément que Moscou succédait à Constantinople. Pouvait-on en douter, alors que, en 1473, de sa propre initiative, la République de Venise reconnaissait les droits d’Ivan 1 1 1 sur l’empire de Byzance ? Nous ne pouvons suivre daus tous ses détails cette ascension de Moscou vers la dignité impériale. Cf. Schæder, op. cit., p. 37, 43, et p. 59 sq. Le but fut atteint par Ivan IV. Le 16 janvier 1547, à l’âge de 17 ans, il se faisait sacrer par le métropolite Macaire tsar ou empereur de Russie : l’empire chrétien de Constantinople se survivait dans celui de Moscou. Pierling, t. i, p. 318, 320. Sur la persuasion qu’avait Ivan IV de continuer l’empire byzantin, voir Schæder, op. cit., p. 62 sq. Ivan IV demanda la reconnaissance de son titre au patriarche de Constantinople, qui, malgré l’invasion turque, n’en restait pas moins le premier personnage de l’Église orthodoxe. Pour la confirmation envoyée par le patriarche Joasaph en 1561, cf. Regel, Analecta Byzanlino-Russica, Pétersbourg, 1891, p. LI, 75.

Le premier but était atteint ; restait maintenant à compléter l’œuvre en donnant à Moscou la dignité patriarcale qu’appelait nécessairement l’autorité impériale confiée au grand kniaz. L’on s’y employa de son mieux ; il fallait obtenir le consentement des autres patriarches, qui, malgré leur déchéance, n’en constituaient pas moins le pouvoir établi. Une première tentative faite en 1556, par Boris Godounov, ministre du tsar Feodor Ivanovitch, pour s’assurer de l’appui de Joachim, patriarche d’Antioche, alors en tournée de quête en Russie, ne réussit point. En 1588, une occasion plus favorable se présenta. Jérémie patriarche de Constantinople, alors dans une situation pécuniaire difficile, vint à Moscou pour les motifs que