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PASSIONS. RESPONSABILITE


vient du côté de l’esprit et du côté de la volonté.

Du côté de l’esprit, tout d’abord. Le discernement de la conscience, chez l’intempérant, n’est pas le fait d’une prudence vertueuse, mais ce discernement est au service du péché : pas de rectification vis-à-vis de l’obligation morale, du moins en ce qui concerne les jouissances de la sensualité ; sur ce point, les convictions morales n’existent plus, pour ainsi dire. Se tromper sur les obligations et les finalités vertueuses, c’est comme si l’on se trompait sur les principes fondamentaux d’un.e science : toute celle-ci en est nécessairement faussée. Pour guérir une conscience, ainsi fixée dans de mauvaises habitudes, il faut un redressement radical, une rééducation sur les fins mêmes de la moralité, par l’instruction et la réflexion sur leurs obligations, par tous les moyens susceptibles de raviver les convictions morales défaillantes et de corriger les aberrations de la conscience.

Du côté de la volonté, la difficulté de la conversion vient de ce que, chez l’intempérant, la volonté est nabituée à rechercher la satisfaction jouisseuse et à s’y complaire sans scrupule. Il n’est pas aisé de retourner une volonté ainsi accoutumée et attachée au péché.

Les mauvaises tendances, si souvent flattées, ne seront pas aisément extirpées. Il faut faire rebrousser tout un courant, désagréger une habitude. Tout d’abord, on devra cesser à tout prix les actes qui, en se renouvelant jusqu’alors, ont accentué la force de l’habitude, et. pour cela, il faudra fuir les occasions, changer de milieu au besoin, disperser les images tentatrices par le labeur opiniâtre, etc. On devra, au surplus, produire des actes contraires à ceux dont on avait l’habitude : plus ces actes contiendront de volonté vertueuse s’opposant avec force à la volonté pécheresse, plus la cure sera efficace. On le voit, la grande difficulté de corriger un habitudinaire vient surtout de ce que son habitude est incrustée dans son âme et même dans son corps ; dans son âme, par cette appro bation coutumière de la conscience à tout ce qui favorise la passion ; dans son corps, par l’accoutumance des fonctions organiques qui servent l’acte passionnel. Car une habitude suppose une succession d’actes antérieurs ; et ceux-ci ont laissé, après eux, des vestiges qui deviennent comme autant d’appels à la récidive : vestiges dans la mémoire et l’imagination par l’évocation de plus en plus prompte de l’objet tentateur avec tous les grossissements d’attraits qu’il prend à chacun de ses retours, par les remous convergents de toutes les images connexes qui se lient en systèmes d’autant plus emmêlés et fixés que se reproduit plus fréquemment l’expérience de la passion ; vestiges d’ordre physiologique dans les organes qui, accoutumés par l’habitude à servir la passion, en prennent comme la détermination fonctionnelle : une certaine quantité d’énergie, employée jusqu’alors et maintenant accumulée, tend à se dépenser de nouveau. Sans doute, cette tendance n’est point contraignante. Se produirait-elle automatiquement, contre la volonté, que celle-ci n’en porterait pas la responsabilité. Il n’en est pas moins vrai que cet état organique latent, constitué par l’habitude et qui réclame une action non contredite jusqu’alors, contribue à énerver la force de la volonté. IP-II 16, q. clvi, a. 3, ad 2um.

Des analyses précédentes, il ressort que le péché de passion n’est pas aussi volontaire que le péché d’habitude.

Le péché de passion est parfois péché mortel.

Le

péché de passion comporte donc une atténuation de responsabilité et de culpabilité. Mais cette atténuation du volontaire laisse-t-elle subsister une responsabilité assez complète pour donner lieu, le cas échéant, au péché mortel, ou bien faut-il penser que tout péché

causé par la passion ne pourra jamais aller au delà du péché véniel ?

