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PATRIARCATS. LA PENTARCH1E


d’autrefois ; l’ancienne splendeur des patriarcats était bien diminuée. Et cependant c’est à l’époque même où les patriarcats passaient partant de vicissitudes, quese formulait la théorie de la Pentarchie, théorie exaltant l’institution patriarcale, au point de la fausser.

Le patriarcat et l’ecclésiologie.

Une fois les

patriarcats définitivement constitués, l’on en est venu tout naturellement en Orient à penser que le pouvoir suprême dans l’Église était aux mains des cinq patriarches. « Cette idée s’est perpétuée dans le droit byzantin ; à Rome, on l’acceptait dans le langage officiel, mais sans enthousiasme. C’était une importation nouvelle. Dans les documents romains il n’est pas question des cinq sièges avant le pontificat de Vigile (537-555)… Saint Grégoire le Grand notifia son avènement aux quatre patriarches de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem. Cela ne l’empêchait pas de cultiver dans sa correspondance privée, la vieille idée des trois patriarches : Rome, Alexandrie, Antioche, assis sur la même chaire de saint Pierre. » Duchesne, Églises séparées, p. 107.

L’idée de Pentarchie est en somme d’origine orientale et, de même que le pape s’était vii, sans un enthousiasme exagéré, attribuer par l’Orient le titre de patriarche dont il n’avait que faire, 13 atiffol, Le Siège de Rome et l’Orient, dans Revue apologétique, m irs 1928, p. 295, de même aussi n’accepta-t-on à Rome qu’avec une certaine réserve, cette idée que le gouvernement de l’Église appartenait aux cinq patriarches, et on lui opposa volontiers une autre conception, cele de la t triarchie » qui nous arrêtera elle aussi quelques instants.

1. La pentarchie.

L’idée fondamentale de cette théorie consiste à attribuer — au moins d’une certaine manière — l’autorité suprême dans l’Église aux cinq patriarches. J’ai dit : d’une certaine manière, car s’il est une conception hétérodoxe de la pentarchie, il en existe aussi une conception catholique. Scriptores etiam catholici in Oriente opinabantur inslitutionem pnlriarchalem esse Ecclesiæ necessariam jure tamen non diuino sed ecclesiastico ex historica evolulione : censebanl ergo ordinarium modum ad dijudicandas res Ecclesiæ uniuersalis esse convnunem omnium patriarcharum conoentionem ita tamen ut non negetur uni ex iis, scilicel Romano episcopo, veram jurisdictionem supra alios, verum primatum compctere. Spâcil, Concept us et doctrina de Ecclesia juxla theologiam Orienlis separali, dans Orientalia christiana, t. ii, 1924, p. 07 ; cf. aussi Hergenrôther, Photius, t. ii, p. 132-149 ; Grivec, Doctrina byzantina de primatu et de unitate Ecclesiæ, Ljubljana, 1921, p. 29-33. Quant à la conception hétérodoxe de la pentarchie, elle consistera à reconnaître aux cinq patriarches une origine de droit divin et la complète égalité de pouvoir. II n’est pas toujours facile de distinguer à quelle conception s’est attaché tel ou tel auteur ; souvent les expressions employées sonnent assez mal, mais elles peuvent cependint, d ins bien des cas, recevoir une interprétation catholique.

Cette théorie, avons-nous dit, s’est fait jour dès le règne de Justinien ; l’on en retrouve des indices d ins la législation de cet empereur qui adresse par exemple ses ordonnances aux cinq patriarches, afin que ceux-ci les communiquent à leurs subordonnés, qui voudrait réunir un concile où chaque patriarcat aurait un nombre égal de représentants. Voir sur cette conception ecclésiologique, l’art. Justinien, t. viii, col. 2285 sq.

Plus tard, dans les controverses monothélites, au concile de 080, dans les discussions iconoclastes, cette conception de la pentarchie a fait plus ou moins sentir son influence ; elle subsistera jusqu’au xvh » siècle. Pierre le Grand, en abolissant le patriarcat moscovite pour lequel il ne se montre pas tendre dans son Règlement ecclésiastique, cf. Tondini, Règlement ecclésiastique

de Pierre le Grand, Paris, 1874, p. 17-32, porta un coup funesle au prestige patriarcal et à l’idée de pentarchie, qui, de nos jours, n’est plus mentionnée que pour mémoire par les théologiens et canonistes orthodoxes. Cf. Spâcil, op. cit., p. 08 ; Grivec, op. cit., p. 01.