Sans nul doute, — et c’est la pensée expresse de saint Thomas, — le péché de passion peut être péché mortel, dans certaines circonstances qu’il faut définir.

Sans entrer dans une étude approfondie du péché mortel (voir Péché), rappelons que le péché mortel consiste à se détourner de Dieu, sciemment et délibérément, en violant sa loi, en méprisant son amour, ou tout au moins en s’en désintéressant. Le pécheur qui offense Dieu gravement rompt avec lui et pose un acte intolérable à l’amitié. IIa-IIæ, q. i.xxii, a. 2. Pour se séparer ainsi de Dieu jusqu’à cette rupture et à cette trahison de l’amour, il faut, de la part du pécheur, la pleine conscience de ce qu’il fait et le parfait consentement à ce qu’il fait. Il faut, dit saint Thomas, que la « raison délibérante » intervienne pour accepter, en connaissance de cause, ce péché qui consomme la séparation d’avec Dieu. Et cela suppose une parfaite connaissance de la loi de Dieu, de ce qu’elle prescrit ou défend, une claire vue de l’application de cette loi à l’acte qui est en cause et dont, avec toutes ses circonstances, on sait qu’il est prescrit ou interdit. Cette clairvoyance de l’esprit réfléchi doit être suivie, pour que s’affirme la culpabilité, du consentement parfait. Consentir à un acte, c’est vouloir efficacement et effectivement l’accomplir. La délibération morale d’un acte humain doit aller jusqu’à ce décret de réalisation et même se poursuivre dans la réalisation pour la mener à bonne fin. Toutefois, pour le dire en passant, si la réalisation du péché, une fois décrétée, se trouvait empêchée pour une cause extérieure indépendante du vouloir, le consentement intérieur visant cet acte déréglé demeurerait à l’état de désir réfléchi et consenti et par conséquent coupable. Or, ces conditions de raison délibérante et de parfait consentement peuvent se rencontrer dans la conscience à propos d’un péché de passion. Par conséquent ce péché, à condition qu’il porte sur une matière grave et bien définie comme telle, devient un péché mortel, Ia-IIæ, q. lxxvii, a. 8.

Mais, dira-t-on, la passion, précisément parce qu’elle pèse sur la conscience, pour l’entraîner à ses fins, ne va-t-elle pas empêcher et contrecarrer cette délibération clairvoyante exigée pour qu’il y ait péché mor tel ? Pas nécessairement. S’il y a le cas, comme nous le verrons plus loin, de la passion violente qui trouble le jugement de conscience en précipitant l’acte déréglé, sans donner suffisamment le temps d’une mûre réflexion, il y a aussi le cas, le plus fréquent et le plus normal, où l’entraînement de la passion laisse à la raison sa libre allure et sa pleine clairvoyance. Dans une telle situation, le consentement parfait aboutit au péché mortel si, par ailleurs, il y a matière grave. La lutte, même prolongée, de la tentation et de la conscience peut fort bien laisser, au moins à certains instants de cette lutte intérieure, la parfaite lucidité requise au discernement moral. Sans doute, la conscience raisonnant en faveur de la passion tend à évincer les motifs de refus que lui oppose la conscience morale. Mais celle-ci, au sein même de cette tentative de captation, ne perd pas de vue que l’acte présenté par la passion reste nettement défendu par la loi, et qu’à le commettre on offense Dieu gravement et que l’on perd son âme. La passion, même insistante et entraînante, n’aboutit pas à aveugler la raison sur les obligations et les valeurs morales. I a -II ffi, q. x, a. 3, ad 2um.

Il arrive que, de fait, la conscience s’abstienne de délibérer, parce qu’elle ne le veut pas, parce qu’elle applaudit tout de suite à l’inclination passionnelle. Néanmoins, elle avait la possibilité de délibérer et de considérer les motifs de récuser la tentation. Cette possibilité est très certaine, puisque, par hypothèse, la