Nous relèverons quelques-unes des formes sous lesquelles est présentée cette théorie, puis nous l’envisagerons d’un peu plus près chez Théodore le Studile et chez Balsamon : l’un admet la pentarchie dans un sens catholique qui ne nuit pas à la primauté, l’autre met en plein relief le concept hétérodoxe.

Dans le Nouveau Testament, l’Église est parfois assimilée au corps humain ; des écrivains orientaux précisent la comparaison : les cinq patriarches constituent les cinq sens de ce corps qu’est l’Église. Au xi c siècle, Pierre, patriarche d’Antioche, répondant à Dominique, évêque de Grado-Aquilée, qui revendiquait le titre de patriarche, lui disait : Porro attende ad id quod dico : Hominis corpus ab uno regitur capile, in eo autem membra sunt mulla quie omnia a solis quinque gubernantur sensibus ; sunt uero sensus : visus, odoratus, auditus, guslus et tactus. Itcrum et corpus Christi, /idelium inquam Ecclesia, in diversis gentibus vclul membris coaptatum atque lanquam a quinque sensibus a diclis magnis sedibus administra/uni per unum regitur caput ipsum Christum. P. G., t. cxx, col. 758. On retrouve la même comparaison chez un auteur du XIIe sièc.e, Nil Doxopatrès ; cf. Notitia thronorum patriarchalium, P. G., t. cxxxii, col. 1098, et Allatius, De Ecclesiæ occidentalis atque orientulis perpétua consensione, I. I, c. xvi, n. 1 ; col. 239-240. (D ins ce chapitre xvi et sq., Allatius cite beaucoup de textes qui se rapportent à la pentarchie ; m iis il n’y a point de synthèse sur la question. ) Pour en revenir à Nil Doxopatrès, voici ce qu’il pense de l’organisation patriarcale : Quando ilaque corpus Ecclesiie pcrjectum esse oportebal, cujus unum caput Christus, singula vero corpora quinque sensibus gubernantur et non quatuor, proplerea ita disposait Spiritus Sanclus, ut quinque essent patriarchatus qui unum corpus ef[ïciunt et unam Ecclesiam, sensuum vicem præstantibus quinque patriarchatibus… Cum ilaque necesse essel ob causam jam dictam quinque esse patriarchatus, proplerea Spiritus Sanclus muvil, sanctam et œcumenicarn secundam synodum Conslantinopolilanum contra Macedonium… Allatius fait remarquer l’étrangeté de l’affirmation de Nil : le corps du Christ, l’Église, aurait été imparfait, tant qu’il n’aurait pas eu ses cinq patriarches : Qm’rf est nugari, si id non est ? per tôt annos habuisse Ecclesiam imper/eclam quia patriarcha Constanlinopolilanus non eral et modo, quia Romanus per ipsos non est (liect id ordini ecclesiastico non nocuisse usxeoeret Ealsamon). Allatius, op. cit., col. 240. Nil Doxopatrès donne à sa comparaison un sens hétérodoxe ; mus tous ne l’imitent point. Anastase le Bibliothécaire développe la même image et ajoute : Interquas videlicet Sedes quia romana prwcellet non immerilo visui comparatur, qui pro/ecto cunctis sensibus prxeminel, acutior Mis existens et communionem sicut nullis eorum omnibus habens. Præf. ad concilium VIII, M insi, t. xvi, col. 7. D’une autre manière, m iis aussi clairement, Georges de Trébizonde sauvegarde la primauté de Rome : c’est le tact qui pour lui est le sens principal, car « avec le tact seul, les autres sens étant perdus, l’animal peut vivre ». Georges de Trébizonde, Ad Crelenses, de una sancta Ecclesia catholica, dans Allatius, Grœcia orlhodoxa, t. i, p. 500, 507. Et, puisque c’est le tact le sens le plus important, Rome en jouera le rôle, les autres sièges patriarcaux se partageant le travail des autres sens. La comparaison, par conséquent, n’est pas nécessairement hétérodoxe ; elle peut cependant facilement le devenir et, pour en revenir à Pierre d’Antioche, nous le voyons déduire de cette comparaison qu’il ne peut y avoir plus de cinq